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Les GAFAM acquéreurs de start-up, prédateurs ou accélérateurs de l’innovation ?

Logos de Google et Youtube sur un téléphone portable.
YouTube, créé en 2005, serait-elle devenue la plate-forme la plus populaire de visionnage de vidéos si elle n’avait pas été acquise en 2006 par Google ? Robyn Beck/AFP

Depuis 2001, Google/Alphabet a acquis 250 start-up. Apple 123 depuis 1988. Facebook/Meta 95 depuis 2005. Amazon 113 depuis 1998. Microsoft 273 depuis 1987. Ces acquisitions par les GAFAM constituent-elles une menace ou une opportunité pour l’innovation ? La réponse peut influencer le comportement du législateur.

En 2021, aux États-Unis, le président Joe Biden nomma Lina Khan à la direction de la Federal Trade Commission dont la mission est de protéger le consommateur en interdisant la création de position monopolistique par de grandes entreprises. Cette nomination constitua un choc pour l’industrie high-tech et plus particulièrement pour les GAFAM.


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En effet, cette professeure de droit à l’université Columbia s’est fait connaitre en 2017 par un article dans le Yale Law Journal dans lequel elle estime que les lois antitrust sont inadaptées pour réguler des plates-formes comme Amazon ou Google. Elle affirme que l’acquisition de start-up par les GAFAM constitue une forme de prédation de l’innovation par ces entreprises qui souhaitent éviter l’émergence de concurrents et se constituer des positions monopolistiques. Du fait de la taille très modeste des start-up, ces acquisitions ne sont pas soumises aux fourches caudines de la FTC. Depuis sa nomination, Lina Khan mène une croisade juridique et médiatique contre les GAFAM pour les empêcher d’acquérir ces start-up au nom de l’intérêt général, de la lutte contre les monopoles et pour favoriser l’innovation.

Les start-up, initiateurs d’innovation

Pourtant, l’histoire industrielle est pavée d’entreprises (DEC, IBM, Xerox, ATT, Kodak, Hewlett-Packard, Alcatel…) qui ont connu de grandes difficultés ou disparu malgré des investissements massifs en recherche et développement. La leçon du XXe siècle est que ces investissements en R&D permettent rarement aux grandes entreprises de générer des innovations radicales porteuses de croissance. L’innovation radicale reste souvent initiée par des start-up hors des frontières des grandes entreprises.

Comme nous l’avions montré dans un article de recherche de 2009, dans le nouveau paradigme de l’open innovation qui émerge au XXIe siècle, les grandes entreprises participent aux écosystèmes d’innovation pour trouver des leviers de croissance en acquérant des start-up. Dans ce modèle de management de l’innovation, elles externalisent la recherche et l’exploration de l’innovation et se focalisent sur le développement et l’exploitation des innovations acquises. C’est dans ce paradigme qui faut replacer les stratégies d’acquisition et développement (A&D) des grands groupes comme les GAFAM.

Ces acquisitions de start-up, loin de phagocyter l’innovation, contribuent à en financer la croissance pour en faire des « scale-up », le nom donné aux start-up qui réussissent. YouTube, créé en 2005, serait-elle devenue la plate-forme la plus populaire de visionnage de vidéos si elle n’avait pas été acquise en 2006 par Google et ainsi bénéficier des capacités financières, technologiques et commerciales de Google ? Est-ce qu’Android, créé en 2003, serait le système d’exploitation équipant aujourd’hui plus de 70 % des smartphones dans le monde si la start-up n’avait pas été acquise par Google en 2005 ? La même interrogation se pose concernant WhatApp, Oculus et Instagram qui ont été acquises par Facebook, LinkedIn acquise par Microsoft ou encore Audible et Zappos acquises par Amazon.

Dynamique vertueuse dans l’écosystème de l’Open Innovation

Cette généralisation des stratégies d’A&D a modifié le comportement de plusieurs acteurs des écosystèmes d’open innovation et a initié une dynamique vertueuse. Entrepreneurs, étudiants et universités créent ou encouragent la création de start-up en sachant qu’elles pourront être acquises par une grande entreprise et ainsi rétribuer l’initiative entrepreneuriale.

Nous avions montré dans nos recherches que la perspective de vendre les start-up à de grands groupes constituait aussi une incitation très forte pour les capital-risqueurs à investir. Ces derniers sont les « transiteurs » indispensables de l’innovation entre sa phase d’exploration menée par la start-up et celle d’exploitation réalisée par la grande entreprise. L’essentiel des sorties en capital des capital-risqueurs se fait dans le cadre de cession de leurs participations à de grands groupes ; l’introduction en bourse reste l’exception. En 2021, aux États-Unis, sur les 1538 sorties en capital réalisées par des capital-risqueurs, 1357 (soit 88,2 %) d’entre elles ont ainsi été le fruit d’une acquisition par une grande entreprise contre 181 via une introduction en bourse.

