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Des gens font la fête à Montréal pendant l'hiver
La scène techno a toujours permis d'exprimer cette vitalité contestataire, et il serait tout à fait futile de vouloir la délimiter dans des espaces prédéfinis. (Alexis Boulianne), Author provided

Vie nocturne : pourquoi l’étau se resserre autour de la fête à Montréal

La Ville de Montréal organise depuis le début de l’année 2024 des consultations publiques sur l’encadrement de la vie nocturne. On a souvent retenu de ce sujet le débat autour de la prolongation de l’heure d’ouverture des bars et des clubs.

Le sujet est pourtant plus large, puisqu’il ne concerne rien de moins que la possibilité même de se rassembler dans des espaces festifs qui font vibrer la culture montréalaise. Sans politique claire, le visage de la nuit urbaine pourrait changer à jamais.

Crise de la vie nocturne

La politique de la vie nocturne de Montréal est attendue depuis 2017. Projet Montréal l’avait promis lors de sa première élection à la tête de la métropole. Depuis ce temps, rien n’a bougé, et les scènes nocturnes, celle des raves et des after notamment, n’ont fait que s’enfoncer dans une crise de plus en plus profonde.

Deux facteurs se sont accélérés depuis sept ans.

D’abord, la répression du bruit, laquelle a sonné l’arrêt de mort, ou la perturbation des activités, de plusieurs salles de spectacles importantes (Divan Orange, Katacombes, La Tulipe, etc.). Ce facteur est lié à l’embourgeoisement de certains quartiers et à l’emménagement d’une nouvelle population aisée qui ne tolère plus les festivités.

Puis, la pandémie mondiale de Covid-19, lors de laquelle les espaces dansants ont été interdits de mars 2020 à novembre 2021. Il a d’ailleurs fallu l’organisation de manifestations à l’automne 2021 pour convaincre le gouvernement du Québec de permettre l’ouverture des clubs, dont certains ne se sont jamais remis de cette fermeture prolongée.

Le droit à la nuit

En tant que professeur en communication à l’Université TÉLUQ, j’ai récemment entrepris des recherches sur la valeur affective de la musique électronique à Montréal. Ces travaux m’ont amené à m’intéresser aux différentes personnes et organismes qui militent afin de défendre et d’encourager la vie nocturne.

Les revendications de la scène, portées par des groupes comme l’OBNL MTL 24/24 (dont le financement n’a pas été renouvelé en janvier dernier) sont maintenant connues : allègement réglementaire, dérogation pour ouvrir après 3 h du matin, modernisation de la Loi sur les permis d’alcool, création d’un droit acquis sur le bruit des lieux de diffusion, mise en place d’un commissaire ou d’un bureau de la vie nocturne, etc.

Bien que disparates, toutes ces revendications concernent le principe du droit à la nuit, c’est-à-dire le droit de se rassembler librement après le coucher de soleil.

La Ville de Montréal ne semble toutefois pas prioriser ces revendications. Deux aspects paraissent l’intéresser davantage, soit les retombées économiques de la vie nocturne, et la sécurité des quartiers montréalais.

Tension entre fête et sécurité

Le « Projet de politique de la vie nocturne montréalaise », un document d’une vingtaine de pages publié sous la supervision de la Commission sur le développement économique et urbain et l’habitation en janvier dernier, souligne très bien ces priorités. À la première page du document, on indique que la vie nocturne est un « levier de vitalité économique et culturelle » important, notamment grâce au tourisme festif. Le document souligne néanmoins aussitôt qu’il est primordial « de préserver la qualité de vie et la tranquillité des quartiers résidentiels ».

Comment augmenter le nombre de touristes tout en ne perturbant pas la tranquillité des quartiers ? La Ville a choisi une solution mitoyenne, soit celle de rassembler les fêtards dans des zones délimitées d’avance d’une part, et de renforcer la sécurité, voire la surveillance, des quartiers résidentiels d’autre part.

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Cette tension entre fête et répression est particulièrement présente dans le concept de « zones de vitalité nocturne », que propose d’instaurer le futur cadre réglementaire. Dans le document, les zones de vitalité nocturne sont définies comme des « Secteurs géographiques où se concentrent des activités économiques et culturelles nocturnes sur des heures étendues ». Mais le document n’indique ni où seront ces zones, ni de quoi elles seront composées, ni comment les instaurer.

À la lecture du document, plusieurs questions persistent : Qui aura l’autorité de délimiter les zones de vitalité nocturne ? Seront-elles simplement une extension du quartier des spectacles ? Ou toucheront-elles les quartiers périphériques également ?

Tout aussi préoccupant : comment délimiter à l’avance les espaces festifs, alors que les scènes raves, notamment, sont par définition des espaces éphémères, qui se créent à l’abri des regards dominants ?

La scène techno et les espaces-autres

Le chercheur Julien Simard parlait à juste titre de « conflit d’usage » pour dépeindre les contradictions de la future politique montréalaise. Les décideurs pensent souvent que la nuit n’est qu’une prolongation du jour.

Les géographes urbains et les anthropologues des night studies nous enseignent plutôt que la nuit met en scène des espaces-autres, des espaces différents qui ne pourraient exister le jour — spécifiquement, car le jour a été associé à la productivité du travail, et que la nuit les corps se « disposent » à d’autres rythmes. Le concept de zones de vitalité nocturne est selon moi voué à l’échec, car il n’est pas adapté à la fluidité de la vie nocturne.

Les scènes technos développées à Détroit ou à Berlin dans les années 1990 rappellent cette réalité hors-norme et contestataire. La Techno de Détroit était d’abord conçue comme une critique économique et technologique des genres et des maisons de disques dominants.

Le pionnier de la techno, Jeff Mills, l’avait souligné dans une entrevue lors de son passage à Montréal en 2019 : « Pour le gouvernement, nous les jeunes afro-américains étions bons à être en prison ou morts, donc comme collectif techno à Detroit, nous avions trouvé le moyen de sortir de ça, de faire ce qu’on voulait et d’inspirer les autres ».

La scène techno a toujours permis d’exprimer cette vitalité contestataire, et il serait tout à fait futile de vouloir la délimiter dans des espaces prédéfinis. N’est-il pas possible d’adopter une politique souple qui permette de l’encadrer sans nier son caractère même, et qui puisse encourager son déploiement ?

Notre patrimoine immatériel

Lors d’une entrevue effectuée récemment, l’ancien directeur général de MTL 24/24, Mathieu Grondin, m’avait parlé de la possibilité de créer « un espace de diffusion de la culture nocturne dans lequel il y aurait aussi un hall d’exposition mettant en valeur l’histoire de la vie nocturne de Montréal, une bibliothèque dédiée à des ouvrages sur les études de la nuit ainsi que d’autres ateliers de formations pour professionnaliser et former le milieu ».

Un lieu autre à la frontière entre un atelier de formation, une bibliothèque, une salle d’exposition, un bar et un cinéma ? La proposition a été refusée par la Ville au début de l’année 2024.

La vie nocturne est riche, même l’Unesco a fait entrer en mars la techno de Berlin dans le patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Pourquoi la vie nocturne de Montréal ne serait-elle pas également valorisée ?

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