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Le technicien de recherche Leon McFarlane manipule un échantillon de sang d'un volontaire dans le laboratoire de l'Imperial College de Londres, où un vaccin Covid-19 est en cours de développement, le 30 juillet. (AP Photo/Kirsty Wigglesworth)

Le Canada achète beaucoup de vaccins contre la Covid-19. Voici pourquoi il devrait faire plus pour les pays pauvres

Lorsque le discours du Trône a été prononcé le 23 septembre, le Canada avait déjà engagé plus d’un milliard de dollars dans des accords d’achat anticipé avec cinq sociétés pharmaceutiques pour un minimum de 154 millions de doses de vaccins. Deux jours plus tard, le Canada a conclu un autre accord avec une autre société, AstraZeneca, pour 20 millions de doses supplémentaires, couvrant ainsi ses paris sur le choix des candidats vaccins qui arriveront les premiers.

Ce faisant, le Canada rejoint la première ligue des « nationalistes du vaccin », une poignée de pays riches qui ont préacheté (jusqu’à présent) plus de la moitié de l’offre mondiale de vaccins à court terme.

Il est compréhensible que les pays veuillent s’assurer de leur capacité à protéger la santé de leurs citoyens. Mais la majeure partie de la population mondiale vit dans des pays qui ne disposent pas des mêmes ressources financières pour participer au concours mondial de vaccins « moi d’abord ». Les efforts visant à faire passer les intérêts nationaux avant la santé collective mondiale se traduisent par un ralentissement des progrès et une capacité limitée de mise en commun des ressources au niveau mondial ; tout en faisant passer les intérêts des pays riches avant ceux des autres, ce qui a des effets dévastateurs.

Une modélisation récente a permis de comparer deux scénarios pour l’attribution des trois premiers milliards de doses d’un vaccin efficace à 80 %. Le scénario « non coopératif » — dans lequel deux milliards de doses sont directement distribuées aux pays à revenu élevé, et le reste à tous les autres — entraînerait 28 % de décès de plus qu’un scénario « coopératif », dans lequel les trois milliards de doses sont distribuées dans le monde entier, proportionnellement à la taille de la population.

Que peut faire le Canada ?

Pour commencer, notre engagement envers la garantie de marché (Advanced Market Commitment or AMC) du dispositif COVAX, de l’Organisation mondiale de la santé, devrait, au minimum, correspondre à ce que nous investissons dans l’achat de vaccins destinés à être utilisés au Canada. L’installation gère le portefeuille de candidats vaccins le plus important et le plus diversifié au monde. Les pays à revenu élevé comme le Canada qui adhèrent au COVAX ont la possibilité d’acheter des vaccins approuvés par l’intermédiaire du mécanisme, même s’ils ont déjà conclu des accords d’achat bilatéraux avec des sociétés de vaccins. Le 25 septembre, le Canada a annoncé qu’il le ferait, s’engageant à verser 220 millions de dollars pour acheter 15 millions de doses de vaccins supplémentaires à l’installation au fur et à mesure qu’ils sont approuvés.

Plus important encore, la garantie de marché de l’installation permettra de fournir des vaccins à plus de 90 pays pauvres éligibles qui ne peuvent pas se les payer par eux-mêmes. Pour ce faire, l’AMC doit réunir 2 milliards de dollars d’ici décembre, avec l’objectif à court terme de vacciner 3 % de la population des pays COVAX. Au 21 septembre, seulement 700 millions de dollars avaient été promis. Le 25 septembre, le Canada s’est engagé à verser 220 millions de dollars à l’AMC, en plus des 25 millions de dollars qu’il avait déjà donnés. C’est bienvenu et louable, mais c’est également insuffisant.

L’objectif à long terme de l’AMC est d’atteindre 20 % — un objectif qui permettra aux travailleurs de la santé et aux populations vulnérables des pays pauvres de recevoir des vaccins — mais cela dépendra entièrement de la générosité des pays à revenu élevé, des philanthropes et des sociétés pharmaceutiques qui feront des dons à l’AMC.

COVAX vise à garantir un accès mondial équitable aux vaccins Covid-19.

Il faut beaucoup plus de fonds pour l’AMC, maintenant et à l’avenir. Nous soutenons que le Canada devrait s’engager à verser un dollar par dollar à l’AMC en fonction de ce qu’il dépense pour ses propres achats de vaccins. Cela signifierait qu’il devrait fournir jusqu’à un milliard de dollars de plus que sa promesse actuelle de garanties de marché, les fonds étant versés par l’intermédiaire de l’enveloppe d’aide publique au développement (APD) de notre pays. Le Canada a des obligations mondiales en vertu de déclarations internationales à cet effet.

