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Ritournelles du protectionnisme : le chant des sirènes

La vision du libre-échange des supporteurs de Noam Chomsky (illustration de 2006). Christopher Dombres/Flickr

Donald Trump, à peine élu, se fait présidentiel, et cherche une assise stable à un programme politique bien contradictoire. À l’exception peut-être de ce slogan : America First. Traduction : protectionnisme ; seule véritable constante dans son discours et dans son programme.

La revendication protectionniste apparaît également en France dans le programme du Front national et dans celui de Jean-Luc Mélenchon pour les élections présidentielles de mai 2017. Étrange rapprochement des extrêmes qui laisse penser, à tort, que le protectionnisme se déclinerait selon la couleur politique.

Or, le protectionnisme se traduit sur le plan juridique comme la possibilité de protéger un marché national de la concurrence étrangère par l’édiction de mesures discriminatoires. Qu’il figure dans le programme de Trump, dans celui de Marine Le Pen ou dans celui de Jean-Luc Mélanchon, le protectionnisme, même s’il s’habille parfois de formes différentes, reste en fait toujours le même.

Le protectionnisme guerrier de Trump

Donald Trump défend une version dure du protectionnisme. Une sorte de protectionnisme intégral : prôner la fermeture du marché pour que l’Amérique retrouve de sa superbe et pour qu’elle puisse assurer sa propre sécurité en maîtrisant complètement ce qui rentre et ce qui sort de son territoire. Cette fermeture assurerait aussi la protection de l’emploi américain, prétendument détruit par les importations, cette nouvelle chimère supposée détruire les économies nationales. Comme si ériger la discrimination en principe de politique économique était la seule et unique solution pour résoudre la crise de compétitivité de certaines entreprises nationales.

La logique de Trump repose sur un postulat : les importations seraient « malsaines » et « désastreuses » parce qu’elles seraient imposées par le dogme du libre-échange. Étrange vision : les importations et les exportations n’existent que quand deux États au moins ont intérêt à commercer. Le fait que se développent des accords de libre-échange est bien la preuve que le commerce ne peut pas être une obligation.

Pour Trump, sortir de ce prétendu dogme implique de renégocier ou supprimer (c’est selon) les grands accords de libre-échange et de réinstaurer des droits de douane élevés pour emmurer le marché américain. Ou au moins donner une priorité d’achat aux produits américains, sauf s’ils sont vraiment trop onéreux : le commerce international doit passer après le commerce national. Ce qui revient, ni plus ni moins, à renverser, le principe du commerce international en vigueur depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

L’option préconisée par le nouveau président des États-Unis est une version très classique du protectionnisme. Elle est fondée sur des thèmes récurrents du repli sur soi : d’un côté, le nationalisme et, de l’autre, l’hégémonie politique et commerciale. Ce qui soulève deux principaux problèmes.

Partir de l’idée que tout ce qui est américain doit être privilégié est d’abord une manière de prôner une politique industrielle et commerciale nationaliste qui oublie que chaque pays au monde, même les États-Unis, a besoin d’importations et profite de ses exportations. Mettre en œuvre des politiques protectionnistes implique ensuite d’anticiper la réaction de ses partenaires commerciaux. En d’autres termes, comment fermer son marché sans risquer une guerre commerciale ?

La solution de Trump est à nouveau trop simple. Les États-Unis vont imposer à leurs partenaires, dont la Chine, de commercer aux conditions américaines en les menaçant sinon de fermer leur lucratif marché. Dans sa vision, le protectionnisme est possible parce que les États-Unis sont hégémoniques. Leur puissance rend impensable une guerre tarifaire. Nationalisme et hégémonisme politique sont nécessaires pour que la fermeture du marché n’emprisonne pas les États-Unis.

La rhétorique de Trump est simpliste, et c’est certainement ce qui fait son efficacité. Elle est surtout complètement erronée : comment penser que le protectionnisme – ou la mise sous cloche des industries nationales – arrêtera la mondialisation ? Le raccourci est tout aussi hasardeux que d’avancer que les murs ont arrêté les migrations.

Trump a beau nourrir une aversion particulière pour le libre-échange, le protectionnisme n’arrêtera pas la mondialisation. La mondialisation continuera avec ou sans le concours et la participation des États-Unis.

