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Photo de la bibliothèque de Harvard Business School.
Les valeurs religieuses caractéristiques de L’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours ont modelé la Harvard Business School (Photo), dirigée par l’un de ses membres, Kim B. Clark, de 1995 à 2005. Wikimedia commons, CC BY-SA

Comment les saints des derniers jours influencent le management mondial

C’est en 1830 aux États-Unis que L’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours a été fondée, à la suite du Second Grand Réveil, par Joseph Smith (1805-1844) qui affirmât, avoir reçu plusieurs révélations dans ce but. Cette Église, qui se revendique comme la restauration de celle que le Christ lui-même avait établie sur la terre, est plus connue sous le surnom d’« Église mormone ». Celui-ci découle du Livre de Mormon, un des ouvrages considérés comme sacrés au même titre que la Bible, recueil d’écrits de plusieurs prophètes anciens dont Mormon qui les a compilés.

L’influence des « saints des derniers jours », nom des membres de cette église, sur le management, aux États-Unis et plus largement dans le monde, peut être considérée comme une sorte de « miracle », d’autant plus qu’ils ne représentent que 2 % de la population américaine et 0,2 % de la population mondiale. Une surprenante proportion d’entre eux deviennent en effet des leaders managériaux ou politiques en plus d’être des leaders religieux. Le sénateur Mitt Romney est l’exemple le plus connu à avoir accumulé plusieurs fonctions de dirigeant dans ces trois domaines.

Le leadership selon Mitt Romney, conférence à la Stanford Graduate School of Business (2015, en anglais).

Que ce soit dans le monde académique ou dans celui des affaires, les principes managériaux des saints des derniers jours semblent avoir un retentissement hors norme et leur permettre d’obtenir des résultats remarquables. Les écrits soulignent que leurs managers ont un talent particulier pour les affaires. Notre travail de recherche confirme qu’ils ont façonné le management moderne et caractérise leur discours ainsi que leurs pratiques.

Une influence sur le monde académique

Les valeurs religieuses caractéristiques de L’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours ont modelé la Harvard Business School, dirigée par un de ses membres, Kim B. Clark, de 1995 à 2005. Son décanat est caractérisé par des attributs tels que la compassion, l’intégrité et l’honnêteté. Clark a également réorienté la stratégie de l’école vers un enseignement basé sur des études de cas et un apprentissage par l’action, ainsi que les paraboles et les jeux de rôle souvent pratiqués dans l’Église.

Clayton M. Christensen (1952-2020), un autre saint des derniers jours, a ensuite été titulaire de la Chaire « Kim B. Clark en administration des affaires » de Harvard. Comme Clark, Christensen est l’auteur de plusieurs best-sellers et a inventé, en 1997, le concept d’« innovation disruptive » dans son ouvrage Le dilemme de l’innovateur. Classé 4 fois dans le top 3 des penseurs en management entre 2011 et 2017, dont 2 fois premier, ce gourou de l’innovation aurait influencé l’emblématique patron d’Apple Steve Jobs, le cofondateur de Netflix Reed Hastings et celui d’Intel Andrew Grove.

Clayton M. Christensen, le père de la disruption (Xerfi Canal, 2016).

Selon l’historien Stephen Mansfield, les saints des derniers jours ont atteint « des sommets inattendus dans la société américaine » parce que leur religion, une de celles dont la croissance est la plus rapide, « peut être appelée avec bienveillance une “machine mormone”, un système de responsabilisation individuelle, d’investissement familial » qui repose sur « une communauté inclusive ». Pour lui, l’Église aide ses membres « à prospérer dans les systèmes administratifs et les hiérarchies, une clé essentielle du succès dans le monde moderne ».

Deux siècles de saga managériale

L’approche managériale des saints des derniers jours est le fruit de leur histoire, faite à la fois de persécutions et d’extraordinaires « success stories ». Il s’agit d’une véritable « saga » au sens stratégique du terme. Les persécutions leur firent vivre leur religion avec davantage d’intensité, en développant l’esprit de labeur et de cohésion ainsi qu’une résilience hors du commun face à l’adversité. Les saints des derniers jours ont en outre un héritage de bâtisseurs, ayant fondé de nombreuses grandes villes de l’ouest des États-Unis.

