Les déclarations d’Anne Hidalgo concernant l’éventuelle création, à Paris, d’une police municipale armée constituent une surprise, le thème de l’insécurité n’ayant jamais été un sujet de pointe pour la majorité municipale actuelle. Elle est aussi le symptôme d’une crise dans la gouvernance parisienne, crise de sens qui n’est certes pas irréversible, mais qui en dit long sur la faiblesse des analyses dont fait preuve le personnel politique sur les questions d’insécurité.
S’il existe bien entendu des problèmes de sécurité à Paris, comme dans toutes les grandes métropoles, est-ce que davantage de policiers, avec le statut de policiers municipaux de surcroît, représente une réponse adaptée ?
Faut-il voir, au contraire, dans ce tournant sécuritaire le crépuscule d’une municipalité de gauche, au pouvoir depuis 2001, et qui cherche désespérément un nouvel outil de communication en reprenant la vieille stratégie, pourtant éculée, de l’élu protecteur qui s’appuie sur ses forces policières pour affirmer son pouvoir ?
Des cabinets de consultants en lieu et place du débat public
Mardi 3 juillet 2018, Anne Hidalgo annonce sur son compte Twitter que « la ville de Paris va mener un audit de sécurité d’ici la fin de l’année ». « Effectifs de la police nationale, répartition des compétences avec les agents municipaux, armement de ces derniers… Tous les sujets seront abordés, sans tabou, pour améliorer la sécurité des Parisiens ». La démarche sera menée par un cabinet « extérieur et indépendant. »
La première remarque qu’appelle cette annonce renvoie au mode de gouvernance désormais à la mode, ou plus exactement revenu à la mode depuis l’élection du président de la République en mai 2017. Pas question de débat public, ou d’échanges entre élus : on recourt à des cabinets de consultants, forcément coûteux et liés à leur commanditaire par un contrat commercial, donc intéressés et par conséquent non indépendants, pour trancher des questions forcément politiques.
Il ne manque pas pourtant de rapports – parlementaires (Rapport Dominati, 2017, rapport Grosdidier, 2018), ou de chercheurs, sans parler des rapports administratifs – sur les questions de sécurité, y compris à Paris. Pourquoi, dès lors, recourir à un cabinet qui disposera forcément de moins de savoir en ce domaine, si ce n’est pour contrôler les résultats ?
L’omniprésence de la Préfecture de police
Les problèmes que pose l’organisation des services de sécurité à Paris sont bien connus. Ils naissent de l’omniprésence historique d’une Préfecture de police hypercentralisée et hyperbureaucratisée qui symbolise, de manière exacerbée, tous les défauts d’une police nationale ayant depuis 2002 rompu avec toute stratégie de rapprochement avec les citoyens. Le Préfet actuel se montre plus que réservé sur tout investissement à ce sujet.
A l’image de ce qui se passe dans les quartiers dits sensibles des départements de la petite couronne parisienne, également sous la responsabilité de la Préfecture de police, les quartiers populaires parisiens sont moins bien couverts par les effectifs que les secteurs du centre-ville, et sont plus engagés dans des stratégies de contrôle que de service au public.
Plus généralement, malgré un ratio policier par habitant l’un des plus élevé d’Europe, les fonctions de terrain sont délaissées par les policiers les plus expérimentés au profit de tâches de bureau certes moins exaltantes mais plus tranquilles.
Face à ce monopole exercé par le Préfet de police (Olivier Renaudie) et qui s’étend à d’autres sujets (circulation, santé publique, etc.), les différents maires de Paris se sont souvent agacés du manque de coopération de ces hauts fonctionnaires cherchant à imposer leur vision des faits, surtout dans le domaine sécuritaire.
Il suffit de se rappeler les déclarations sceptiques de l’actuel Préfet au sujet de la fermeture des quais ou les timidités de ses prédécesseurs – ou de lui-même – au sujet de la suspension de la circulation en cas de pollution. On comprend que les mairies s’irritent de cette situation et réclament, avec plus ou moins de succès, un transfert des responsabilités à leur profit.
