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Comment les bébés participent à la recherche scientifique

Enfant d'un an, allongé sur fond bleu, avec des lunettes et des lettres
Il reste encore bien des inconnues sur la façon dont se développent les compétences sociales, émotionnelles et cognitives des tout-petits. Shutterstock

Parmi les nombreuses affiches disposées dans les crèches, les salles d’attente de pédiatres ou autres lieux d’accueil des jeunes enfants, certaines peuvent surprendre les parents, en les invitant à participer à la recherche avec leur enfant.

Ces communications peuvent questionner mais elles sont tout à fait sérieuses car, sans l’appui des familles, la recherche reste sans réponse. Il reste en effet bien des inconnues sur la façon dont se développent les compétences sociales, émotionnelles et cognitives des tout-petits. C’est en organisant des observations et des collectes de données de grande ampleur que les recherches en psychologie du développement peuvent avancer.

Leurs découvertes vont permettre aux professionnels de la petite enfance d’être encore mieux formés pour accompagner les moins de 3 ans dans leur progression. C’est ainsi qu’en s’intéressant au réflexe de marche automatique chez le nouveau-né, des chercheurs ont développé un dispositif spécial, un mini-skateboard pour permettre aux prématurés de ramper et ainsi de mieux développer leurs compétences motrices.

Comprendre le développement cognitif et social des tout-petits

Chaque recherche nous permet de mieux comprendre les facteurs qui vont faciliter les acquisitions du bébé, comment certaines compétences se mettent en place et peuvent être entravées. La plupart de ces recherches sont conduites par les « BabyLabs », des structures de recherche composées de chercheurs spécialisés dans le développement des jeunes enfants.

Ainsi, au BabyLab Nanterre, le projet « Emolearn » cherche à percer un des secrets de l’apprentissage chez le bébé : l’humour. L’humour se développe précocement chez le bébé et il semble bien qu’il facilite les apprentissages. Une autre étude a permis de montrer qu’un nouveau-né sait déjà prendre son tour de parole lorsque sa mère s’adresse à lui : il a déjà intégré un des principes fondamentaux d’une communication efficace.


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Nous nous intéressons aussi à montrer les bénéfices des bercements ainsi que de toutes les régularités temporelles contenues dans les chansons et comptines adressées aux bébés, celles du langage particulier que nous utilisons lorsque nous parlons à un bébé…

Le BabyLab de Nanterre s’intègre dans le réseau de 17 situés en France, ses sujets d’étude sont le développement vocal avant l’émergence du langage, le rôle des rythmes dans les acquisitions cognitives et sociales ou encore le rôle de l’humour. D’autres BabyLabs s’intéressent plus spécifiquement au développement du langage, ou au décodage des informations visuelles et en particulier celles relatives aux visages, d’autres aux interactions avec le père…

Une fois par an, les BabyLabs français se réunissent et échangent sur leurs travaux, discutent de leurs avancées respectives, de leurs questionnements théoriques et pratiques et envisagent d’autres questions de recherche.

Différents dispositifs de recherche

Si les questions sont riches et nombreuses, les réponses doivent être solides et documentées. Dans cette optique, il faut que les chercheurs ciblent très précisément la méthodologie qui donnera les résultats les plus fiables tout en étant ludique et confortable pour l’enfant.

En fonction du nombre de variables étudiées, des groupes d’âge ou des conditions à comparer, le nombre de participants minimum requis peut varier. Le plus souvent, au moins une trentaine d’enfants par groupe doivent participer. Il faut prévoir en plus de ce nombre des participations supplémentaires car il arrive que les résultats de tel ou tel enfant ne puissent être exploités, certains n’étant pas disponibles pour passer les différentes conditions de l’étude, ou n’ayant pas réalisé la tâche jusqu’à la fin.

BabyLab : dans le cerveau des bébés (La Maison des maternelles, décembre 2019).

Nous avons plusieurs types d’études. Certaines demandent un matériel spécifique, comme des caméras disposées d’une certaine façon ou un environnement identique pour tous. Nous avons alors besoin que l’enfant et son parent se déplacent au BabyLab. D’autres études peuvent être réalisées à domicile, le chercheur s’y déplace avec son matériel.

Parfois, nous avons juste besoin que le parent se mette en situation et qu’il réalise lui-même les enregistrements qu’il partage ensuite, par exemple lorsque nous avons besoin que le parent se filme avec son bébé en train de chanter une certaine comptine à son bébé.

Enfin, certaines études ne requièrent qu’un échange en visio ou de remplir un questionnaire, comme pour l’étude que nous conduisons actuellement sur le vécu parental du sommeil du bébé. En général, quel que soit le type d’étude, les familles qui ont participé à une étude (ou plusieurs parfois) apprécient d’avoir découvert leur enfant sous un autre angle, éclairées par les explications du chercheur.

