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Plaidoyer pour une culture syncrétique

Rassemblement dans le cadre de « Nuit debout » à Toulouse, en 2016. Pierre-Sélim/Flickr

À la veille du second tour et après les événements dramatiques de 2015 et 2016 qui ont secoué la France, on ne peut qu’être stupéfait de l’absence d’un débat sérieux sur la cohésion sociale et le vivre ensemble dans notre pays. Cet article essaie de donner des éléments de réponses à un sujet on ne peut crucial.

La France a fondé un État-Nation basé sur le concept de la Raison au sens de la Philosophie des Lumières. La citoyenneté y occupait une place de choix. Cette citoyenneté inclut des comportements et des valeurs qui ont largement contribué à une homogénéisation de la société. Dans ce modèle, l’État joue un rôle cardinal en tant qu’instance de régulation, mais aussi et surtout en tant qu’instrument de solidarités entre les différentes composantes de la société.

Le modèle français de citoyenneté

La citoyenneté à la française sous-entend certains prérequis implicites et explicites. Elle est à la fois constitutive et contraignante. Chaque citoyen est censé détenir une parcelle de la souveraineté nationale qu’il accepte de mettre en commun par le truchement du contrat social, ce qui renvoie à la problématique de la nation en général et de la nationalité en particulier. Dit autrement, le modèle français lie de manière intrinsèque la citoyenneté à l’identité. Dans cette construction idéologique, l’appartenance à la nation qui définit la citoyenneté est la pierre angulaire à partir de laquelle s’ordonnent toutes les affiliations. Ce qui implique un imaginaire collectif et une culture commune.

La République a su créer une certaine homogénéité culturelle, non sans difficultés, pour aboutir à un équilibre politique et à une harmonie sociale. La laïcité constitue à cet égard l’aboutissement d’un processus long et fastidieux qui a permis, in fine, de dessiner un vivre ensemble et le rapport à l’Autre.

En tant que principe constitutionnel inaliénable, la laïcité stipule de manière on ne peut plus claire que la source de la loi réside dans les votes des représentants du peuple, indépendamment de tout texte sacré. La citoyenneté implique la participation politique et sociale effective des individus dans les délibérations démocratiques. Ce qui suppose que ces derniers aient la possibilité d’accéder à l’information pertinente en temps utile et la capacité de la décortiquer et de l’enrichir en permanence. C’est un système qui s’auto-institue.

Le citoyen se transforme en acteur actif qui transmet les héritages du passé aux générations futures pour nourrir le patrimoine national. La laïcité devient le socle qui garantit cette transmission. Ce contrat social repose sur trois piliers : la République, la laïcité et l’école. Cette dernière se conçoit comme un outil de transmission de valeurs et de normes sociales.

La laïcité nourrit la République et cette dernière trouve son prolongement dans la première. La laïcité imaginée comme un concept rationnel au départ se transforme ainsi en une conception « mystique » où le symbole de Marianne prend le pas sur celui de Marie.

Dégradation du tissu social

Cette conception idyllique de la société française se heurte aujourd’hui à la mondialisation et à son corollaire, le mouvement de la main-d’œuvre. Les logiques d’interdépendances économiques fragilisent l’État nation et questionnent l’identité nationale. Si la mondialisation a produit d’indéniables progrès (hausse des échanges commerciaux, accélération des mouvements de capitaux, partage des avancées technologiques et de l’innovation, élévation du niveau d’instruction des populations au niveau mondial, acceptation des droits de l’homme et progrès en matière d’égalité homme – femme…), elle a aussi fragilisé une partie de la population et contribué, de ce fait, à une dégradation du tissu social et une fragmentation de la société dans son ensemble.

Avec une croissance économique atone et une hausse des inégalités, la France se trouve confrontée aujourd’hui à une nouvelle donne ; il s’agit d’une manifestation forte et voyante d’une partie de la population qui jusqu’à là était invisible. « Les enfants des immigrés » qui ne partagent pas les représentations qui caractérisent leurs parents (les vrais immigrés) « brouillent » l’ordre national par leur hybridité. Cette nouvelle génération née en France partageant globalement la culture ambiante tout en se diluant dans l’espace publique, ne veut plus se cacher. Plus elle fait d’efforts, plus on lui en demande de faire plus de sorte qu’on la maintienne à distance tout en la renvoyant à sa singularité. Cette situation conjuguée aux difficultés multiples rencontrées par ces jeunes « issus de l’immigration » dans leur vie quotidienne peut les pousser à se réfugier dans une identité imaginaire et réifiée. Ainsi, le fossé se creuse entre les différentes composantes de la société, avec une gradation des différences préconçues, des différences perçues et des différences vécues.