Quelles priorités pour la police parisienne ?
L’omniprésence de la Préfecture de police, qui se traduit par une visibilité importante des policiers « passant » dans la rue, et par une couverture non moins importante de la cité par les caméras de vidéosurveillance, n’a pourtant pas empêché les attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan. Il ne s’agit pas de critiquer des forces de l’ordre qui ne peuvent pas tout empêcher, mais de poser la question d’une course aux équipements, aux armements et aux effectifs qui n’améliorent pas forcément la sécurité. Le plus est souvent l’ennemi du mieux.
L’exemple des attentats de Nice, ville la plus vidéosurveillée de France et la plus équipée en police municipale, et la fuite en avant sécuritaire qui a suivi les assassinats de juillet 2016, montrent bien la déconnexion qui peut s’effectuer entre la question de l’efficacité et celle de l’image que doit donner un maire engagé dans cette gestion par la sécurité.
Est-ce que les Parisiens veulent plus de police, ou une meilleure police, plus accessible ? Quels sont les problèmes que celle-ci doit cibler ?
Le terrorisme ? Le retour rapide des clients aux terrasses des cafés, cibles privilégiées des attentats de novembre 2015, montrent que le traumatisme est en grande partie surmonté et qu’il n’est nul besoin de policiers municipaux armés au coin des rues pour les protéger.
Les cambriolages ? Ce ne sont pas des agents de rue qui permettront de lutter contre cette délinquance en partie invisible, mais des officiers de police judiciaire capables de mener des enquêtes au long cours – ce que ne peut faire une police municipale.
La lutte contre les stupéfiants ? On sait aujourd’hui que les contrôles d’identité et les fouilles à corps qui les accompagnent, souvent au mépris du droit, ont un impact quasi nul en matière de prévention et de répression. Les « bandes de jeunes » qui occupent les espaces publics ? En ce domaine, la politique de harcèlement policier a mené à des dérives et n’a pas contribué à apaiser des tensions qui sont nées de la non-réponse au manque d’espaces publics dédiés aux jeunes.
S’agit-il alors d’avoir une police municipale du quotidien qui lutte contre les incivilités liées à la propreté, au bruit, à l’alcoolisation ? Si ces désagréments méritent une réponse, ce n’est pas celle d’un policier armé et agressif, mais certainement des agents plus axés sur la médiation, et qui évitent de tuer le côté festif d’une ville qui a été longtemps accusée d’interdire la fête.
Le recours au discours sécuritaire pour masquer des échecs
Il est regrettable que le débat sur les nécessaires évolutions organisationnelles et sociétales de Paris en soit réduit à un pauvre débat sur les polices municipales.
Les manœuvres politiciennes et de communication visant à dissimuler les échecs – Vélib’, Autolib – ou les réalisations intéressantes mais peu valorisées – politique de logement social dynamique – renvoient à de la vieille politique, celle d’un Jacques Chirac en 2001 et 2002 annonçant « mettre le paquet » sur les questions de sécurité face à un Lionel Jospin comptant lui sur des résultats économiques prometteurs. Tout cela avec le résultat que l’on sait au second tour des élections présidentielles de 2002.
Cette stratégie municipale tranche avec la campagne victorieuse de Bertrand Delanoé en 2001 qui, à contre-courant de l’hystérie sécuritaire du moment, a gagné en dédramatisant le thème de l’insécurité. On pourrait aussi évoquer la campagne de l’actuel président de la République, qui n’a pas placé la sécurité en avant.
Comme d’habitude, le recours au discours sécuritaire, au-delà des problèmes réels qui existent dans ce champ, sert souvent à cacher une faiblesse du discours politique dans d’autres domaines – social, économique, environnemental – et les défaillances d’analyse de la complexité des situations rencontrées. Placer un couvercle sécuritaire sur ces problèmes n’a pourtant jamais apporté de réponse satisfaisante.