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Des algues dans le fleuve Saint-Laurent. Les eaux froides du Québec sont propices à leur croissance. Shutterstock

Un renouveau gastronomique pour les algues marines du Saint-Laurent

Ce n’est pas d’hier que les algues marines font partie de l’alimentation des humains. En Asie, leur consommation est bien ancrée dans les traditions culinaires. Pensons au fameux dashi, ce bouillon japonais des plus savoureux.

Moins connues en Occident, les algues sont une source d’aliments traditionnels dans quelques zones côtières de l’Islande, de l’Irlande, de la France, du Danemark, de la Norvège, des États-Unis et du Canada.

Une cinquantaine d’algues sont consommées dans le monde. Les plus courantes retrouvées dans le commerce sont notamment le nori (utilisé pour les sushis), la dulse, le haricot ou spaghetti de mer, la laitue de mer, le wakamé et celui d’Atlantique, la fougère de mer, et le kombu royal (lasagne de mer).

Nous retrouvons plusieurs de ces algues marines dans le fleuve Saint-Laurent.

Leur abondance, leur polyvalence et leur qualité font de cette ressource un véritable atout du Québec. Un atout qu’il faut absolument découvrir.


Cet article fait partie de notre série Le Saint-Laurent en profondeur
Ne manquez pas les nouveaux articles sur ce fleuve mythique, d'une remarquable beauté. Nos experts se penchent sur sa faune, sa flore, son histoire et les enjeux auxquels il fait face. Cette série vous est proposée par La Conversation.


Je m’intéresse au potentiel des algues marines et à leur mise en valeur en alimentation depuis une douzaine d’années. Mes activités de recherche portent sur l’étude des algues du Saint-Laurent et leurs composantes. Récemment, notre équipe de recherche à l’Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels de l’Université Laval a investigué le potentiel gastronomique du dashi issu des algues québécoises.

Un Océan De Saveurs. (Manuel AÑÒ -- Explorateur par l’image)

Les algues du Saint-Laurent

Les grandes algues marines vivent dans les eaux salées, sur le littoral des océans, des mers et des fleuves. Elles sont d’une très grande diversité de taille, de forme et de couleur. On classe les algues marines par leur couleur selon les pigments qu’elles contiennent : vertes, brunes, rouges.

Les eaux froides du Québec sont propices à leur croissance. Le très faible niveau de pollution d’origine industrielle ou urbaine dans certains endroits y est un atout. Des activités de culture peuvent être mises en place sans problème associé à l’accumulation de métaux lourds ou de microorganismes pathogènes (pouvant causer une maladie).

Avec ses 6 000 km de côtes, réparties notamment dans les régions de la Gaspésie, de la Côte-Nord, et du Bas-Saint-Laurent l’estuaire maritime et le golfe regroupent 346 espèces d’algues. On en retrouve quinze parmi les espèces certifiées « Fourchette bleue » 2022, une certification québécoise qui vise à faire découvrir de nouveaux produits marins à la population tout en appuyant l’utilisation durable de la ressource.

Récolte d’Alaria esculenta (Wakamé d’Atlantique). (Merinov), Author provided

Les algues sont disponibles sous différentes formes, soit fraîches, séchées, blanchies, congelées, en flocons ou épices, et même déjà transformées (prêt-à-manger comme le pesto, la relish, le mélange à tartare). L’incorporation des algues du Saint-Laurent dans des produits communs comme les vinaigrettes, le pain, la bière, le chocolat, le fromage, le yogourt, le sel et les épices, comme en Gaspésie ou dans le Bas-Saint-Laurent, est de plus en plus courue.

Dans les restaurants, les chefs cuisiniers ont aussi apprivoisé les algues du Québec : elles les incitent à revisiter des recettes traditionnelles et à ouvrir des voies pionnières en gastronomie.

Pêchés ici, mangés ici. (Ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec).

Les vertus des algues pour la santé

Ces légumes de mer contiennent des fibres, des protéines, des vitamines et des minéraux qui les rendent attrayants d’un point de vue nutritionnel et pour prévenir certaines maladies, comme l’obésité. L’intérêt de les intégrer en alimentation est donc grandissant.

