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Les RH dans tous leurs états

Le droit à l'erreur : un projet de loi créateur de confiance?

Bureaucratie. manoftaste.de on VisualHunt , CC BY

En 1979, Michel Crozier publiait aux éditions Fayard, un ouvrage intitulé « On ne change pas la société par décret ». Il y critique le conservatisme et l'immobilisme de l'administration française. Le sociologue souligne l’importance de travailler avec les acteurs de la société civile et s’inquiète de la propension de certains gouvernants à vouloir tout changer par la loi.

Les choses ont elles évolué depuis 1979 ? En 2017, le gouvernement d'Emmanuel Macron tente de changer l'administration par décrets. Le droit à l'erreur est donc envisagé et débattu en conseil des ministres le 27 novembre 2017.

Une simplification administrative en plusieurs étapes

Depuis plusieurs années, les gouvernements successifs peinent à faire évoluer un système administratif complexe et peu lisible pour les usagers/contribuables. Le gouvernement présente ses mesures de simplification sur un site dédié. La simplification administrative est en marche depuis la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l'allégement des démarches administratives _.

En mars 2013, encore un essai pour simplifier: le « choc de simplification » est présenté par le gouvernement. Le terme est fort et les attentes des usagers également.

Un Conseil de la simplification pour les entreprises a ainsi été créé en janvier 2014, avec pour objet de guider le Gouvernement dans ses orientations stratégiques concernant la politique de simplification, de suivre les réalisations, de contribuer à une bonne communication des résultats et de faire de nouvelles propositions de simplification. Un site met à jour les différentes étapes de mise en oeuvre de ces mesures de simplification. La préoccupation politique est donc aussi forte que les enjeux qui en découlent.

La réforme forcée

Depuis son élection, le président Macron a fait le pari de réformer, conformément aux promesses de campagne. Pour y parvenir, il utilise des décrets permettant la mise en application des ordonnances publiées au Journal officiel du 24 septembre 2017. Il s'agit d'une tentative de changer notre société « bloquée », par décrets.

Déjà lors du vote de la loi travail en juillet 2016 (LOI n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels), le recours au 49-3 (titre 5 de la constitution du 4 octobre 1958, article relatif aux rapports entre le gouvernement et le parlement), avait alors fait couler beaucoup d'encre. Ce passage en force n'a pas été apprécié des partenaires sociaux.

Le droit à l'erreur ou comment tenter de mettre l'usager en confiance

Le projet de loi « pour un Etat au service d’une société de confiance » prévoit le droit à l'erreur. Ce projet de loi s'inscrit dans le cadre du programme « Action publique 2022 » dont l'un des objectifs est d'améliorer la qualité des services publics.

Mais qu'est ce que la confiance?

C'est un concept polysémique. La confiance est un élément essentiel dans les échanges et dans l’analyse des organisations en tant que systèmes sociaux. La confiance contribue au développement de la relation (Doz, 1996). La confiance est la croyance non calculatoire en l’intégrité morale ou le goodwill des autres, dont les acteurs économiques dépendent pour la réalisation des buts collectifs et individuels quand ils s’impliquent dans une relation aux résultats futurs imprévisibles. » (Ring, 1996, p. 156). Elle est une forme particulière du sentiment de sécurité(Giddens, 1990).

Elle facilite l’émergence de contrats psychologiques. Mais sur d'autres sujets, le gouvernement a rompu le contrat psychologique. Est-il possible de restaurer la confiance par une loi?

La confiance peut évoluer au cours du temps, se modifier, peut disparaître, et revenir dans les relations. Entre autres mesures, le projet de loi « pour un Etat au service d’une société de confiance »​ instaure le droit à l'erreur. Malheureusement, la loi prévoit beaucoup d'exceptions, ce qui ne va pas dans le sens de la simplification

Il s'agira de donner la possibilité à chacun de se tromper dans ses déclarations à l’administration sans risquer une sanction dès le premier manquement. Chacun doit pouvoir rectifier, spontanément ou au cours d’un contrôle, lorsque son erreur est commise de bonne foi.

Ce droit à l'erreur existait déjà avec le rescrit qui permet à l'usager d'interroger l'administration sur son interprétation d'un texte afin d'éviter toute erreur. La prise de position de l'administration lui est alors opposable. Le silence gardé par l'administration pendant 2 mois vaut acceptation de la demande, sauf dérogations expresses. On parle ainsi de rescrit fiscal (avec l'administration fiscale) ou de rescrit social (avec l'URSSAF, CGSS). Il s'agit d'interroger l'administration sur l'application de certaines règles . Le projet de loi prévoit d'étendre les possibilités de recours au rescrit.

Le droit à l’erreur, dans le projet de loi, se déclinerait de plusieurs manières dans le domaine fiscal et social. Il modifierait notamment les relations avec l’inspection du Travail qui ne sanctionnera plus automatiquement l’entreprise qu’elle contrôle pour certaines infractions mais pourra donner un simple avertissement dès lors qu’il n’y a pas d’intention frauduleuse.

La confiance portée à l'administration: le silence vaut-il accord?

La loi du 12 novembre 2013 habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens pose le principe selon lequel le silence gardé par l’administration sur une demande vaut accord. Ce principe est codifié à l’article L. 231-1 du code des relations entre le public et l’administration. En revanche, curieusement, l’article 1120 du Code civil introduit par l’ordonnance du 10 février 2016 prévoit désormais que « le silence ne vaut pas acceptation» sauf exceptions. Difficile donc pour l'usager de savoir s'il entre dans le cadre des exceptions et s'il bénéficie de la possibilité d'un rescrit, et ce que signifie un silence de l'administration.

Le gouvernement table donc désormais sur la bienveillance de l'administration. Concepts managériaux très utilisés, la bienveillance et la confiance ne sont pas souvent utilisés en politique. Le gouvernement Macron, à la façon d'un comité de direction va donc tenter d'instaurer la confiance avec l'administration et simplifier les relations avec les usagers. Vaste et courageux chantier. Difficile d'imaginer que la réforme va s'engager facilement. Imposer la confiance par la loi semble compliqué. Mieux vaudrait peut être la conquérir.

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