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Les mots choisis du ministre de l’Intérieur pour une stratégie très politique

Le préfet de Paris Laurent Nunez, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin et le directeur de la DGSI  Nicolas Lerner lors d'une conférence de presse le 28 mars au sujet des mobilisations et de l'insécurité, à Paris, place Beauveau.
Le préfet de Paris Laurent Nunez, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin et le directeur de la DGSI Nicolas Lerner lors d'une conférence de presse le 28 mars au sujet des mobilisations et de l'insécurité, à Paris, place Beauveau. Ludovic Marin/AFP

Les propos du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin sur la création de cellules « antizad » pour début septembre 2023 ou sur l’appel à dissoudre le mouvement Les Soulèvements de la Terre illustrent une stratégie classique pour ceux qui occupent la place Beauvau.

Depuis Nicolas Sarkozy – pour ne parler que du XXIe siècle –, le ministère de l’Intérieur est considéré comme un tremplin menant aux plus hautes fonctions de la République. L’image de maintien de l’ordre et de protection attachée à ce poste répond aux désirs des citoyens en manque de sécurité.

Grande est alors la tentation de faire monter en puissance ce thème de l’insécurité, surtout lorsque l’on se sent en faiblesse sur d’autres thèmes, à l’image de la stratégie élaborée par Jacques Chirac face à Lionel Jospin en 2001-2002, avec les résultats que l’on connaît. Or, les présentations fondées sur des travaux de long terme sur le sujet sont souvent balayées par des discours démagogiques et parfois simplistes qui tordent les faits pour mieux mettre en scène les qualités supposées du ministre et de ses troupes.

Une rhétorique sécuritaire peu fondée mais politiquement efficace

Faut-il pour autant se désintéresser de ces paroles ? Les exemples étrangers de leaders a priori fantaisistes ou ridicules mais néanmoins élus par la suite montrent que, même si on les considère comme irrationnels, les arguments ou les constructions liées à la sécurité peuvent toucher des électeurs.

Lorsque de surcroît ces discours s’ancrent dans des figures redondantes du passé, cela leur confère une légitimité accrue, quel que soit leur degré de cohérence et de réalisme. Il est alors intéressant de regarder comment des dirigeants politiques s’enferment dans une rhétorique passéiste sur la sécurité et les violences censée rassurer les électeurs mais qui les piègent eux-mêmes.

À force d’élaborer des déclarations martiales et n’acceptant aucune contestation ni aucun bémol, ces dirigeants deviennent incapables de produire une réflexion critique sur leur action ou sur le fonctionnement de leurs troupes. Plusieurs concepts sont utilisés de manière plus ou moins adroite pour construire l’image d’un ministre omnipotent servi par une police absolument irréprochable. Or, ces excès d’autosatisfaction conduisent au refus de débattre, et à la négation de tout travail d’analyse n’entrant pas dans le crédo ministériel.

Un discours prisonnier du manichéisme

À travers de telles questions, il s’agit moins d’écouter ou de comprendre des arguments que de classer rapidement les personnes en deux camps : ceux qui aiment la police et ceux qui la détestent, les seconds devenant les ennemis de la société dans son ensemble.

Dans ce cadre de pensée, toute tentative d’explication devient suspecte de complicité, cela nous renvoyant au fameux discours de Manuel Valls qui, à propos du terrorisme, lançait : « comprendre, c’est déjà un peu excuser ».

Ou encore d’affirmer devant le Sénat :

« j’en ai assez de ceux qui cherchent en permanence des excuses et des explications culturelles ou sociologiques aux événements qui se sont produits ! »

La confusion entre la démarche de condamnation et celle de compréhension n’est pas nouvelle. Elle interdit par avance tout travail de réflexion prenant en compte la complexité des situations et conduit au simplisme.

Vidéo du Parisien, des violences de la police sur les manifestants sont dénoncées par les opposants à la réforme.

On peut être pour la police dans son principe et condamner ses débordements, voire même chercher à les comprendre. On peut aussi avoir une conception de la police différente de celle du ministre en lui rappelant que selon l’article 12 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la force publique est « instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ».

Une violence croissante ?

Associée au manichéisme, et le nourrissant, l’idée selon laquelle notre société serait victime d’une violence croissante s’est depuis longtemps installée dans le paysage politique français. Auparavant utilisé pour caractériser – et caricaturer – l’évolution des banlieues, cet argument sert désormais pour discréditer aussi bien les débats à l’Assemblée que les manifestants.

Il est évident qu’existe aujourd’hui une violence dans notre société, mais celle-ci n’est pas un phénomène nouveau. La loi « anticasseurs » du 10 avril 2019 fait écho aux précédentes lois « anticasseurs » de 1970 ou de 1981 élaborées pour lutter contre les « autonomes », sans parler des propositions « Pasqua » en 1993.

