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L’horloge épigénétique est une nouvelle technologie fascinante, mais certaines applications possibles sont controversées. Pixabay/Stefan Keller), CC BY

Un nouveau test d’ADN se révèle prometteur, mais délicat sur le plan éthique

L’horloge épigénétique est un nouveau type de test biologique qui intéresse la communauté scientifique, les entreprises privées et les organismes publics en raison de sa capacité à révéler l’âge « réel » d’un individu.

Depuis deux ans, des sociétés telles que Chronomics et MyDNage ont commencé à vendre des tests d’âge épigénétique en ligne. La compagnie d’assurance-vie YouSurance a annoncé qu’elle allait tester l’âge épigénétique de ses clients pour les classer en groupes de risque. Les experts légistes réfléchissent quant à eux à une façon d’utiliser ce test pour déterminer l’âge de coupables de crime.

Kobor Lab a récemment mis au point la première horloge épigénétique pédiatrique conçue pour déterminer l’âge d’enfants et qui pourrait servir dans le domaine médical et pour la recherche. Il suffit d’un petit échantillon de cellules prélevées à peu de frais par frottis buccal pour prédire l’âge d’un enfant à environ quatre mois près.

L’horloge épigénétique pédiatrique pourrait également servir à des fins non médicales, comme dans des dossiers d’immigration pour prouver l’âge de réfugiés sans papiers qui demandent l’asile en tant que mineurs. On peut imaginer d’autres applications futures, telles que la surveillance du travail et de la traite des enfants, ou même l’identification des jeunes qui combattent dans des conflits armés.

En tant que chercheurs en bioéthique, en sociologie et en génétique médicale, nous étudions les bénéfices et les risques potentiels pour les individus et la société de cette nouvelle technologie fascinante, mais controversée.

La science de l’épigénétique

L’horloge épigénétique est issue du domaine de l’épigénétique, qui étudie comment des marques biochimiques peuvent réguler l’expression des gènes et nous aider à comprendre les processus de vieillissement et de maladie.

L’épigénétique est l’étude des petites molécules qui se lient à l’ADN ou aux protéines autour desquelles l’ADN s’enroule, modifiant la lecture des gènes. Ces molécules ne changent pas la séquence de l’ADN, mais elles peuvent activer ou désactiver des gènes en ouvrant ou en fermant la structure tridimensionnelle de celui-ci.

Les petites molécules ne peuvent pas modifier la structure linéaire de l’ADN, mais elles peuvent activer et désactiver des gènes en ouvrant ou en fermant la structure tridimensionnelle de l’ADN. (Shutterstock)

Si on imagine que les gènes sont des ampoules électriques, les marques épigénétiques peuvent déplacer le gradateur vers le haut ou vers le bas, mais elles ne peuvent pas changer la couleur de la lumière.

Certaines marques épigénétiques peuvent se modifier en fonction de l’environnement ou du mode de vie d’une personne. Les tests épigénétiques fournissent des informations qu’un test génétique normal ne peut révéler, comme l’exposition d’un individu à un traumatisme, au stress, à un type de régime alimentaire ou à des polluants.

D’autres marques épigénétiques changent régulièrement à mesure que la personne se développe, grandit et vieillit. Celles-ci ont permis la mise au point de tests d’âge épigénétique, qu’on appelle aussi horloges épigénétiques, et qui seront les premiers tests épigénétiques disponibles.

Cependant, la plupart des tests épigénétiques n’ont pas encore été validés scientifiquement pour confirmer leur précision et leur exactitude avec différents sous-groupes de la population, et les implications éthiques, légales et sociales de leur utilisation ne sont pas bien comprises.

Leçons tirées des tests d’ADN

Tout comme les tests génétiques, les tests épigénétiques pourraient être utilisés par les forces de l’ordre et dans le domaine de l’immigration, ainsi que dans la recherche et le monde médical. Les enseignements tirés des tests d’ADN révèlent la nécessité d’une mise en œuvre prudente et responsable.

Les tests et la recherche génétiques ont aujourd’hui de nombreuses applications au-delà de la détection des risques de maladies et de la recherche de ses origines. Les tests d’ADN sont souvent utilisés dans des enquêtes policières pour identifier les suspects et les victimes de crimes, et les services d’immigration y ont de plus en plus recours pour prouver les liens génétiques dans le cadre de démarches de réunification familiale.

