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L’in(sou)tenable légèreté de l’Insoumis

Le 1er mai, Jean-Luc Mélenchon participe à la cérémonie à la mémoire de Brahim Bouarram, qui avait été poussé dans la Seine par des militants d'extrême-droite après une manifestation du Front National. Thomas SAMSON / AFP

À l’issue d’une campagne remarquable, Jean‑Luc Mélenchon, leader du mouvement La France insoumise, est parvenu à mobiliser près de 7 millions d’électeurs avec 19,58 % des suffrages exprimés au premier tour. Cette belle dynamique lui a permis d’infliger une sévère défaite au Parti socialiste – dont le candidat n’a recueilli que 6,36 % des suffrages exprimés – et de reléguer Benoît Hamon dans un rôle de figurant durant les trois dernières semaines de la campagne. Cette réussite revendiquée reste cependant toute relative puisque l’ancien leader du Front de gauche termine à la 4e place de ce 1er tour, incapable de dépasser deux candidats plombés par leurs ennuis judiciaires, Marine Le Pen (21,3 %) et François Fillon (20,01 %), incapable d’entamer le socle d’Emmanuel Macron qui pour sa première joute présidentielle a recueilli 24 % des suffrages des Français.

Dès lors, la position de Jean‑Luc Mélenchon s’avère bien délicate. Dans cet entre-deux-tours très particulier qui voit le Front national s’approcher des portes du pouvoir, comment parvenir à faire fructifier cette dynamique de campagne ? Ses récentes prises de parole, le soir même des résultats, dans une vidéo diffusée le 28 avril, puis, deux jours plus tard, sur le plateau du 20h d’Anne-Claire Coudray, traduisent la délicatesse de l’entreprise. Si l’ancien ministre de Lionel Jospin rappelle – mollement le 23 avril, plus fermement les 28 et 30 avril – le combat qu’il mène depuis des années contre le Front national, il mobilise simultanément une rhétorique alambiquée dans laquelle il explique qu’il ne votera pas Le Pen (« Ma position ce n’est pas le ni-ni, je dis à ceux qui m’écoutent de ne surtout pas mettre de bulletin FN »), qu’il laisse ses électeurs libres de leur choix, tout en insistant sur la menace que constituerait l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir (« dans un mois, on se débarrassera de la politique de Monsieur Macron, car cet homme n’est pas capable de diriger le pays »).

Souder son camp, la priorité de Jean‑Luc Mélenchon

Ce refus de donner une consigne de vote explicite est compréhensible en termes de stratégie politique. La priorité pour Jean‑Luc Mélenchon est en effet de souder son camp et de ne rien entreprendre qui puisse compromettre l’unité alors même que ses électeurs sont actuellement courtisés par le Front national et que les sondages d’intention de vote révèlent une grande diversité de comportements attendus le 8 mai prochain (plus de 50 % d’entre eux voteraient Macron, près de 15 % pour Le Pen et plus de 30 % voteraient blanc ou s’abstiendraient).

Poursuivant sa stratégie de clivage et de création d’antagonismes avec les autres forces politiques, Jean‑Luc Mélenchon désigne donc sur TF1 des adversaires et continue de cibler François Hollande, le PS ainsi que le candidat d’En Marche (« Au lieu de m’insulter et de tordre le bras de mes amis, pourquoi ne ferait-il pas un geste, n’essaierait-il pas de parler aux Insoumis, par exemple en retirant son idée de réforme de code du travail ? (…) Il prend des risques en se conduisant comme il le fait »).

Il s’emploie aussi à entretenir l’espoir de ses troupes en les projetant vers les législatives et en exprimant clairement la possibilité de l’emporter et donc de gouverner à la faveur d’une cohabitation. Étonnamment, il préserve Marine Le Pen qui, opportuniste, lui emprunte pourtant une partie de son vocabulaire et de ses thématiques de campagne ; il lui donne ainsi raison de s’adresser aux électeurs de la France insoumise à un moment où Emmanuel Macron ferait l’erreur de les mépriser. En contradiction totale avec l’affichage de sa constance dans la lutte contre le FN, cette bienveillance apparente à l’égard du Front national ne peut se comprendre qu’en considérant que ce fin politique qu’est Jean‑Luc Mélenchon a compris les porosités possibles entre les deux électorats ; aussi considère-t-il qu’en cas de défaite de Le Pen, La France insoumise peut constituer un recours pour un électorat souverainiste et anti-européen qui serait déçu par ce nouvel échec du parti d’extrême-droite.