Le travail d’analyse des données

Une fois le nombre de participations requis atteint, les chercheurs travaillent sur l’analyse des données. C’est un temps long, surtout quand certaines analyses reposent sur des micro-codages (milliseconde par milliseconde) des vidéos ou des données physiologiques (comme le rythme cardiaque ou d’autres marqueurs de l’attention), des enregistrements vocaux et encore plus quand il faut combiner ces données entre elles.

Vient ensuite le travail d’écriture pour partager avec la communauté scientifique ces résultats : cette phase est aussi longue, plusieurs semaines à plusieurs mois parfois, car les chercheurs sont engagés dans différentes activités de recherche, mais aussi logistiques, administratives, financières (pour chercher des financements) et d’enseignements.

Une fois écrit, l’article scientifique fait l’objet d’un processus d’expertise, qui s’étale souvent sur plusieurs mois. Chacun de ces articles scientifiques remercie (anonymement) les familles pour leur participation sans laquelle la recherche n’aurait pu aboutir. À ce moment-là, les bébés qui ont participé ont bien grandi.

Jeunes enfants apprennent l’alphabet avec leurs parents
Certaines études nécessitent du matériel et se passent en laboratoire, d’autres au domicile des familles. Shutterstock

Les participations des familles sont bien encadrées : toutes les recherches respectent le code éthique de la recherche et répondent aux exigences de protection des données. Les parents sont informés avant leur participation des caractéristiques de l’étude et nous leur demandons systématiquement de donner leur accord par écrit. Ils sont libres de changer d’avis à tout moment, sans contrepartie. Les données dont nous avons besoin sont rendues anonymes et ne servent qu’aux besoins de la recherche et le délégué à la protection des données de l’institution veille au respect de la réglementation générale sur la protection des données (RGPD).

Les participations individuelles prennent toute leur valeur lorsque suffisamment d’enfants ont participé à l’étude. Plus les participants sont nombreux, avec des profils sociodémographiques et culturels variés, plus les résultats seront fiables… De ce fait, cette partie du travail, c’est-à-dire le recrutement et le recueil des données, peut facilement s’installer dans la durée.

Notons qu’il faut trouver le bon moment pour rencontrer chaque enfant individuellement et parfois pour plusieurs sessions, espacées de plusieurs semaines ou mois, si nous avons besoin de revoir votre bébé à différents moments de son développement. L’étude EVOC a ainsi suivi 24 familles tous les 15 jours pendant 5 mois pour recueillir des données rendant compte du développement vocal précoce du bébé. Ces données recueillies en 2012 constituent à ce jour une source de données toujours étudiées.

Diffuser les connaissances au grand public

La communication scientifique des résultats est l’étape clé pour permettre aux connaissances nouvellement acquises de se diffuser. Les chercheurs alimentent avec ces résultats leurs enseignements aux futurs psychologues, mais aussi auprès d’autres professionnels de la petite enfance à l’occasion de congrès, comme ceux organisés par Association pour la Recherche et l’(In) formation en Périnatalité (ARIP) ou ceux de la World Association Infant Mental Health (WAIMH), Association Mondiale pour la Santé Mentale du Nourrisson, dont il existe une représentation française.

Cette diffusion auprès des professionnels a permis par exemple aux crèches d’adapter leur fonctionnement, les espaces et leur organisation : deux tout-petits ne se disputent pas un jouet, c’est juste qu’à un certain âge, ils ont besoin de faire les mêmes choses, ensemble, de s’imiter pour se socialiser. Ce sujet a été étudié dans les années 1980 puis progressivement les professionnels s’en sont emparés : actuellement, les crèches disposent ainsi de plusieurs exemplaires des mêmes jouets pour leur permettre d’exprimer sereinement ces comportements.


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Avec le développement des BabyLabs, les acteurs de la recherche et les professionnels de la petite enfance s’attachent à travailler conjointement, sur des questions dites de recherche-action dans lesquelles une pratique de l’institution est modifiée et les effets de ce changement vont être évalués. Dans le cas de l’imitation évoqué précédemment, il s’agit d’évaluer si les comportements des enfants en section sont plus apaisés lorsque plusieurs exemplaires des mêmes jouets sont en libre accès.

Les participations des familles sont donc indispensables pour les chercheurs des BabyLabs qui auront le plaisir de mettre en commun les 7 et 8 décembre prochains, à l’université de Nanterre, toutes les nouvelles avancées permises par ces participations précieuses.

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