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Votre tenue vestimentaire au travail vous rend-elle vulnérable ?

Savoir jouer avec les codes vestimentaires de son entreprise ou trop vouloir les adopter peut amener à différentes positions dans les jeux de pouvoir. Shutterstock

Dans le film emblématique Arrête-moi si tu peux !, de Steven Spielberg, un sympathique escroc (joué par Leonardo DiCaprio) se fait passer tour à tour pour un pilote de ligne, un médecin, un avocat. Il réussit à tromper nombre de gens et d’entreprises en utilisant, entre autres, une tenue adaptée aux professions usurpées.

La perception de l’autre est fortement influencée, au moins à première vue, par la façon dont il ou elle s’habille. Au fil du temps, l’habit a servi à différencier les humains entre eux, non seulement pour marquer des différences culturelles, mais aussi pour prouver, selon le point de vue, leur supériorité ou infériorité. Le même phénomène se produit dans le règne animal : les animaux se parent de couleurs définies pour attirer le ou la partenaire et les utilisent à des fins de tactiques prédatrices ou anti-prédatrices pour le camouflage.

Dans la plupart des entreprises (occidentales en tout cas), les femmes comme les hommes ont le droit, dans la mesure où ils respectent le code vestimentaire en vigueur, de choisir leurs vêtements en fonction de leur style personnel, de leur confort et de leur expression de soi. Et l’on y retrouve ce rapport de proie et de prédateur. Le prédateur, lui ou elle, peut jouer consciemment ou inconsciemment sur son port vestimentaire pour communiquer un message d’autorité. La proie, elle aussi, peut utiliser le vêtement, cette fois pour signifier sa vulnérabilité, peut-être de manière inconsciente. La révéler peut en effet permettre de s’attirer la sympathie de « protecteurs » éventuels, qui travailleront à protéger la proie et à valoriser sa carrière.

Tisser l’habit du prédateur

La théorie développée dans le cadre de nos recherches postule qu’il existe une toile sociale, dite toile de prédation, où s’articulent les éléments qui font que « l’araignée piège son repas ». Pour qu’il y ait prédation, il doit nécessairement y avoir un prédateur (l’escroc DiCaprio), une proie (les banques), un outil (l’habit), une blessure telle une stigmatisation sociale (la perte financière) et surtout, un effet surprise (le pilote d’avion n’était pas un pilote d’avion après tout !).

Suivant une intention hostile savamment calculée (par exemple, s’enrichir, monter dans la hiérarchie organisationnelle), le prédateur pourra tisser sa « toile du 5-5 » avec cinq actions reconnaissables : identifier les faiblesses de sa proie, l’appâter, la forcer à accepter ses termes, la piéger et la soumettre.

On reconnaît facilement les traits caractériels des prédateurs que sont le manque d’empathie, la froideur, l’esprit calculateur et sournois. Les proies, elles, font preuve de naïveté et sont sous-outillées pour faire face aux aléas comportementaux qui se déploient au travail.

Dans ce schéma, la tenue vestimentaire au travail est non seulement une partie intégrante de la présentation de soi, mais elle indique aussi le degré de conformité que l’on adopte par rapport à la culture organisationnelle environnante. Une de nos publications à venir démontre comment une tenue adaptée au contexte organisationnel transmet une image professionnelle cohérente et donc attendue par les clients, ce qui devrait faciliter les ventes. La conformité vestimentaire instaure la confiance, et c’est justement sur la confiance que joue le prédateur ; tôt ou tard, il la trompe pour exercer son acte de prédation.

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Il y a bien d’autres façon d’asseoir son pouvoir par le vêtement. Des études démontrent que certains dirigeants s’habilleront différemment de leurs collaborateurs ou de l’image type du leader, afin de paraître plus charismatiques et plus puissants, et ainsi faciliter inconsciemment la soumission des subordonnés. Les personnes s’éloignant des codes vestimentaires formels attendus auraient des capacités exceptionnelles puisqu’elles peuvent s’en écarter.

Là où le bât blesse

D’autre part, certains diktats vestimentaires conduisent à la posture de proie. Ainsi, une étude IFOP réalisée en 2019 pour l’Institut Jean Jaurès sur le sexisme en entreprise, note une causalité entre une tenue moulante et/ou courte et des dérives sexistes, voire des violences sexuelles. Dans ce même registre, le port des talons hauts exigé pour les femmes par certaines organisations a été dénoncé en 2019, notamment au Japon, avec le mouvement « #KuToo » (jeu de mots avec kutsu – chaussure, et kutsuu – douleur, en écho à #MeToo).

Au-delà de l’inconfort des escarpins, son association avec la sexualité peut enfermer des femmes dans un carcan érotisé, faisant écho au registre de la proie. Les analyses biomécaniques révèlent que les talons accentuent la cambrure et projettent, parmi d’autres effets, la poitrine vers l’avant, amplifiant ainsi les attributs sexuels féminins. Les recherches montrent aussi que les femmes en talons hauts sont considérées significativement plus attirantes par les hommes que les femmes en chaussures plates.

La méconnaissance des codes vestimentaires ou leur incompréhension renforcera le rôle de proie, ce qui pourra engendrer de la stigmatisation, de l’exclusion, voire de la discrimination. Dans ce dernier cas, nos travaux ont souligné qu’un candidat dont le code vestimentaire n’est pas conforme à l’environnement professionnel envisagé prend le risque, sans le vouloir, d’être éliminé. Le postulant apparaît aux yeux du recruteur comme incompétent, inadaptable à l’entreprise, à la culture organisationnelle et au métier.

En découdre avec la prédation vestimentaire ?

Pour les proies, réelles ou fictives, le problème de la prédation vestimentaire touche à l’identité de soi et ne pas le régler peut avoir des conséquences graves sur leur équilibre psychologique et social. La dynamique de prédation par le vêtement reste à étudier ; à ce stade, on ne peut que conjecturer sur des solutions possibles pour quiconque se sentirait proie.


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Il faudrait s’adapter aux exigences de l’institution lorsqu’on ne peut les combattre ou que les défier coûterait trop cher en termes d’énergie, de frais financiers et d’ostracisation. Ensuite, on veillera à ce que, à l’intérieur des limites imposées par cet environnement, l’on puisse affirmer sa personnalité et surtout le faire en fonction des tâches à réaliser.

Enfin, les personnes qui se sentent lésées auraient peut-être avantage à communiquer avec la direction des ressources humaines pour voir comment des efforts d’éducation et de sensibilisation pourraient remédier au problème. On supputera que, du point de vue sociologique, l’important serait d’éviter la stigmatisation, car elle ne peut que défaire le tissu social de l’entreprise.

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