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Abraham O. Smoot est l’un des premiers saints des derniers jours qui a eu beaucoup de succès dans les affaires. Baptisé à 20 ans, en 1835, il rejoint Salt Lake City dans l’Utah en 1847 et en devient le deuxième maire de 1857 à 1866. Puis, à la demande du président de l’Église, il s’installe dans la ville voisine de Provo dont il devient également maire de 1868 à 1880. Il y dirige plusieurs entreprises et crée deux banques. Il finance la construction de routes, de voies de chemin de fer, de bâtiments religieux, ainsi que la première université de l’Utah, The Brigham Young Academy, qui deviendra Brigham Young University.

John Moses Browning est né en 1855 dans une dynastie de pionniers saints des derniers jours. Dès ses six ans, John travaille dans l’atelier de son père, armurier du Tennessee converti en 1842. À 22 ans, il crée la Browning Arms Company où il conçoit presque toutes les armes utilisées par les soldats américains durant la Première et la Seconde Guerre mondiale, ainsi que le pistolet 9 mm semi-automatique hi-power utilisé par la police dans le monde entier. Il vendra plus de 120 brevets, d’abord à l’armurier américain Winchester, puis à la Fabrique Nationale Herstal à Liège en Belgique.

John Moses Browning, le plus brillant et prolifique inventeur d’armes de tous les temps (Comando Chanel, 2019, en anglais).

Au cours de leurs aventures entrepreneuriales, les Browning s’associent avec les Eccles, autre grande dynastie de saints des derniers jours dont est issu le banquier Marriner Stoddard Eccles. Contemporain et précurseur de John Meynard Keynes, il concevra le volet économique du New Deal de Franklin. D. Roosevelt. Il est à l’origine de la philosophie qui sous-tend le fonctionnement et l’indépendance de la Réserve fédérale (Fed) dont il est le Chairman (gouverneur général) de 1934 à 1948. À ce titre, en 1944, il représente les États-Unis à la Conférence de Bretton Woods qui donne naissance au système monétaire international incarné par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI).

En 1927, John Williard Marriott Senior a fondé le groupe Marriott Corporation, devenu Marriott International en 1993. Fils de berger ayant connu l’extrême pauvreté, il s’est lancé dans l’entrepreneuriat en créant un stand de boisson et a ensuite développé son entreprise pour en faire une chaîne de restauration et d’hôtellerie. Sa recherche de la perfection lui a permis de léguer en 1985 à son fils Bill la gestion de 1400 restaurants, 143 hôtels et deux parcs d’attractions, en plus d’une aura légendaire typique de l’American Dream.

Leçons de leadership par Bill Marriott (Marriott International, 2014, en anglais).

Sous la direction de son fils Bill Marriott, le groupe poursuit sa croissance, devenant le plus grand groupe hôtelier du monde avec un chiffre d’affaires de 21 milliards de dollars en 2019, grâce à 1,48 million de chambres dans 8000 propriétés de 30 marques présentes dans 139 pays. Marriott International représente 7 % des hôtels dans le monde et 22 % des constructions.

Aujourd’hui, la saga continue…

En plus de Mitt Romney, co-fondateur de la société de gestion d’actifs Bain Capital, qui a fait de lui un multimillionnaire, devenu mondialement célèbre pour s’être présenté à la présidence des États-Unis en 2012 face à Barack Obama, de nombreuses figures managériales issues de l’Église de Jésus-Christ ont eu un succès extraordinaire au cours des dernières décennies.

Notre travail de recherche s’attarde particulièrement sur Jon Huntsman, Sr., fondateur du groupe pétrochimique Huntsman Corporation devenu milliardaire grâce à des dizaines d’inventions dont de nouveaux types d’emballages. Ce philanthrope a également créé l’Institut du cancer de l’Université de l’Utah qui porte son nom.

Président du Conseil d’administration de Huntsman Corporation pendant de nombreuses années, Nolan D. Archibald, est devenu, à 42 ans, le président-directeur général du géant américain de l’outillage Black & Decker et le plus jeune dirigeant d’une des 500 plus grandes entreprises américaines (Fortune 500). Il restera à ce poste pendant 24 ans. On citera également Edwin Catmull, génie des effets spéciaux et de l’animation graphique 3D, co-fondateur et président de Pixar et de Walt Disney Animation Studios de 2006 à 2019.

