Menu Close

Conversation avec Albert Meige : « Dans le monde du travail, l’intelligence artificielle pose la question essentielle de la transition »

Une question de transition. Ecole polytechnique/Visual Hunt, CC BY-SA

Physicien, entrepreneur et directeur de formation à HEC, Albert Meige, à travers ses différentes fonctions, reste concentré sur un objectif : celui d’accompagner la mutation des entreprises à l’heure où l’intelligence artificielle se développe. Le polytechnicien a participé au débat, « Intelligence artificielle : l’homme détrôné ? », lors de la huitième édition des Tribunes de la presse à Bordeaux. Entretien.


Dans un rapport datant de décembre 2017, la présidente de la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés), Isabelle Falque-Pierrotin, avance que « l’intelligence artificielle est le grand mythe de notre temps ». Partagez-vous cet avis et comment définiriez-vous l’intelligence artificielle ?

Albert Meige. LinkedIn

Albert Meige : Il y a une définition qui me plaît : l’intelligence a la capacité d’accomplir un objectif complexe. Certes, une fois que l’on a dit cela, on n’a pas dit grand-chose. Aller acheter une baguette de pain, par exemple, peut être un objectif complexe. Faire faire cela par une machine n’est pas forcément évident. Il existe plusieurs degrés d’intelligence artificielle (IA).

L’idée récurrente que la machine sera équivalente à l’intelligence humaine entretient le mythe. À un moment, nous allons très certainement atteindre ce point dit de singularité, c’est-à-dire la complémentarité entre intelligence humaine et artificielle. Un phénomène exponentiel va se mettre en place, d’autant plus que la machine ira toujours plus vite que l’homme. Les experts technologiques de l’IA s’accordent à dire que cela arrivera dans le futur. La grande question est la suivante : quand ? Les optimistes pensent que cela se passera sous dix ou vingt ans, et les pessimistes, dans une centaine d’années. L’humoriste Pierre Dac disait « les prédictions, c’est compliqué, surtout quand cela concerne le futur. »

Vous avez fondé une start-up, Presans, qui développe un nouveau modèle d’entreprise. Pensez-vous que dans un futur proche, avec l’intelligence artificielle, l’organisation du travail va prendre une nouvelle forme ?

A.M. : Presans est une plate-forme numérique qui permet de mobiliser, à la demande, toutes sortes de talents ; une sorte de « Uber du talent de très haut niveau ». Elle s’inscrit dans ma vision de l’entreprise de demain. Par exemple, le groupe Total peut venir nous voir parce qu’il souhaite faire sauter rapidement un verrou technologique. Les dirigeants n’ont pas toutes les compétences en interne et se servent de la plate-forme pour aller chercher les experts qui vont compléter leurs équipes pour accélérer la résolution d’un problème.

Avec l’IA, nous allons vers une organisation du travail plus fluide. Est-ce que l’objet entreprise va continuer d’exister ? Oui, mais sous une forme assez différente. Dans l’Ancien Monde, on vendait une voiture. Dans le monde moderne, on vend une « voiture packagée », avec des fonctionnalités comme, par exemple, le Bluetooth pour téléphoner. Vraisemblablement, demain, on ne vendra plus uniquement une voiture en tant que telle, mais les différents usages qui y seront liés. Nous nous orientons donc vers des « entreprises fonctionnelles ». L’entreprise de l’avenir est aussi « data driven », les données irriguent tous ses services.

L’entreprise moderne utilise déjà des stratégies de plate-forme : elle ne développe pas tout elle-même, elle met en place une infrastructure numérique permettant de mobiliser tout un écosystème. Le retour en force des « entreprises à mission », également préoccupées par des questions sociales et environnementales, constitue la dernière caractéristique du monde du travail de demain. Les jeunes générations veulent de plus en plus donner un sens à leur activité professionnelle.

L’entrepreneur de l’espace Elon Musk vous inspire. Il avertit pourtant sur les dangers de l’intelligence artificielle. L’IA, dit-il, serait plus dangereuse que des bombes nucléaires. Êtes-vous d’accord avec cette remarque ?

A.M. : Dans le cadre des conflits armés, effectivement, les technologies peuvent avoir de lourds impacts. C’est sans doute l’esprit de la réflexion d’Elon Musk. En revanche, l’intelligence artificielle peut vraiment rendre le travail plus intéressant puisque toutes les tâches automatisables vont l’être petit à petit. Cela a commencé par ce que font historiquement les cols bleus, les ouvriers, mais cela touche de plus en plus de cols blancs comme les comptables, les notaires, les avocats…

En 2030, on prévoit que 80 % des actes médicaux seront automatisés. La grande question reste celle de la transition. Demain, que feront les gens qui accomplissent ces tâches mécaniques ?

Vous avez conseillé la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Frédérique Vidal, pour évaluer les politiques en faveur de l’entrepreneuriat étudiant cette année. Quel regard portez-vous sur ce secteur ? Les jeunes vous paraissent-ils sensibilisés à l’intelligence artificielle ?

A.M. : La commande initiale était de faire un bilan de la politique publique sur toutes les initiatives qu’il y a eu depuis 5 ans pour favoriser l’entrepreneuriat étudiant. Ce rapport s’articule autour de la question suivante : « Comment aller plus loin dans la formation de l’esprit d’entrepreneur chez les jeunes ? » Former les jeunes à cet environnement professionnel va permettre de créer de l’emploi et de la compétitivité. Cela contribue à rendre les gens plus employables.

Il y a une citation de Montaigne que j’aime beaucoup : « L’élève n’est pas un vase que l’on remplit, c’est un feu que l’on allume ». Autrement dit, il faut passer du mode « je te forme, et tu trouves un travail », au mode « je t’apprends à apprendre et tu crées ton activité ». La Finlande, par exemple, vient d’annoncer qu’elle supprimait toutes les matières à l’école, pour travailler de manière transdisciplinaire. C’est très précurseur. En France, nous en sommes encore très loin.


Propos recueillis par Édith Rousselot et Alix Fourcade, étudiantes en première année de master à l’Institut de Journalisme Bordeaux Aquitaine (IJBA), sous la supervision de Marie-Christine Lipani maître de conférences habilitée à diriger des recherches à l’IJBA.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,600 academics and researchers from 4,945 institutions.

Register now