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Des hommes et des femmes sont autour d'une table, en train de travailler
Dans les organisations, il est encore difficile de mettre en oeuvre des programmes destinés à atténuer les inégalités entre les hommes et les femmes. (Shutterstock)

Les inégalités entre les sexes persistent au travail : voici quelques pistes pour les atténuer

De nombreuses lois ont été instaurées dans les pays occidentaux pour réduire les inégalités entre les femmes et les hommes sur le marché du travail. Au pays, on peut penser à la loi sur l’équité salariale du gouvernement fédéral. De nombreuses entreprises nomment aussi des responsables EDI (équité, diversité et inclusion) afin de promouvoir la place des femmes. Ces mesures ne datent toutefois pas d’hier : les premières actions ont été prises depuis les années 1990.

Pourtant les inégalités demeurent. Sur le plan de la rémunération cet écart est de 17 % au Canada selon les dernières données (2022) de l’OCDE. Les plus récents chiffres de Statistique Canada révèlent de leur côté que les employés de sexe féminin gagnent 11,1 % de moins en taux horaire que les hommes, essentiellement car les métiers traditionnellement masculins payent mieux que ceux traditionnellement féminins.

Quant aux promotions, avec un plafond de verre persistant, l’accès des femmes à la haute direction demeure limité.

Enfin, en ce qui concerne les conditions de travail, les femmes souffrent plus que les hommes de sexisme et de harcèlement sexuel.

Pourquoi les progrès sont-ils si lents ? À travers une revue de la littérature et de mes propres études sur le terrain, j’ai pu identifier quatre grands facteurs explicatifs. C’est dans le cadre de mon doctorat en ressources humaines à l’UQAM et à titre de conseiller RH spécialisé en EDI que j’ai fait cette analyse.

1. L’implication limitée des organisations

Les entreprises adoptent souvent des mesures superficielles, destinées plus à soigner leur image qu’à enrayer réellement les inégalités. Nommer une ou deux femmes au conseil d’administration fait bien paraître l’entreprise — en montrant qu’elle se préoccupe de la diversité — mais cela a un impact assez marginal.

Les pressions internes pour pousser les entreprises à réduire les inégalités entre les femmes et les hommes sont limitées. Il s’agit rarement d’une exigence des syndicats, qui sont eux-mêmes peu exemplaires en la matière. Les différences de traitement pouvant être subtiles, les femmes sont souvent elles-mêmes peu conscientes des inégalités dont elles souffrent. Elles forment ainsi rarement un groupe de pression. Les entreprises n’amorcent alors que quelques actions pour se donner bonne conscience. Elles produisent par exemple une formation puis, estimant avoir traité le sujet, passent à autre chose.

2. Les freins des gestionnaires

Même quand le projet est porté par la haute direction, il peut être entravé par les résistances managériales. Les gestionnaires, déjà surchargés de travail, peuvent être réticents à la mise en place d’une politique d’égalité par opinion personnelle ou parce qu’il n’en va pas de leur intérêt.

Un gestionnaire (femme ou homme) peut faire face à un « piège social » (social trap), c’est-à-dire un dilemme entre des intérêts divergents. Prenons le cas d’une entreprise qui, dans un souci d’inclusion, prend en charge les frais de garde des enfants d’employés monoparentaux lors des voyages d’affaires. Le budget de déplacement sera ainsi plus élevé. L’intérêt du gestionnaire est donc de discriminer les parents monoparentaux, afin de limiter les frais.

3. Les craintes d’être stigmatisés

Même lorsque des mesures sont mises à la disposition des employés, ces derniers peuvent hésiter à les utiliser par crainte d’être stigmatisés. Des femmes refusent de participer à des réseaux internes féminins par peur que leur participation soit perçue comme un signe de faiblesse, ou parce qu’elles refusent d’être traitées différemment des hommes.

De même, des femmes n’osent pas demander ou bénéficier d’horaires flexibles ou réduits par crainte d’envoyer le signal qu’elles attacheraient moins d’importance au travail.