Le Canada affirme être une voix pour l’équité et les droits de la personne, tant au niveau national que mondial. Les actes sont plus éloquents que les mots. Au cours des dernières années, le Canada n’a pas été particulièrement généreux dans son aide à l’étranger. En 2019, nous nous sommes classés 17e sur 30 dans le club des pays donateurs de l’OCDE, ne contribuant qu’à hauteur de 0,27 % de notre revenu national brut, sans augmentation prévisible. Un complément immédiat d’un milliard de dollars à la garantie de marché ne nous permettrait toujours pas d’atteindre l’objectif de 0,7 % d’APD que nous avons promis depuis longtemps.


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Un milliard de dollars est une somme d’argent conséquente. Toutefois, il ne représente qu’un cinquième du montant que le gouvernement fédéral emprunte chaque semaine depuis mars à la Banque du Canada (dont il est propriétaire) pour financer ses programmes d’aide en cas de pandémie. La plupart des pays moins bien dotés n’ont pas la même capacité d’emprunter indéfiniment auprès de leur propre banque centrale et doivent plutôt se tourner vers des créanciers étrangers, avec les risques de surendettement que cela implique ; ou s’en passer.

Fabrication de vaccins

Selon le PDG du plus grand fabricant de vaccins au monde, le Serum Institute of India, même avec une capacité mondiale accrue, il faudra peut-être attendre 2024 avant qu’il y ait suffisamment de doses pour la population mondiale. En plus d’assurer un soutien plus généreux à l’installation COVAX, le Canada peut également accroître sa propre capacité de fabrication de vaccins. Il est déjà sur la voie de le faire, avec l’investissement de 126 millions de dollars du gouvernement pour une nouvelle installation à Montréal. L’objectif de l’installation est de produire deux millions de doses de vaccins par mois pour un usage domestique d’ici l’été 2021.

Pourquoi ne pas doubler cet investissement et réserver la moitié de la production à l’AMC pour répondre aux besoins mondiaux urgents ? Cela signifierait pour tous les Canadiens l’importance d’une réponse collective à cette pandémie.

La santé publique est mondiale

Alors que le monde attend avec impatience l’arrivée d’un vaccin efficace, il est important de se rappeler trois choses. Premièrement, l’efficacité à long terme de tout vaccin restera incertaine pendant un certain temps. Deuxièmement, même si l’immunité collective à la Covid-19 finit par se développer, il y aura presque certainement une autre nouvelle infection dans un avenir proche. Troisièmement, une façon de faire face à la fois aux risques futurs de pandémie et à la pénurie actuelle de vaccin Covid-19 est d’adopter l a gamme des interventions non pharmaceutiques qui peuvent aplatir et même contenir les courbes infectieuses. Cela est particulièrement vrai dans les pays où la moitié de l’humanité n’a toujours pas accès aux soins de santé essentiels.

La gouverneure générale Julie Payette et le premier ministre Justin Trudeau attendent le discours du trône dans la salle du Sénat à Ottawa, le 23 septembre. Le discours a souligné l’engagement du Canada à garantir l’accès mondial à un vaccin Covid-19. La presse canadienne/Adrian Wyld

Tous les pays ont besoin d’un personnel de santé publique plus nombreux : plus d’infirmières, de testeurs, de personnes chargées de la recherche des contacts et d’agents de santé communautaire. Tous les pays ont besoin d’une couverture santé universelle, l’un des objectifs de développement durable que le monde (y compris le Canada) s’est engagé à atteindre d’ici 2030. Mais c’est la moitié la plus pauvre de l’humanité qui en a le plus besoin.

Ainsi, si le Canada et d’autres pays riches, dans leur nationalisme vaccinal, continuent par inadvertance à exclure les pays pauvres de l’accès à la santé, ils devraient compenser en souscrivant massivement les investissements dont ces pays ont besoin pour assurer la protection sociale, le soutien des revenus et la sécurité alimentaire indispensables à la santé de leurs citoyens, et pour renforcer leurs systèmes de santé en les dotant de la capacité, en matière de santé publique, de réprimer les épidémies dès qu’elles se produisent.

Il est dans notre propre intérêt national de le faire. Comme l’a conclu le discours du Trône du 23 septembre :

« Nous ne pouvons pas éliminer cette pandémie au Canada si nous n’y mettons pas fin partout. »

This article was originally published in English

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