Outre le désir de manger sainement, le mouvement locavore (qui fait prendre conscience de l’importance des ressources locales durables), la mise en valeur des terroirs, la gastronomie et l’innovation culinaire inspirent aussi l’introduction des algues marines dans nos assiettes. Les plus communes sont celles que l’on utilise dans les sushis, les salades, les soupes, voire dans les desserts ou comme assaisonnement et rehausseur de saveurs.

Filet de truite cuit à la vapeur d’algues et sauce à la laitue de mer. (INAF)

La saveur des algues

La phycogastronomie (gastronomie scientifique des algues) a récemment fait son apparition afin de développer une approche collaborative entre chercheurs et chefs cuisiniers professionnels. Elle a pour but d’appuyer les créations culinaires sur des bases scientifiques, et d’encourager la consommation des algues auprès du grand public.

L’acceptation par les consommateurs de ces nouveaux produits à base d’algues dépend cependant de leurs propriétés organoleptiques, en particulier l’arôme, le goût et une combinaison des deux, la flaveur.

Les algues possèdent une saveur bien spécifique produite par des minéraux, des sucres et de nombreux composés organiques volatils. Ce goût est étroitement lié à la saveur umami, qu’on désigne comme la cinquième saveur s’ajoutant aux quatre autres connues (l’acide, le sucré, le salé, l’amer).

Les composés acides aminés, comme le glutamate et l’aspartate ainsi que des substances dérivées des acides nucléiques dissous dans les cellules de certaines algues, en particulier le nori, constituent une source de saveur umami

Le glutamate, un acide aminé naturellement trouvé dans les aliments, est utile comme rehausseur de saveurs en cuisine. On le retrouve entre autres dans le parmesan, les tomates mûres, mais aussi dans les poissons et la sauce soja. Certaines espèces, particulièrement le kombu et plusieurs autres algues brunes, ont un goût d’iode prononcé. Avec l’iode, le potassium et le sodium apportent aussi un goût marin. La laminaire sucrée (kombu royal) quant à elle contient un sucre, le mannitol, qui lui confère son goût doux et sucré caractéristique.

Culture de laminaire sucrée (Saccharina latissima). (Élizabeth Varennes)

Les algues peuvent aussi exhaler des odeurs ou révéler des saveurs associées à des composés organiques volatils. Des descripteurs sont couramment utilisés pour définir les arômes des algues (marin, soufré, végétal, boisé, épicé), qui sont associés à de multiples composés. Les caractéristiques sensorielles étant liées à l’acceptation d’un aliment par les consommateurs, de nombreuses études permettent d’explorer les arômes des algues, et l’impact de leur incorporation à un aliment.

Dashi à base d’algues québécoises

L’un des plats les plus célèbres à base d’algues est une spécialité japonaise appelée dashi, qui signifie « un extrait cuit », un bouillon de soupe à base d’algues japonaises kombu).

Le dashi est un très bon représentant du goût umami, car son procédé de cuisson permet l’extraction d’une grande quantité de glutamate. Afin de mener à bien notre recherche en vue de produire un dashi québécois, nous en avons sélectionné deux en raison de leur historique de consommation, leur disponibilité et leur intérêt culinaire : l’algue rouge dulse (bacon de mer) et l’algue brune kombu royal (lasagne de mer).

Plat de dulse (Palmaria palmata). (Merinov)

La production de bouillons a été suivie à différentes températures et temps de cuisson. Elle a été analysée pour leur composition chimique (minéraux, protéines et glucides) ainsi que pour leurs caractéristiques physico-chimiques sensorielles (couleur, texture, composés umami et composés organiques volatils).

Les résultats ont montré que les nutriments des algues étaient préservés dans les bouillons. Ceux produits avec la lasagne de mer étaient plus colorés, plus riches en minéraux, et avaient des arômes salés, marins et végétaux. Les bouillons de la dulse étaient plus visqueux, avec une plus grande quantité de glucides, et démontraient des arômes sucrés, fruités, herbacés, et un potentiel intéressant de saveur umami.

La dulse est donc l’algue qui produisait un dashi plus diversifié en arômes et riche en saveurs umami.

Les consommateurs sont intrigués par l’idée de manger des algues du Saint-Laurent et ils sont curieux d’en apprendre davantage sur leur origine. Les algues peuvent ainsi gagner une place dans les menus et, dans le futur, être encore plus présentes dans nos repas au quotidien !

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