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Equipe de recherche
Plus de trois fois sur quatre, c’est la complémentarité entre la tête d’affiche de l’équipe et le reste des membres qui apporte le plus de valeur aux recherches. Flickr/NTNU, CC BY-SA

Qui mène les découvertes scientifiques : de grandes personnalités ou de grandes équipes ?

« Ce prix ne m’appartient pas, il revient à toute l’équipe », a déclaré Kieran Culkin, lauréat du Golden Globe du meilleur acteur pour Succession cette année. Cette phrase revient souvent dans les discours des gagnants à Hollywood, rappelant que les stars qui nous éblouissent à l’écran ne seraient rien sans l’équipe qui les entoure. « Je le répète, mais cette série est le fruit du travail de toute une équipe », a insisté lors de la même cérémonie Jesse Armstrong, le créateur de Succession, exprimant le même sentiment.

En dehors des discours à Hollywood, nous avons pourtant tendance à nous concentrer sur les exploits individuels. En affaires ou dans les sciences, la narration culturelle dominante veut que la majorité des innovations soit l’œuvre d’une poignée d’individus exceptionnels ou « têtes d’affiche ». Nous vantons les louanges des pionniers comme Steve Jobs ou Albert Einstein et nous accordons à ceux qui semblent avoir le même potentiel les ressources nécessaires pour qu’ils continuent à accomplir un travail d’une grande valeur ajoutée.

Les scientifiques de renom sont ceux qui publient davantage que la moyenne, écrivent des articles à fort impact et participent activement à des projets commerciaux. Pourtant, la science est rarement une activité individuelle. Les scientifiques de renom, comme les autres, sont entourés d’une équipe, ou « constellation », de collaborateurs. D’ailleurs, la taille des équipes a augmenté d’environ 50 % au cours des deux dernières décennies du XXe siècle. En outre, ces dernières années, plus de 80 % de l’ensemble des publications scientifiques et d’ingénierie et plus de deux tiers des brevets sont signés par plusieurs auteurs.

Mais jusqu’où va l’impact d’une seule personne sur les performances globales d’une collaboration ? Dans un récent article de recherche, nous avons étudié la contribution relative des individus et de leurs collaborateurs sur l’innovation scientifique, afin de comprendre comment optimiser la composition des équipes pour améliorer leurs performances.

Le poids des chercheurs de renom

Les chercheurs de renom améliorent les performances collectives de deux façons. Premièrement, leur présence et leur contribution renforcent la qualité et la production de leurs collaborateurs, d’où plus de réussite pour l’ensemble de l’équipe. Des études antérieures ont porté sur ce prétendu effet d’entraînement en observant ce qu’il se passe lorsqu’un chercheur de renom quitte le groupe. Elles montrent que dans ce cas, le taux de publication de ses anciens collègues baisse durablement de 5 à 10 %.

Deuxièmement, une fois qu’un chercheur devient réputé, il lui est plus facile d’attirer des talents et des ressources. Ce mécanisme s’appelle « l’effet Matthieu », d’après une interprétation (assez libre) d’un passage biblique. Concrètement, « l’effet Matthieu » illustre les cas où le chercheur de renom surfe davantage sur son propre succès que les autres.

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De fait, des études ont montré que les chercheurs de renom bénéficient d’un accès privilégié à des ressources précieuses comme des financements, des diplômés talentueux et des laboratoires de pointe, à la fois dans les secteurs universitaire et public.

Par le passé, des recherches ont porté sur l’effet d’entraînement ou sur l’effet Matthieu, mais séparément, alors que ces deux notions sont inextricablement liées. Nous avons donc mis au point un modèle pour appréhender cette complexité.

Nous avons étudié les relations entre les têtes d’affiche et leurs constellations dans des collaborations ayant donné lieu à des inventions. Les chercheurs universitaires doivent présenter leurs inventions aux institutions auxquelles ils sont rattachés. Ces déclarations sont des documents légaux qui s’avèrent utiles pour notre étude, car elles font abstraction de tout traitement de faveur ou toute politique institutionnelle susceptible de fausser le taux d’attribution des publications à leurs auteurs. Ces données proviennent d’une université américaine dont la faculté de médecine est réputée.

L’analyse a porté sur les données des 555 déclarations d’inventions enregistrées entre 1988 et 1999. Parmi les 1 003 scientifiques, dont 248 directeurs de recherche, nous avons identifié une cohorte de 30 « têtes d’affiche » figurant parmi les 5 % de chercheurs les plus cités au monde.

Des têtes d’affiche irremplaçables

Les scientifiques de renom apportent une contribution majeure à leurs équipes, c’est-à-dire supérieure à celle des autres membres, lorsqu’ils sont « irremplaçables ». En d’autres termes, ils sont en telle symbiose avec le reste de l’équipe que la constellation serait incapable de produire un travail d’une telle qualité sans eux, y compris avec l’aide d’un autre directeur de recherche.

Alors, qu’est-ce qui provoque cette « symbiose » avec l’équipe ? Nous avons cherché des tendances parmi ces ensembles de données, en considérant l’impact de la recherche, le niveau de connaissances et l’ancienneté des membres du groupe, afin de déterminer ce qui influence le plus le choix de collaborateurs par les scientifiques.

Nous avons constaté que les directeurs de recherche de grande valeur ont tendance à travailler avec des collaborateurs de grande valeur également, ce qui confirme l’idée que les scientifiques de renom attirent des constellations talentueuses. Par ailleurs, les directeurs de recherche les plus éminents ont accès à, et sont privilégiés par, des collaborateurs avec lesquels ils partagent certaines compétences, quoiqu’une trop grande similarité rende la collaboration moins favorable. Une langue et des objectifs communs sont une force, mais des compétences qui se chevauchent freinent l’innovation.

Aussi, les directeurs de recherche de grande valeur ont tendance à travailler dans des groupes où sont réunis à la fois de jeunes et d’anciens scientifiques. Nous pouvons donc affirmer que la diversité des perspectives et des compétences est propice aux découvertes. Enfin, le profil de recherche des scientifiques de renom et de leurs collaborateurs est généralement similaire au niveau des domaines d’application de leurs recherches.

L’immensité du ciel

Nous nous sommes servis de ces résultats pour trouver qui, de la tête d’affiche ou de la constellation, contribue le plus aux découvertes scientifiques. Lorsqu’une tête d’affiche et une constellation sont en symbiose, elles produisent des recherches de meilleure qualité. Pour chaque collaboration, nous avons calculé qui, de la tête d’affiche ou de la constellation serait la plus difficile à remplacer.

Pour ce faire, nous avons remplacé une tête d’affiche ou une constellation par celle qui occupait la deuxième place sur le plan de la compatibilité. Plus l’impact de la recherche diminuait, plus la présence de la tête d’affiche ou de la constellation manquante était indispensable.

Étonnamment, nos résultats montrent qu’il est rare que la contribution d’une seule personne ait plus d’impact que celle de l’équipe entière. La contribution relative de la tête d’affiche sur la création du savoir ne dépasse celle de la constellation que dans 14,3 % des collaborations. La constellation n’est le principal contributeur, en termes de création en valeur relative, que dans 9,5 % des cas.

Plus de trois fois sur quatre, personne ne domine, et c’est la complémentarité entre la tête d’affiche et la constellation qui apporte le plus de valeur aux recherches. Dans presque toutes les collaborations, l’entreprise collective avait pour objectif d’innover.

En résumé, pour identifier les moteurs d’innovation et de découverte, il ne faut pas que quelques étoiles très brillantes nous empêchent de voir l’immensité du ciel.

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