Interview de Charles Pasqua autour de la loi sur la sécurité intérieure, 1993, Antenne 2, INA.

Le romantisme associé à mai 1968 cache souvent la violence de ce moment, avec des barricades fermant des rues en plein centre de Paris et des policiers blessés par les petits pavés parisiens, excellente arme de jet. Le fameux discours du préfet Grimaud incitant les policiers à la modération dans la répression, en mai 1968, insiste aussi sur la « sauvagerie des agressions contre la police », évoquant comme aujourd’hui les « jets de produits chimiques destinés à aveugler ou à brûler gravement ».

Comme on le voit, la violence n’est donc pas nouvelle ni croissante, et c’est bien pour cela qu’ont été créées les unités spéciales de maintien de l’ordre CRS en 1944 et gendarmes mobiles en 1921 : pour éviter que ne dérivent des situations potentiellement violentes tout en protégeant davantage l’État. Insister sur cette prétendue nouveauté, c’est montrer ses limites dans la gestion d’un phénomène pourtant courant.

Des mobilisations policières récurrentes

La nouveauté, pourtant non prouvée, de cette violence obligerait à des dispositifs « exceptionnels » ou « inédits ». Mais cet argument de « l’exceptionnel » ne cesse d’être répété par les différents titulaires du poste. Par exemple, le nombre des policiers mobilisés lors des manifestations anti-CPE de 2006 était plus important que celui annoncé lors des dernières mobilisations. En 2018, les blindés de la Gendarmerie devaient apporter la réponse aux violences des « gilets jaunes ».

Là aussi, ce rapide retour en arrière nous montre que « le spectacle de la police des foules » exige des déclarations montrant combien le ministre est capable de mettre en place des troupes pour protéger les citoyens.

Et, parmi les discours récurrents dénonçant la violence croissante de « l’ultra gauche », on voit aussi ressortir l’argument de l’étranger qui serait responsable à lui seul d’une radicalisation des mouvements sociaux, sans que soit d’ailleurs précisé quel serait cet étranger.

Ce discours a été entendu dans le cas de Sainte-Soline, mais il s’inscrit dans le prolongement d’un discours anti-écologiste né à Creys-Malville en 1977. À cette époque, il était largement alimenté par la xénophobie anti-allemande où le souvenir de l’occupation était encore très fort et le désordre associé aux combats écologistes d’outre-Rhin.

Discréditer les droits de l’Homme

À une autre échelle, cette vision dénonçant « l’étranger » permet du même coup de discréditer toutes les instances internationales condamnant les violences commises par la police française, et qui feraient partie du complot contre la France. Le ministère de l’Intérieur qui disposerait selon lui de la meilleure police, impossible à critiquer, rejette ainsi toute comparaison internationale qui pourrait lui nuire.

Dans le même ordre d’idée, on pourrait évoquer les arguments sur la légalité de l’action gouvernementale justifiant l’usage de la police à employer la force, ou l’utilisation détournée du sociologue Max Weber par G. Darmanin dans ce but.

La reprise négative du discours contre les « droits-de-l’hommisme », singeant Jean-Pierre Chevènement en 1999 ou N. Sarkozy en 2002 va dans le même sens.

Artifices rhétoriques

Tous ces artifices rhétoriques sont destinés à dissimuler les vraies questions qui se posent à l’occasion des manifestations et de leur répression : la qualité du débat démocratique et, pour ce qui concerne la police, la qualité des armes et stratégies utilisées.

Il ne s’agit pas d’être pro ou anti-police, mais de réfléchir collectivement sur ce qu’est une bonne police, démocratique, acceptable, et qui ne justifie pas à tout prix les écarts de quelques-uns de ses éléments.

Une réflexion doit aussi être lancée sur l’instrumentalisation de plus en plus visible de l’outil policier pour éviter les débats qui ne conviennent pas à ceux qui tiennent le pouvoir exécutif, et les dérives de candidats à la magistrature suprême qui pense que les seules qualités pour y arriver sont l’autoritarisme, l’obstination et le manque d’ouverture sur l’extérieur.

Ce discours serait risible s’il ne causait pas des blessures de plus en plus graves tant du côté des manifestants que des forces de l’ordre. Car le mépris vis-à-vis des contestataires n’a d’égal que celui pour ses policiers, soignés certes à travers des mesures catégorielles mais pourtant envoyés jusqu’à l’usure combattre des idées que beaucoup d’entre eux partagent pourtant, notamment sur les retraites.

Finalement, malgré les discours, le ministre soucieux d’imposer une image d’autorité se soucie assez peu que des policiers ou des gendarmes soient blessés pour défendre son image et celle de l’exécutif.

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