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Wuhan, point de départ du coronavirus et test politique pour Xi Jinping

Le château Sakura de l'université de Wuhan, l'un des plus anciens de Chine avec la ville en toile de fond. Décembre 2018. Howchou/Wikimedia , CC BY-SA

Wuhan se trouve à l’épicentre de l’épidémie de coronavirus. La ville, ainsi qu’une zone alentour où résident quelque 50 millions de personnes, fait actuellement l’objet d’un confinement anti-épidémique – une mesure hybride à mi-chemin entre quarantaine et cordon sanitaire.

Contrairement aux précédents cas de grippe aviaire à Hongkong en 2011 et à Shanghai en 2013, qui ont pu être contrôlés par des abattages massifs de volailles, la crise ne se produit pas aux frontières du territoire chinois, mais au centre même du pays. Selon l’idéologie néoconfucianiste actuelle du tianxia – « tout ce qui est sous le ciel » –, une gestion rigoureuse de la crise à Wuhan doit permettre de sonder la capacité du gouvernement chinois à se préparer de manière adéquate à une pandémie.

Pour bien analyser la réaction des autorités chinoises et internationales à l’apparition de ce nouveau coronavirus, il est utile de se pencher sur la position de Wuhan dans l’histoire récente de la Chine, au moment où le monde entier a les yeux braqués sur la ville.

Rappelons que Wuhan a été le point de départ de la révolution chinoise en 1911 – le terme geming signifie à la fois « révolution » et « changement de mandat céleste ». Le pouvoir de Xi Jinping se montre donc particulièrement attentif aux signaux d’alerte que cette épidémie envoie pour la bonne gouvernance de l’Empire chinois.

Une longue histoire de crises

Carte de Hankow (Hankou, en Pinyin) avec Hanyang et Wuchang, telle qu'en 1915. Ces trois villes ont ensuite fusionné pour former la ville moderne de Wuhan. La carte montre les frontières des concessions française, britannique, russe, allemande et japonaise à Hankou. Texas Library/Wikimedia

Wuhan est une métropole de 11 millions d’habitants et la capitale de la province du Hubei. Elle a été créée en 1927 lorsque les villes de Wuchang, Hankou et Hanyang ont fusionné en une seule. Ces trois importants postes commerciaux étaient situés sur le confluent des rivières Yangzi et Han. Ils se sont développés au cours du XIXe siècle quand des investisseurs occidentaux se sont installés dans la région au terme des « traités inégaux » signés dans les années 1860 par le prince Gong et l’empereur Xianfeng.

La révolution chinoise, qui a provoqué la chute de l’Empire Qing, a commencé en 1911 lorsque des soldats de Wuchang ont protesté contre le transfert du financement de la construction des chemins de fer à des banques étrangères, ce qui a conduit à la déclaration de la République chinoise par Sun-Yat Sen à Nankin, qui a alors remplacé Pékin comme capitale du pays.

Carte de la zone urbaine de Wuhan à partir de 2018. OpenStreetMap, CC BY

Wuhan a été l’épicentre de diverses crises pendant des décennies. En 1931, une inondation désastreuse a tué plus de 2 millions de personnes. L’historien Chris Courtney estime que cette inondation a été « la plus meurtrière de l’Histoire » et qu’elle « a exacerbé les divisions sociales » et provoqué une « crise sanitaire et humanitaire ».

En 1937-1945, pendant la guerre sino-japonaise, Wuhan devint, avec Chongqing, la capitale du gouvernement du Guomingdang, ce qui lui valut d’être lourdement bombardée.

Après 1949, Mao Zedong a fait de Wuhan l’un des centres industriels de la République populaire, notamment pour l’acier, l’électricité et les produits chimiques. Sous son gouvernement, plus de dix universités de recherche scientifique ont été construites. Plusieurs réunions importantes du parti communiste se sont tenues sur les rives du lac de Wuhan, soulignant l’importance politique de la ville.

Durant la période des « quatre modernisations » lancée par Deng Xiaoping après la mort de Mao en 1976, Wuhan est devenue un centre de hautes technologies telles que la fibre optique, la fibre de verre et l’industrie automobile.

Une photo retouchée publiée par l’agence de presse officielle chinoise montre le président Mao Zedong (en bas) entouré de ses gardes du corps et nageant le 16 juillet 1966 dans le fleuve Yangtze, près de Wuhan. China Out Xinhua/AFP

Une expertise en matière de virus mortels

Au cours des dix dernières années, Wuhan a été de plus en plus reliée au reste de la Chine et au monde grâce à la construction d’infrastructures pour les trains à grande vitesse et aux vols internationaux.

