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Politique migratoire de l’Europe : la grande fuite en avant

Le 1er février 2016, des migrants déplacés de la « Jungle » Philippe Huguen/AFP

Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la Science 2017, qui se tient du 7 au 15 octobre, et dont The Conversation France est partenaire. Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.


La politique migratoire européenne calibrée sur les besoins propres aux économies nationales… Les institutions qui définissent ces politiques raisonnent à flux constant, ouvrant ou fermant l’accès aux titres de séjour et aux droits sur tel ou tel segment professionnel. Ainsi, l’Espagne met en place un programme de migrations temporaires pour les travaux saisonniers parce qu’elle a besoin de travailleurs non qualifiés pour ramasser ses fraises mais dont elle ne veut pas l’installation sur son sol.

Pour tous les autres, la réponse est sécuritaire : interdiction d’accès, refoulement, déportation, etc. Une panoplie impressionnante de politiques de fermeture a été mise en œuvre depuis quarante ans. Au milieu des années 1980, on instaure les visas obligatoires (1986 en France). En 1995 est créée une zone de libre-échange avec les États de départ dans l’espoir que des flux de capitaux et la création d’emplois allaient tarir les départs (accords euro-méditerranéens de Barcelone). À partir des années 2000, on externalise la politique de contrôle sur les États d’émigration : création de zones de rétention, instauration de délits d’émigration, patrouilles conjointes… L’agence Frontex est fondée en 2004 pour contrôler les entrées illégales aux frontières extérieures de l’UE.

Mais ce qui caractérise la dernière décennie est probablement l’utilisation de la politique d’intégration comme instrument de la politique migratoire : restrictions apportées au droit de la nationalité, au droit du mariage ou à l’éducation, au droit d’asile, etc. L’impératif de fermeture pénètre peu à peu le quotidien des Européens dans leur vie privée, dans les écoles ou sur leur lieu de travail. Ce n’est plus simplement l’enveloppe territoriale européenne qui est la cible des politiques migratoires, ce sont les structures les plus intérieures de la société qui sont insensiblement modifiées pour servir de rempart à l’immigration.

Fermeture intérieure et extérieure

Or, toutes ces politiques ont démontré leur incapacité à répondre à la situation actuelle. Prenons-les une par une. Politique de fermeture intérieure d’abord :l’offre de service ou de protection sociale n’est absolument pas un critère dans le choix de la destination des réfugiés. En France, les demandeurs d’asile n’ont pas le droit de travailler et les migrants de la « Jungle » de Calais n’ont pas de sanitaire décent au prétexte que cela créerait un « appel d’air ». Cette théorie de l’appel d’air est un mythe empiriquement non fondé.

Ensuite la zone de libre-échange : les flux de capitaux ont été bien trop insuffisants pour créer une dynamique de développement à même de tarir les flux. Bien au contraire, la dérégulation des échanges et des économies locales a généré, à court terme, d’importants flux de populations dans le bassin méditerranéen.

L’externalisation du contrôle de frontières a enserré l’Europe dans une nasse géopolitique : les États d’émigration jouent de leur position pour négocier en position de force une rente financière ou politique. Hier Khadafi a pu en tirer son retour sur la scène internationale. Aujourd’hui, elle permet à Erdogan de relancer le processus d’intégration de la Turquie dans l’Union européenne tout en faisant taire les critiques à l’égard des répressions turques contre toute forme de contestation.

Politique de fermeture extérieure enfin. Elle est la seule à avoir montré quelques résultats. En effet, les mesures de fermetures extérieures – érection de murs, multiplication des patrouilles – peuvent tout à fait mettre fin à une route migratoire. Mais elles ne mettent pas pour autant un terme aux causes de la migration et déportent les migrants vers d’autres routes migratoires.

Le point de passage principal au début des années 2000 était le détroit de Gilbraltar, les Canaries entre 2005 et 2007, Lampedusa entre 2009 et 2014, les Balkans depuis… Les murs ne protègent que ceux qui sont derrière. Individuellement, les États ont intérêt à les ériger. Mais sur le plan européen, cette politique ne fait que déplacer le problème sans le résoudre. En découle une stratégie du chacun pour soi qui a délité le projet collectif de l’Union. La zone Schengen est morte sur l’autel de la fermeture des frontières.

Cohortes de réfugiés

Qu’est-ce qui explique cette fuite en avant ? Cette débauche d’énergie politique, et donc financière, pour si peu de résultats ? La réponse est liée à la pluralité des formes migratoires. Les migrations produites par les crises sont beaucoup moins sensibles aux politiques de fermeture que les autres, justement parce qu’elles ne sont pas motivées (ou à la marge) par le seul attrait de meilleures conditions sociales ou salariales, mais par l’impossibilité de construire une vie dans leur région d’origine. Plus les facteurs répulsifs sont importants et moins les mesures sécuritaires sont efficaces.

Or les migrations de crise ne vont pas s’arrêter. Il n’y a jamais eu autant de réfugiés dans le monde depuis la Seconde Guerre mondiale : 60 millions selon le HCR. La question n’est pas européenne mais mondiale. La crise des Rohingyas en Birmanie en est un exemple parmi bien d’autres. Les Européens ne s’en aperçoivent que depuis peu. La cause essentielle de ces mouvements de population est l’existence de vastes régions où les droits de l’Homme sont bafoués : en Érythrée, au Congo, au Soudan, sans oublier les zones sous contrôle des régimes islamistes… À ceux-ci, il faudra ajouter les cohortes de réfugiés climatiques de demain.

Comment penser l’avenir de l’Union européenne dans ce contexte ? On peut envisager deux voies possibles. La première est celle de la radicalisation de la voie prise aujourd’hui. Dans cette perspective, l’Union devient une collection d’États-nations construite autour d’une relation de vassalité entre le noyau du Nord et la périphérie des pays méditerranéens. L’agence Frontex pourrait se voir dotée de pouvoirs étendus à la sécurité intérieure. Après Schengen, la fin de la monnaie unique est à envisager. À l’intérieur, l’embrigadement sociétal génère une rente politique pour un populisme qui traverse l’ensemble de l’échiquier partisan.

La seconde voie est celle d’une mutualisation des moyens dans le cadre d’une politique migratoire qui tiendrait compte de l’ensemble des formes migratoires, y compris les vagues produites par les chocs géopolitiques. Une agence européenne en charge de l’allocation contrôlée des réfugiés en lien avec une organisation mondiale des migrations internationales. Utopique ? Peut-être. Et pourtant, elle est en germe dans les cercles internationaux : l’article 50 de l’accord final de la COP 21 vient d’inscrire le principe d’une réflexion collective sur la question des déplacés environnementaux… Chose impensable il y a seulement moins de dix ans.

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