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Guy Bedos et Pierre Richard dans le film Et si on vivait tous ensemble, de Stéphane Robelin. Trois hommes et deux femmes décident de vivre en communauté pour échapper à la maison de retraite. Bac Films

Les habitats alternatifs à la maison de retraite se multiplient en France

Réunir, dans une même résidence, des personnes âgées, des bébés, des enfants et des familles : tel est le principe de l'ensemble intergénérationnel qui vient de voir le jour à Nantes, à l'initiative de la Croix-Rouge. Baptisé le Village du Bois Bouchaud, son inauguration est prévue le 30 septembre. Le hall et le jardin sont communs à tous les résidents, que ceux-ci fréquentent la crèche, logent dans le centre pour les mères et couples en difficulté, ou dans l'un des 32 appartements aménagés pour les seniors.

Ces appartements sont le dernier exemple en date d'un mouvement plus large d’habitat « alternatif ». Les mots évoquaient plutôt, jusqu'ici, le couple de trentenaires dans sa yourte, ou des étudiants dans leur container pour marchandises réaménagé en studio. Mais il faudra s’y faire : l'expression s’applique, de plus en plus, aux seniors. Et désigne toutes les formes de logement imaginables pour des personnes âgées, en lieu et place de la maison de retraite. Appartements collectifs, communautés, résidence intergénérationnelle mêlant jeunes et vieux : les expériences se multiplient, en France et ailleurs.

Cette effervescence est le signe que les attentes, dans ce domaine, vont croissant. Comme montré lors de la journée d’étude sur le futur des habitats alternatifs pour les seniors, le 18 mai à l’Université Paris Est-Créteil, ces nouveaux modèles constituent des réponses plus conformes aux aspirations des retraités actuels, à la recherche de lieux chaleureux et intégrés dans la société. Le nombre de réalisations reste cependant modeste, au regard des besoins. Les chercheurs considèrent d’ailleurs que ce mode d’accompagnement de la vieillesse est encore dans sa phase d’expérimentation.

Le cinéma s’est emparé du phénomène. Dans le film Aurore, en salles depuis le 26 avril, l’héroïne jouée par Agnès Jaoui trouve du travail comme aide ménagère dans un habitat collectif où vivent des personnes âgées bien décidées à ne renoncer à rien. Dans Et si on vivait tous ensemble, sorti en 2011, Stéphane Robelin raconte l’histoire de cinq amis – trois hommes et deux femmes – qui décident, à 75 ans, de vivre en colocation pour échapper à la vie en institution.

Ni le domicile, ni l’institution

Habiter chez soi jusqu’au bout de sa vie, c’est le rêve le plus largement partagé. Mais de quel chez soi parle-t-on, interroge ainsi le dernier numéro de la revue Gérontologie et société ? Ni tout à fait des institutions, ni tout à fait des domiciles, les habitats alternatifs pour personnes âgées se définissent généralement comme des formules d’entre-deux. Ils sont envisagés comme une « troisième voie » susceptible de dépasser l’opposition radicale entre le domicile privatif et l’hébergement collectif. Les porteurs de projet de ces modèles hybrides veulent repenser les lieux où vieillir, à la fois dans les modalités d’hébergement et dans l’accompagnement des vulnérabilités liées à l’avancée en âge.

Les habitats alternatifs se caractérisent, à ce jour, par leur grande hétérogénéité. L’architecture des locaux, la situation géographique, le profil des habitants ou la structure juridique diffèrent d’une formule à une autre. Une variété qui se traduit également par la diversité de leurs appellations. Les béguinages, les résidences intergénérationnelles, les habitats partagés, les habitats groupés, les domiciles communautaires ou les appartements collectifs sont autant de dénominations figurant cette nouvelle offre résidentielle destinée principalement aux plus de 60 ans.

Les habitats alternatifs restent pour l’instant marginaux au sein de l’offre d’établissements existante. La Fondation de France, par exemple, a soutenu une cinquantaine de projets de ce type depuis 2002, comme le précise le rapport sur l’habitat groupé publié en 2010. Mais en dépit du petit nombre de réalisations, des tendances sociétales fortes conduisent à valoriser cette recherche d’un autre mode d’habitat au fil du vieillissement.

Un lieu propice à la sociabilité

En effet, les habitats alternatifs sont pensés pour être des lieux propices à la participation à la vie de la cité et à l’expression de la sociabilité. Ils répondent aux valeurs de « libre choix », de citoyenneté et de solidarité propres à la consolidation d’une société « pour tous les âges » que beaucoup appellent de leurs vœux. En cela, ces habitats semblent être particulièrement représentatifs d’un modèle de vieillissement intégré, actif et participant, plébiscité par une partie des retraités actuels. Il est aujourd’hui largement véhiculé par les politiques publiques, comme en témoignent les orientations prises dans la loi d’adaptation de la société au vieillissement de 2015.