Joseph James DeAngelo, le présumé tueur du Golden State, comparaît devant la Cour supérieure du comté de Sacramento, en Californie, en janvier 2020. DeAngelo a été identifié comme suspect grâce à des bases de données généalogiques. AP Photo/Rich Pedroncelli

L’identification du présumé tueur du Golden State en 2018 a démontré que les informations biologiques partagées avec des entreprises de bases de données généalogiques pouvaient être utilisées par les forces de l’ordre. Cette affaire a fait naître des inquiétudes d’ordre public et juridique quant à la confidentialité des informations génétiques et au recours à l’ADN stocké par des entreprises privées et dans les bases de données gouvernementales.

La mise en place de tests tels que l’horloge pédiatrique, étant donné leur capacité d’exposer des informations sensibles sur l’environnement, les conditions sociales et les choix de vie d’un individu, demande qu’on prenne soin de se pencher sur les questions de vie privée, de surveillance et de droits fondamentaux de la personne.

Un danger pour les droits de la personne

En cette ère où l’on assiste à une recrudescence de politiques d’immigration xénophobes et protectionnistes dans le monde entier, on doit considérer d’un œil critique les avantages de l’obtention de données biologiques par rapport aux risques pour les droits de la personne que peut constituer la collecte d’une couche supplémentaire d’informations auprès d’une population vulnérable.

Lorsqu’on a proposé les tests génétiques pour aider à la réunification familiale des milliers d’enfants séparés de leurs parents par les rafles et les expulsions de l’Immigration and Customs Enforcement (ICE) des États-Unis, les éthiciens et les groupes de pression ont mis l’accent sur des enjeux importants, notamment l’absence de consentement éclairé et des préoccupations concernant le stockage à long terme de l’ADN dans des bases de données privées ou celles qu’on n’utilisait jusqu’ici que pour les personnes accusées de crimes.

Voici des détenus à l’intérieur d’une installation où logent des membres de familles séparées à Fabens, au Texas, en juin 2018. Les éthiciens ont soulevé des questions sur l’éventuelle utilisation de tests génétiques pour la réunification des familles séparées par l’ICE. AP Photo/Matt York

Le recours aux tests génétiques pour prouver l’existence d’un lien biologique entre les membres d’une famille qui cherche à se réunir a aussi été critiqué parce qu’il pose des problèmes éthiques pour les enfants de familles non biologiques et qu’il peut avoir des conséquences dévastatrices pour les membres de familles biologiques en cas d’erreurs dans les tests. Ces difficultés pourraient entraver la réunification des enfants avec les personnes qui en ont la charge.

Des problèmes peuvent également survenir si on commence à utiliser l’horloge épigénétique dans des affaires d’immigration avant qu’on en ait pleinement compris les enjeux éthiques, légaux et sociaux.

Si des migrants mineurs ont connu des expériences très stressantes, de la malnutrition ou s’ils ont souffert de maladie, cela pourrait modifier les résultats des tests d’horloge épigénétique conçus à partir de l’ADN d’enfants en bonne santé de pays développés. S’en servir pour déterminer l’âge biologique est donc problématique pour des raisons à la fois techniques et éthiques.

Une utilisation responsable de l’horloge épigénétique

À ce jour, aucun rapport officiel n’a été produit sur l’utilisation par la police ou des services d’immigration du test de l’horloge épigénétique pour résoudre une affaire pénale ou une demande d’asile, mais on sait que des essais ont été menés.

Cependant, on nous a relaté que des scientifiques ont été sollicités par des organismes gouvernementaux intéressés par l’utilisation de l’horloge épigénétique pédiatrique, et par des réfugiés qui souhaitent prouver l’âge de leurs enfants sans papiers afin d’avoir accès à des privilèges juridiques réservés aux mineurs.

Les bienfaits de l’épigénétique qu’on met de l’avant dans le discours public incluent la possibilité de contrôler sa prédisposition génétique – comme le risque de maladie – par des choix de mode de vie. Cette présentation pourrait faire en sorte que la population générale soit la première intéressée par ces tests. Les consommateurs qui auront accès aux tests épigénétiques en ligne et les gens qui voudront les utiliser pour éclairer des décisions juridiques ou politiques doivent être conscients de leurs limites scientifiques actuelles, ainsi que des préoccupations croissantes en matière de non-discrimination et de respect de la vie privée.

Des normes de pratique, des directives éthiques et des réglementations sont absolument nécessaires pour s’assurer d’une utilisation responsable des tests épigénétiques. Le plus urgent est de protéger les enfants et les personnes qui en ont la charge contre un recours prématuré ou socialement inadmissible au test d’horloge épigénétique pédiatrique afin de garantir qu’on tient compte de leur intérêt.

This article was originally published in English

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