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Un jeune, multirécidiviste lit dans sa chambre, dans un Centre éducatif fermé dans le sud-est de la France. Le travailleur social l'accompagne, cherche à analyser les parcours qui peuvent conduire à la violence. PHILIPPE DESMAZES / AFP

Une vie avant la recherche : un éducateur « chez les loubards »

David Puaud est chercheur, anthropologue et travailleur social. Il revient sur ses années de formation, formelles et informelles.


Mes premiers souvenirs d’une possibilité d’écriture remontent aux alentours de mes onze ans. Allongé sur le sol de ma chambre, je recherche avidement le terme Togo dans le dictionnaire.

Je recopie sur une feuille la présentation de ce pays qui en même temps de me faire voyager, me donne le sentiment assez difficile à décrire d’une possibilité d’écrire. Mon grand-père paternel tout comme ma grand-mère maternelle, paysan·e·s vendéens tenaient des carnets de terrain de manière très régulière décrivant autant leurs activités quotidiennes, que les faits liés aux commerces.

Je me souviens également de ce livre de Guy Gilbert : Un prêtre chez les loubards chez ma grand-mère qui sûrement fut une base de mon engagement en tant qu’éducateur de rue, fonction que j’exercerais durant dix années.

Ma mère m’initie aux saveurs de la lecture, des bandes dessinées, des séries des « Club des cinq » jusqu’à la lecture à la prime adolescence de Voyage au centre de la terre de Jules Verne, où littéralement je descendis et ressentis avec le Dr Lidenbrock les abysses de notre planète.

Je me souviens également de la mise en place par une enseignante de ce dispositif d’échanges d’ouvrages en classe de quatrième au collège. Je découvris l’étendue de l’intelligence machiavélique de Stephen King. Mon adolescence est également une rencontre avec la musique punk, je découvre l’énergie des Béruriers Noirs au Zabriskie Point, je ne comprenais pas les subtilités des textes, par contre je ressentais intensément l’énergie, la fougue, la subversion du groupe, leur jeu décalé.

Les Béruriers Noirs, l'énergie punk, l'engagement social, 1989.

Platitude du paysage scolaire

De mes années collège, un sentiment me vient : la platitude du paysage scolaire. Cahin-caha, j'obtins mon brevet des collèges avec des résultats hétéroclites (3/40 en mathématiques et 38/40 en histoire-géographie). En conséquence on m’indiqua que je n’avais pas le niveau requis pour aller en lycée général, il fallait m’orienter vers une filière professionnelle.

On m’évoqua alors le métier de maçon où j’entrevoyais le fait d’être rémunéré. Mais, je désirais également devenir pompier professionnel. On me conseilla alors de réaliser un BEP carrière sanitaire et sociale. Durant cette formation, je découvris le champ professionnel du médico-social entre des stages en maison de retraite et en foyer d’accueil pour personnes handicapées.

Je compris rapidement que mes compétences ne relevaient pas du domaine à proprement parler technique, mais bien plus relationnel et compréhensif. À la fin de ce BEP, je partis en internat réaliser un brevet de technicien service aux personnes.

Quatre garçons en internat parmi une quarantaine de jeunes adolescentes : ce furent mes années lycée à moi. Je m’épanouis alors enfin, me révélant bon élève et surtout découvrant le travail social notamment dans le champ du handicap.

Casser les schémas établis

J’entrai en formation à l’Institut régional du travail social (IRTS) de Poitiers le 12 septembre 2001. Je découvris d’autres champs d’action de l’éducateur comme le travail auprès de personnes sans domicile fixe. Surtout je fus subjugué par les interventions sociales, politiques et ethnologiques dispensées par un formateur.

Bernard Faucher traversait la salle de cours à pas hâtés nous narrant la vie des Na en Chine tout en reliant ses digressions ethnologiques à des analyses politiques cassant tous mes schémas bien établis.

Je devais me décentrer de manière permanente, mon esprit travaillait en « double je » c’est-à-dire entre le Vendéen et sa culture judéo-chrétienne, son histoire, ses savoirs pratiques et le néo-pictavien qui développait des savoirs pratico-intellectuels alliés à la naissance de convictions politiques.

Ces dernières se fortifièrent, au sens non pas d’un engagement partisan, mais bien en lien avec la société civile notamment dans l’objectif de lutter contre les injustices.