Si la société a commencé à manifester de l’intérêt pour d’autres solutions que la maison de retraite il y a une dizaine d’années, le phénomène est en réalité bien plus ancien. Deux « générations » d’habitats alternatifs se sont succédé en proposant – sur le mode de l’expérimentation sociale – des modalités différentes pour accompagner le vieillissement.

Les modèles dits de première génération, tels que les premiers appartements communautaires et domiciles collectifs, sont apparus dans les années 1980. Ces initiatives ont été portées par des acteurs du champ de la gérontologie, comme les fédérations associatives, la Mutualité française, la Mutualité sociale agricole ou certaines caisses de retraite complémentaire.

Les structures s’adressent généralement aux personnes âgées « dépendantes » et sont souvent conçues pour être viables, dans la mesure du possible, jusqu’au bout de la vie. L’aménagement des locaux, généralement de petite taille et partagés par un nombre restreint de colocataires, est pensé pour valoriser le sentiment d’un « chez soi » possible à plusieurs. Dans cet esprit, on peut citer par exemple les maisons d’accueil rural pour personnes âgées (Marpa).

Le respect des goûts et des désirs de chacun

L’atmosphère de convivialité recherchée par leurs concepteurs vise à lutter contre la taylorisation de la prise en charge – c’est-à-dire le même régime pour tout le monde – vivement critiquée dans les établissements d’hébergement classique de type maison de retraite. Il s’agit par ce biais de permettre une approche individualisée des personnes accueillies, pour tenir compte de leurs goûts, de leurs désirs de leurs besoins et de leur rythme singulier, dans le respect de leur autonomie décisionnelle.

En parallèle à cette offre, une « deuxième génération » de formules alternatives est apparue dans les années 2000. Souvent regroupées sous l’appellation d’habitat « intermédiaire », celles-ci s’adressent à des personnes âgées plutôt autonomes. Surtout, elles naissent en dehors du secteur médico-social et sont mises en place par de nouveaux acteurs, tels que des offices HLM, des sociétés commerciales ou des personnes âgées elles-mêmes.

Vue d’une résidence pour seniors Domitys à Saint-Amand-Montrond (Cher). Office de tourisme Pays de Saint-Galmier/Flickr, CC BY-NC-SA

Les résidences services, sous des enseignes comme Jardins d’Arcadie, Villages d’Or ou Domitys, constituent le modèle le plus connu. Mais d’autres concepts sont apparus, à l’instar notamment de l’habitat dit « participatif ». Ce type de formule alternative a pour particularité d’être initié en partie, ou totalement, par les intéressés eux-mêmes. Impliqués dans la conception de leur habitat, ils définissent les règles de la vie quotidienne.

La maison des Babayagas, projet emblématique

L’habitat participatif est parfois porté par des groupes militants qui souhaitent transformer le regard de la société sur le vieillissement. C’est le cas du projet emblématique de la Maison des Babayagas, qui a ouvert ses portes en 2013 à Montreuil (Seine-Saint-Denis). Il s’agit d’un bâtiment de six étages comprenant 21 logements pour des femmes de plus 60 ans et quatre pour des jeunes de moins de 30 ans. Fondée par une militante féministe, Thérèse Clerc, décédée en 2016, cette « anti-maison de retraite » comme la définissent ses habitantes, fonctionne sur la base d’une charte reprenant des valeurs communes.

Ainsi, l’habitat participatif relève d’une intention d’expérimenter, dans les pratiques quotidiennes d’un projet collaboratif, d’autres modalités « d’habiter » la vieillesse. Des retraités eux-mêmes ont d’ailleurs créé en 2014 une association, Halage, pour promouvoir ce type de projets.

Pourquoi si peu de réalisations à ce jour, dans les alternatives à la maison de retraite ? En premier lieu, les initiatives qui s’éloignent le plus du modèle institutionnel traditionnel sont confrontées à des difficultés administratives, juridiques et financières. Il est compliqué de mettre en œuvre des projets qui « ne rentrent pas dans les cases ». Le rapport publié au mois de mars par le collectif « Habiter autrement » sur l’habitat alternatif, citoyen, solidaire et accompagné, prenant en compte le vieillissement, formule plusieurs propositions pour surmonter ces obstacles.

En second lieu, la temporalité nécessaire pour concevoir un habitat alternatif peut se heurter à celle – plus courte – des personnes vieillissantes, quand ces dernières en sont les principales actrices.

Sur le fond, le défi principal pour ces nouvelles générations d’habitats intermédiaires résidera dans leur capacité à accompagner la dépendance de leurs habitants. Elles ont été conçues en dehors du secteur médico-social afin de valoriser l’autonomie. Mais on peut se demander si l’entraide mutuelle et la solidarité seront suffisantes pour faire face à un besoin d’aide accru, avec le vieillissement. C’est pourtant à ce prix que ces diverses initiatives parviendront à faire modèle pour l’avenir.

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