Les femmes appréhendent donc les répercussions négatives sur leur carrière. Elles croient qu’en revendiquant leurs droits, elle pourraient recevoir moins d’augmentations salariales, avoir un accès plus restreint à la formation et réduire leurs chances de promotions.

4. Des actions peu efficaces

Enfin, les entreprises ont tendance à privilégier des actions peu efficaces mais en vogue et faciles à mettre en place, suggérées par des consultants qui sont à la fois juges et parties.

Les formations à la diversité se sont par exemple multipliées ces dernières années, alors que la recherche scientifique montre qu’elles sont peu efficaces. Elles sont généralement rendues obligatoires pour les gestionnaires, voire pour l’ensemble des employés. Elles visent à mettre en lumière les inégalités au travail et à réduire les stéréotypes des participants. Mais ce n’est pas en quelques heures que l’on peut changer des biais, souvent présents depuis longtemps.

Mobiliser, impliquer, et rendre des comptes

J’ai mené une étude ethnographique pendant quatre ans au sein d’une entreprise du secteur bancaire et des assurances, regroupant environ 10 000 employés. L’entreprise a connu des progrès remarquables au cours de cette période sur le plan de l’équité entre les femmes et les hommes. La proportion de femmes aux postes clés est ainsi passée de 25 % à 40 % en quatre ans, et les comportements sexistes ont fortement baissé. Les employés ont d’ailleurs reconnu que la culture d’entreprise avait changé.

Il y a eu, en premier lieu, une prise de conscience et une mobilisation de la haute direction, qui a fait de l’égalité entre les sexes une priorité. Un chef de projet a été nommé, ainsi que des moyens financiers alloués à cette politique, de sorte que les gestionnaires ont compris que la motivation de la haute direction n’était plus un simple discours.

Les études démontrent que l’une des clés du succès est de responsabiliser les gestionnaires en leur demandant de rendre des comptes, et de montrer plus de transparence dans les processus d’embauche et de recrutement. Ils sont aussi encouragés à favoriser un bon équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle de leurs employés. Ces actions se sont révélées en effet être particulièrement efficaces.

Dans l’entreprise étudiée, les gestionnaires ont été motivés par la prise en compte de l’égalité entre les femmes et les hommes dans le calcul de leur rémunération variable. Il était donc dans leur intérêt personnel de faire des progrès en la matière.

Autonomie, bonnes pratiques et implication

La direction laissait aux gestionnaires une grande autonomie. Plutôt que de leur imposer un plan d’action, chacun devait élaborer le sien en fonction de la situation particulière de son service.

La direction a ensuite préconisé les bonnes pratiques. Si un service mettait en œuvre une action originale, cela encourageait les autres services à agir de même à leur tour. Un service a par exemple réalisé une vidéo humoristique pour partager de bonnes pratiques sur la gestion des congés de maternité. D’autres services ont alors suivi en utilisant la vidéo et l’humour pour sensibiliser les employés.

Une autre stratégie a consisté à impliquer l’ensemble des employés. Des binômes femmes/hommes étaient responsables de sensibiliser leurs collègues et de lutter contre le sexisme niché dans les conversations ou les comportements du quotidien. Ils écoutaient et conseillaient les employés qui se sentaient victimes de sexisme, et ils intervenaient si un employé racontait des blagues à caractère sexuel ou demandait systématiquement à une femme de servir le café.

Cette expérience montre qu’il est possible de remédier aux inégalités entre les femmes et les hommes.

Il est par ailleurs impératif d’éviter d’opposer les femmes et les hommes au cours du processus. Les résultats surviennent lorsque tous les acteurs (haute direction, gestionnaires, employés) comprennent qu’il est dans leur intérêt d’agir en ce sens, et qu’ils s’approprient la cause. Les responsables EDI peuvent jouer, à mon sens, un rôle clé pour orchestrer cette mobilisation.

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