Aux inégalités économiques et sociales s’ajoutent des inégalités pressenties, qui sont autrement plus importantes, car elles sont les conséquences de frustrations et d’un mal-être. En un mot, le non-dit prend le pas sur la réalité. La montée des revendications, légitimes par ailleurs, de la part de citoyens qui ne se sentent plus impliqués dans la vie de la Cité suppose la mobilisation de nouveaux instruments et mécanismes de la part des autorités publiques.

Quel destin commun ?

Le principe démocratique est lui-même fragilisé par l’effritement de la croyance dans un destin commun. C’est le paradigme du vivre ensemble qui doit être interrogé. Le système politique doit se transformer pour inventer une combinaison féconde entre d’une part le général et le spécifique, le normatif et la raison et d’autre part, les identités. Dit autrement, il doit être capable de mettre en exergue les particularismes culturels, car ils peuvent être source d’épanouissement individuel, mais aussi de croissance économique et de bien-être social. Toutes les composantes de la société secrètent un corpus complexe qui combine des faits, des croyances et des mythes. La société doit être capable d’assurer à chaque citoyen le sentiment d’appartenance à la République. Ce dernier doit faire preuve en contrepartie de loyauté indéfectible vis-à-vis des autres membres du corpus et vis-à-vis des principes républicains.

Ce contrat social peut être facilité par un dialogue permanent. Seul le dialogue a une portée dialectique. Il est navrant de constater par exemple qu’un dialogue constructif, mais bref a bel et bien été initié entre les différentes religions suite aux événements dramatiques de 2015 et 2016, alors qu’il doit être régulier et constant.

La révision des notions de cultures et d’identités doit tenir compte des interconnexions qui s’opèrent au niveau mondial, où il ne peut y avoir de culture « pure » ou « authentique ». La culture ne peut être que syncrétique. Certes les identités peuvent être multiples, cependant, il faut éviter autant que faire se peut, d’instaurer une mosaïque d’identités qui peut être source de conflictualité.

Il existe une norme fondatrice, les nouvelles normes venues de l’étranger doivent graviter autour. Ceci ne veut absolument pas dire que la France doit nier ses héritages historiques. Le passé doit alimenter le présent. La France doit au contraire assumer son hétérogénéité tout en mettant en exergue sa culture qui doit être forte, ouverte, intégrative, ancrée dans l’histoire, capable qui plus est de produire du commun. De même, il faut éviter de penser que le religieux est un ennemi, il peut apporter aussi du sens et participer à renforcer les liens au sein d’une société qui doute. À condition évidemment qu’il soit respectueux de la norme établie.

Pour un nouveau contrat social

Il faudrait inventer un nouveau contrat social qui participe à la souplesse des institutions et qui lutte contre une vision sociétale cloisonnée qui inhibe les différences et les particularismes culturels, tout en évitant leur cantonnement à la sphère privée. L’essence même de la laïcité, à savoir la philosophie et la spiritualité, doivent être au centre de la construction du commun et non pas relégué au second plan. L’école, « la mère des batailles », a évidemment un rôle fondamental à jouer dans cette dynamique ; mais il faut là aussi qu’elle se métamorphose, qu’elle fasse sa révolution et qu’elle sorte des sentiers battus pour répondre aux nouveaux défis de la mondialisation. La question des moyens se pose moins que celles relatives à la souplesse et à l’autonomie pour permettre aux initiatives de naître, aux individualités de s’affirmer, aux talents de germer et aux compétences de se manifester.

L’école doit interagir avec son environnement. L’agir politique doit prendre le pas sur le conformisme. Car le contrat moral et bel et bien rompu. Les piliers de l’idéal républicain (le culte de la liberté et la foi dans l’égalité) ont volé en éclat. L’heure n’est plus aux atermoiements. Il n’y a plus de places aux discours lénifiants, il faut passer à l’action. L’élan de solidarité et les indignations post-attentats ont fait long feu. Il ne faut surtout pas oublier que les racines du mal, qui sont, en partie derrière les événements dramatiques qu’a connu la France n’ont pas disparu du jour en lendemain, comme par magie. Qui plus est, nos propres enfants, fruits de l’école de la République, sont toujours sensibles aux sirènes de l’aveuglement et de l’obscurantisme. À bon entendeur salut !

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