Une position difficilement audible

Si elle est tactiquement compréhensible, cette position semble pourtant difficilement audible par le plus grand nombre des électeurs et des observateurs comme en attestent les multiples réactions dénonçant le ni-ni de Mélenchon, son irresponsabilité, son aigreur ou la menace qu’il ferait peser sur notre démocratie. La communication qu’il a choisie de déployer pose en effet plusieurs problèmes majeurs. Elle brouille d’abord nettement l’image de combattant irréductible de l’extrême droite qu’il s’était patiemment construit allant même jusqu’à affronter Le Pen en 2012 dans la 11e circonscription du Pas-de-Calais.

Cette stratégie confirme en outre que la lutte contre le racisme et les discriminations sort désormais des priorités du leader d’extrême-gauche ce que l’Avenir en commun, le programme de la France insoumise, laissait déjà entrevoir. Cette position que l’on peut juger ambiguë risque ainsi de heurter durablement les millions de personnes qui ont voté pour lui plutôt que pour Benoît Hamon parce qu’à quelques jours du vote, il restait le seul homme de gauche capable de l’emporter.

Enfin et surtout, à l’heure où c’est l’ensemble du pays qui risque de basculer dans les mains des héritiers de Vichy et de l’Action française, Jean‑Luc Mélenchon affiche ostensiblement qu’il préfère dans ce contexte penser tactique politique, intérêt individuel et stratégie électorale en vue des législatives plutôt que de participer à une défense collective de valeurs, de principes et d’une vision du monde partagés par le camp des progressistes, des démocrates et des Républicains auxquels il appartient vraisemblablement encore.

Une stratégie dangereuse pour la France insoumise

Dangereuse pour la France, cette stratégie l’est aussi pour La France insoumise et les expérimentations de Jean‑Luc Mélenchon pourraient bien s’avérer contre-productives. D’abord, en cas de bons résultats aux législatives, son indétermination handicapera la possibilité de contracter de futures alliances avec les écologistes ou le PS (sans compter le désarroi actuel des membres du PCF) et le privera du soutien de ceux qui placent la lutte antiraciste au sommet des priorités de leur engagement.

Ensuite, après avoir surfé sur une rhétorique d’extrême droite (dénonciation de « la caste », des « médiacrates », du « système », de « l’oligarchie »…), il renvoie le 30 avril sur TF1 Le Pen et Hollande dos à dos sur certains points (par exemple à propos des tentatives de captation de son discours), tandis que Macron et Le Pen sont présentés par certains de ses partisans comme deux menaces ultimes (la « peste et le choléra »).

N’est-ce pas là une manière de contribuer à banaliser les mots du FN, à accepter de ne plus mettre ce parti à l’écart du jeu politique et finalement à consentir à en faire un adversaire comme les autres ? Faut-il penser que Jean‑Luc Mélenchon parie sur une victoire de Marine Le Pen qui déstabiliserait l’ensemble des partis démocrates et enverrait des millions de Français dans la rue ? Joue-t-il la possibilité d’une prise de pouvoir par la rue ?

Jean‑Luc Mélenchon fait plus vraisemblablement le pari qu’un échec de Marine Le Pen pourrait lui permettre de rallier les électeurs déçus lors des prochaines législatives. Encore faut-il pour cela que l’héritière de Jean‑Marie Le Pen ne l’emporte pas dimanche prochain et que ce ne soient pas les électeurs de la France insoumise qui se laissent finalement séduire par un discours que certains pourraient juger plus radical, plus dénonciateur et plus novateur que celui de l’ancien responsable socialiste.

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