Ed Catmull, co-fondateur de Pixar, raconte l’évolution du leadership de Steve Jobs (97th Floor, 2014, en anglais).

David Neeleman est un serial entrepreneur américano-brésilien fondateur de cinq compagnies aériennes : (1) JetBlue, une des plus grandes compagnies aériennes nord-américaines low cost ; (2) WestJet, deuxième compagnie aérienne canadienne derrière Air Canada ; (3) Morris Air, compagnie low cost vendue à Southwest Airlines en 1993 ; (4) Azul Brazilian Airlines, plus grande compagnie aérienne brésilienne en nombre de vols ; et (5) Breeze Airways, lancée en mai 2021, en pleine pandémie, qui connecte des aéroports américains secondaires peu desservis. David Neeleman rappelle souvent qu’en plus de son activité professionnelle intense, il est le père de dix enfants qui sont sa priorité.

Si ces succès peuvent paraître exceptionnels, l’Utah, dont 55 % de la population adulte est membre de l’Église de Jésus-Christ, est le premier état des États-Unis en termes de création d’emplois en 2022, avec 3,5 % d’emplois créés sur une année et un taux de chômage à 2,1 % en septembre 2022, pour une moyenne nationale à 3,7 %. Les secteurs les plus dynamiques sont la vente, la construction, les services publics, les transports et surtout les technologies digitales avec la fintech, la biotech ou l’aérospatiale. Les créations d’entreprises dans tous les secteurs y sont particulièrement nombreuses. L’Utah est aussi de très loin l’état américain qui a le mieux géré la pandémie de Covid-19 selon le Wall Street Journal, preuve de résilience face aux crises.

Foi, révélation, bienveillance, unité et famille

L’élément le plus important pour comprendre les pratiques managériales des saints des derniers jours est la puissance de leur foi, qui pour eux à réellement le pouvoir de déplacer des montagnes, c’est-à-dire métaphoriquement de leur permettre de réaliser l’impossible. Le pouvoir de la foi permet aussi de surmonter les épreuves, et même de les considérer comme des bénédictions car elles stimulent la progression et l’acquisition de nouvelles compétences.

Les saints des derniers jours croient en la révélation continue et ils communiquent avec Dieu grâce à plusieurs prières quotidiennes. Tous les managers interrogés dans notre étude ont indiqué qu’ils avaient besoin de consulter Dieu pour les aider à faire certains choix professionnels.

Quand ils rencontrent le succès, les saints des derniers jours l’attribuent à la main de Dieu qui les a guidés. Ils affirment qu’ils peuvent même aller contre leurs raisonnements pour suivre les conseils divins et leur intuition.

Les managers saints des derniers jours revendiquent une certaine bienveillance envers leurs collaborateurs, leurs clients et la société en générale, ainsi que la volonté d’exercer une influence positive sur le monde. Si les managers interrogés sont conscients que l’on peut abuser de leur gentillesse et qu’elle peut être prise pour de la faiblesse, ils ne la conditionnent pas à une forme de réciprocité. Si cette bienveillance implique la patience et le pardon, celle-ci ne tolère pas la mise en péril de l’entreprise et ne doit pas se transformer en laxisme.

Une autre clé pour comprendre les pratiques managériales des saints des derniers jours est la place essentielle de la famille dans leur vie. Beaucoup d’entre eux travaillent en famille, avec leur conjoint, leurs enfants, leurs frères et sœurs ou des personnes plus éloignées. Les managers interrogés tentent aussi de créer un esprit de famille dans leur entreprise. Ils accordent à leurs collaborateurs une flexibilité exceptionnelle afin de privilégier leur vie personnelle par rapport à leur vie professionnelle.

Cependant, la diversité sous toutes ses formes est extrêmement importante. Les saints des derniers jours n’hésitent pas à recruter des personnes complètement étrangères à leur communauté, mais qui partagent un même socle de principes professionnels. Par leur comportement, ces leaders éthiques parviennent à susciter la reconnaissance, la confiance, la loyauté et la fidélité de leurs collaborateurs qui en retour cultivent autonomie, engagement, solidarité et unité au travail.

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