En amont de l’innovation, les grandes entreprises telles que les GAFAM participent massivement au financement des start-up et de l’écosystème d’open innovation à travers leurs fonds corporate de capital-risque. Le Google Venture fund détient plus de 8 milliards de dollars d’investissement dans des start-up dont certaines ont ou seront rachetées par la maison-mère. En 2021, aux États-Unis, les fonds de capital-risque des grandes entreprises ont contribué pour 142,2 milliards de dollars aux 332,8 milliards d’investissements en capital-risque réalisés dans le pays, soit 42,7 %.

Il faut donc replacer les acquisitions de start-up par les GAFAM et autres grands groupes dans le fonctionnement global des écosystèmes d’open innovation. Ces acquisitions favorisent l’accélération et l’industrialisation de l’innovation en apportant financement, compétences technologiques et marketing. Ces acquisitions constituent également un formidable mécanisme d’incitation à contribuer à la création de start-up innovantes pour les autres acteurs de l’écosystème, que ce soit les entrepreneurs, les salariés, les chercheurs universitaires, les capital-risqueurs et tous les prestataires de services rémunérés en actions ou stock-options de start-up.

Empêcher les grandes entreprises d’acquérir des start-up constituerait donc une remise en cause du fonctionnement de l’écosystème de l’open innovation et entrainerait le retrait d’acteurs critiques au cycle de vie de l’innovation. L’intérêt économique d’un groupe qui acquiert une start-up est de la développer pour nourrir sa croissance et rentabiliser son investissement. Quand Facebook a, en 2012, acquis la start-up Instagram (créée en 2010 ) pour un milliard de dollars, elle a ensuite massivement investi en ressources financières, technologiques et commerciales pour accroître le nombre d’utilisateurs de 30 millions en 2011 à plus de deux milliards fin 2021.

Un grand groupe qui phagocyterait une innovation complémentaire et non concurrente d’une start-up acquise serait économiquement irrationnel. Les grands groupes ont plutôt tendance à affaiblir les start-up qui refusent d’être rachetées, notamment en copiant leurs fonctionnalités. Netscape refusa en 1994 d’être racheté par Microsoft et finit par disparaitre face à la concurrence de Microsoft Explorer. En 2013, Snapchat refusa une offre de rachat de la part de Facebook et depuis ne cesse de voir son potentiel acquéreur l’affaiblir en la copiant.

Quel rôle pour le régulateur ?

Dès lors que l’on admet que ces acquisitions constituent un facteur d’accélération et non de prédation de l’innovation, il convient de s’interroger sur le rôle du législateur. Le danger est que lorsque l’innovation acquise arrive à maturité, elle acquiert une position monopolistique qui se fasse au détriment de nouvelles innovations.

Si Google Store était une entité indépendante, elle ne favoriserait pas les autres produits d’Alphabet. Il faut donc réguler les GAFAM quand leurs nouvelles activités sont arrivées à maturité. Le législateur pourrait imposer des scissions des innovations matures via des spin-off. Aujourd’hui, séparer YouTube de Google, Instagram de Facebook ou LinkedIn de Microsoft.

D’autre part, en matière d’innovation, l’Europe doit s’inquiéter de la faiblesse de son industrie du capital-risque. Les montants investis restent faibles et de plus en plus de fonds de capital-risque américains investissent en Europe et concurrencent les fonds européens avec des capitaux bien plus importants.

Depuis 2016, Insight Partners a réalisé 84 investissements dans des start-up européennes, Accel 59, Tiger Global Management 51 et Index Ventures 46. Ces fonds constituent le cheval de Troie des grandes entreprises américaines qui parfois financent ces capital-risqueurs qui leur donnent accès à des informations privées sur ces start-up européennes mais surtout les rachètent à des valorisations supérieures à celles offertes par de grandes entreprises européennes.

En 2021, les capital-risqueurs américains ont participé à 2210 tours d’investissement en Europe pour un montant de 70,7 milliards d’euros. Le montant médian de la levée de capital par une start-up européenne est de 38 millions d’euros quand un fond américain participe au tour de financement contre seulement 6,3 millions d’euros quand il n’y a pas d’investisseur américain.

L’important pour la souveraineté européenne est donc de développer une puissante industrie du capital-risque bien connectée avec les grandes entreprises du continent pour favoriser le développement des start-up innovantes. On est encore loin du compte. En 2021, les sociétés de capital-risque européennes n’ont levé que 18,2 milliards d’euros dont 18 % par des fonds d’entreprise.

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