Wuhan est également la ville où l’Académie des sciences chinoise, avec l’aide d’experts français – notamment l’Institut Pasteur – a ouvert en janvier 2018 le seul laboratoire P4 en Asie. Un laboratoire P4 est un laboratoire dont le niveau de biosécurité (noté 4) permet aux biologistes de manipuler des virus très dangereux comme Ebola, le SRAS ou le H5N1.

Ce fait a suscité des théories conspirationnistes selon lesquelles le nouveau coronavirus se serait échappé de ce laboratoire, voire y aurait été fabriqué pour obtenir plus de financements.

En réalité, Wuhan a été massivement équipée par le gouvernement chinois pour anticiper les nouveaux virus d’origine animale dans les grandes villes après la crise du SRAS en 2003. La France a construit un laboratoire P4 similaire à Lyon à la même époque.

Le laboratoire Jean Mérieux, à Lyon, possède des équipements similaires à ceux du P4 de Wuhan..

Un test pour Xi

Xi Jinping est parfaitement conscient du fait que la façon dont son gouvernement gère le coronavirus à Wuhan, berceau de la révolution chinoise en 1911, peut fortement affecter son autorité.

Sa politique à Hongkong et au Xinjiang, où les manifestations d’étudiants et la minorité ouïghour ont été écrasées, a été critiquée dans le monde entier. Le contexte économique marqué par la peste porcine africaine, qui a tué la moitié de l’élevage porcin et doublé le prix du porc, ainsi que les tensions financières sur la convertibilité du yuan au dollar, ont déstabilisé le gouvernement de Xi plus que la guerre commerciale avec l’administration Trump.

En 2003, la crise du SRAS était également apparue dans un climat politique délicat, pendant la période de transition entre Jiang Zemin et Hu Jintao. L’épidémie a contribué à fragiliser l’État chinois, l’Organisation mondiale de la santé lui reprochant de ne pas avoir signalé un certain nombre de cas.

En 2020, ce nouveau coronavirus va maintenant tester la capacité de Xi Jinping – qui a obtenu le droit de prolonger son mandat indéfiniment – de rester au pouvoir.

La centralité de Wuhan dans la géopolitique de la Chine conduit donc les experts chinois et internationaux à focaliser tout particulièrement leur attention sur les informations relatives au virus et sur le confinement de la population dans la métropole.

Jusqu’à présent, la population semble avoir accepté les mesures de bouclage, mais avant qu’elles ne soient appliquées, 5 millions de personnes avaient déjà quitté la ville afin de rejoindre leur famille pour le Nouvel An chinois.

Si la plupart des cas ont été concentrés à Wuhan et dans sa région, le virus s’est propagé dans les grandes villes liées à Wuhan et dans des pays étrangers comme la France, où trois ressortissants franco-chinois présentent les symptômes du coronavirus.

Le monde regarde Wuhan

Ce qui se passe à Wuhan indique ce qui se passera dans le reste du monde si le virus se répand, diffusant encore davantage ce qui est déjà une nouvelle pandémie – le nouveau coronavirus étant jusqu’ici plus contagieux mais moins mortel que le SRAS.

Cette crise va mettre à l’épreuve le statut de centre scientifique de Wuhan ainsi que son poids politique.

Wuhan deviendra-t-elle une sentinelle pour la préparation aux pandémies ? Suivra-t-elle le chemin de Hongkong, qui depuis les années 1970 s’est imposée par une expertise scientifique de premier plan dans la gestion des crises sanitaires et a prouvé son efficacité lors de l’émergence de la grippe aviaire ?

Hongkong est toujours en tête dans ce domaine. Ses experts ont développé des modèles visant à prévoir la progression de l’épidémie à partir des informations disponibles en Chine. En revanche, à Wuhan, les autorités locales sont soumises à une surveillance étroite. Xi Jinping lui-même a critiqué leur lenteur à signaler les premiers cas d’infection.

Plutôt que provoquer une nouvelle crise entre la Chine et le reste du monde, comme ce fut le cas avec le SRAS en 2003, le nouveau coronavirus pourrait mettre en évidence les fortes tensions sociales et politiques qui existent entre les villes chinoises.

On observe déjà aujourd’hui une concurrence féroce entre différentes villes comme Wuhan, Hongkong et Shanghai, sous la surveillance de Pékin. Alors qu’elles tirent la sonnette d’alarme sur les crises environnementales qui touchent la Chine – provoquées par le développement massif de l’économie chinoise au cours des 50 dernières années –, ces villes pourraient entrer dans une crise politique, illustrant le paradoxe du pouvoir autoritaire néo-libéral que Xi Jinping exerce sur « tout ce qui est sous le ciel ».


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This article was originally published in English

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