Un ethnologue embarqué

Diplômé, en 2005 je rejoignis un service de prévention spécialisée en tant qu’éducateur de rue dans la région Poitou-Charentes, fonction que j’exercerai durant dix années. Un nouveau tournant s’opéra dans mon parcours. Je découvris un quartier populaire ayant subi la déstructuration de son tissu ouvrier, dont les conséquences sur la trajectoire socioprofessionnelle de jeunes en situation de marginalité plus ou moins avancée seront très vite au coeur de mes recherches de master puis de doctorat, que j'entreprends à l'École des Hautes études en sciences sociales.

Georges Guillon, responsable de la structure de prévention spécialisée m’avait prévenu. Avant d’agir dans le cadre de mes missions de protection de l’enfance, il me faudrait « endurer » le terrain au sens physique mais également intellectuel notamment en me renseignant sur l’histoire de cet ancien bastion ouvrier. J’appréciais les agencements réflexifs, les engagements multiples que demandaient cette activité : entre terrain, intérêts aux politiques locales-nationales et les liaisons certes étroites, mais existantes au champ intellectuel.

Je découvrais le travail des chercheurs de l’école de Chicago. J’appréhendais les logiques communes liées au travail de terrain, à la méthodologie de l’observation participante, à la consignation des données au sein de carnets de terrain sommes toutes assez proches entre l’ethnographe et l’éducateur de rue.

Le crime «sans mobile»

En août 2007, Josué, un jeune que j’accompagnais, commet un crime resté à ce jour «  sans mobile ».

En tant que praticien, mais également étudiant en ethnologie je me retrouvais « embarqué » sur le terrain dans une situation dont je ne mesurais pas les enjeux implicites et explicites. Mes responsables hiérarchiques s’évertuèrent à m’indiquer que je n’avais pas à culpabiliser sur ma part de responsabilité quant à l’accompagnement social préalable mené avec Josué Ouvrard.

Mais en aucun cas je ne pensais cela. La question - que ne se posaient pas forcément mes collègues - et qui me perturbait était plutôt : comment un jeune homme de 19 ans peut-il en arriver à commettre un crime avec acte de torture et de barbarie ?

Pris dans une toile entre action et recherche me faisant osciller entre intérêts intellectuels et des sentiments relevant de la fascination à la répulsion, je développais des « vacuoles de recherches » au sens d’ « espaces pour soi, un temps à soi où l’on puisse bloquer la communication et se protéger de flux des sollicitations qui nous assaillent, de la folle accélération des échanges. »

Celles-ci me conduisent à poursuivre l’enquête de terrain. J’assistai (entre autres) aux séminaires « L’expression du désastre » de Barbara Glowczewski et Alexandre Soucaille au musée du quai Branly, à celui d’Alain Dewerpe sur l’histoire ouvrière, de Michel Agier, Phillipe Descola, Serge Paugam…

A l’époque je vivais de manière intense et positive cette tension entre recherche et terrain tentant d’entremêler ces pelotes réflexives entre terrain et l’École.

Les assises

J’hésitai alors à aller témoigner lors du procès d’assises de Josué. J’évoquai ces difficultés en atelier de doctorant, Michel Agier m’indiquant qu’il était important que je puisse m’y rendre. Je contactai l’avocate de Josué qui m’indiqua :

« vous serez l’un des seuls à amener des éléments positifs liés au parcours du principal criminel, il y a deux jours, il m’a dit ‘’David Piaud (sic) lui, il pourra dire qu’il existe un autre Josué Ouvrard’’. »

Je témoigne à ce procès, en mars 2010, puis poursuis mon travail de thèse sur les enjeux symboliques du procès d’assises que je soutiens en juillet 2014 suite à un travail intense de décentrement.

David Puaud sur son travail pour ‘un monstre humain’

J’entreprends la rédaction de l’ouvrage issue de ma thèse qui fut l’objet d’un nouveau travail réflexif publié en mars 2018 sous le titre Un monstre humain ? Un anthropologue face à un crime sans mobile ? (Paris, éditions La Découverte).

Actuellement, je poursuis mes travaux sur la thématique de la gestion des marges urbaines. Mon prochain ouvrage en cours de rédaction pour les éditions Robert Laffont porte sur la prise en charge en milieu ouvert de personnes placées sous main de justice pour des faits de radicalisation en milieu ouvert.

Il est lié à un travail de terrain mené en 2017 et 2018 au sein du dispositif Recherche et Intervention sur les violences extrémistes (RIVE) de l’Association de Politique Criminelle Appliqué et de Réinsertion Sociale (APCARS) basée à Paris.

L'objectif de ce travail de recherche est de questionner la possibilité d'un désengagement d'un sujet envers une projection vers un engagement violent. Pour ceci, je développe des situations décrivant la disponibilité biographique de ces sujets dits « radicalisée s» et surtout les stratégies de civilités mis en place par l'équipe RIVE.

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