Le « protectionnisme intelligent » du Front national…

En France, les partis populistes ont adopté une version apparemment plus nuancée du protectionnisme. Marine Le Pen annonce en effet ne pas vouloir refermer le marché national sur lui-même. Elle préfère le protéger des « désordres du monde ». Le protectionnisme devrait être intelligent, c’est-à-dire ciblé, pour ne protéger que les secteurs stratégiques.

La rhétorique est adroite. La logique l’est moins. Le FN vante a priori un protectionnisme moderne qui gagne à ne pas être systématique, au moins dans son discours. Mais cette option soulève surtout de nombreuses questions, à commencer par celle de la détermination de ce qu’est véritablement un secteur stratégique. Est-ce le maintien d’une base industrielle ou l’émergence des nouvelles économies qu’il faut anticiper ? Le FN ne répond pas à cette question. En filigrane, on devine que le secteur économique est stratégique parce qu’il est national. Le protectionnisme est davantage patriote qu’il n’est ciblé, puisqu’il s’agit très souvent de la protection d’industries vieillissantes et peu innovantes, uniquement parce qu’elles sont françaises. Là encore, le patriotisme est un faux nez. Ce protectionnisme ne fait que poser un glacis fixateur sur l’état des industries nationales, sans garantir ni l’innovation ni le développement de nouvelles économies.

À moyen terme, le protectionnisme nationaliste mène invariablement à une désindustrialisation accélérée. Penser qu’il est possible de soustraire certains secteurs à la mondialisation par le rétablissement de frontières sélectives est une illusion bien fugace. Elle illusionne parce qu’elle parle de protection. Elle est fugace parce que, à l’évidence, porter à bout de bras des industries menacées par la mondialisation est un coup de bluff. Pour gagner, il faut être prêt à lancer une guerre douanière généralisée qui ne sera bénéfique qu’à très court terme. Si on pose la question à tout consommateur de savoir s’il est prêt à payer le maintien des emplois nationaux par une augmentation des prix, sa réponse sera immanquablement négative.

Marine Le Pen use finalement du même artifice que Donald Trump : faire croire que le libre-échange oblige un État à importer. Et que le protectionnisme ciblé permet d’éviter la perte des emplois et de garantir la cohésion sociale de la France. Or, le libre-échange n’oblige pas un pays à renoncer à ses normes essentielles ; leur protection en est au contraire une condition. Aucun traité international ne peut imposer à un État de sacrifier la protection de ses salariés ou de diminuer les efforts qu’il souhaite fournir pour préserver l’environnement.

Un État signe un traité et accepte son contenu sans que rien ni personne ne le force à quoi que ce soit. Un traité de libre-échange organise les importations parce que chaque État signataire l’a bien voulu. L’Union européenne n’est pas une exception. Elle ne déroge bien évidemment pas à cette règle. Le libre-échange fonctionne s’il est régulé. Et dans ce cas il devient gagnant-gagnant. Le protectionnisme ne permet pas de réguler ni de protéger. Il exacerbe l’arbitraire des relations internationales. Cette subversive inversion de perspective le légitime faussement. Le protectionnisme du FN est le même que celui de Trump. Une politique nationaliste et guerrière.

Le « protectionnisme solidaire » de Jean-Luc Mélenchon

Le protectionnisme est aussi le pari de la gauche française version Mélenchon. Ce protectionnisme nouvelle-vague est présenté comme solidaire. La priorité est d’abord de garantir l’autosuffisance nationale. Chaque état devrait ainsi être mis en capacité de produire ce dont il a besoin, en fonction de ses atouts climatiques, industriels et de son savoir-faire propre. L’État devrait pouvoir retrouver le droit d’utiliser les droits de douane et les quotas, mais aussi d’interdire l’importation de produits qui ne satisfont pas à son niveau de protection sociale ou environnementale, y compris en dénonçant les accords de libre échange.

Une fois les frontières refermées, il serait possible de s’ouvrir au commerce international en choisissant ses partenaires, exclusivement sur la base de la complémentarité et de la coopération. Le marché français ne pourrait donc s’ouvrir que si le produit manque dans le cadre national et si ce produit importé répond aux standards sociaux et environnementaux français. À cette condition, et seulement à celle-ci, le commerce international deviendrait possible parce que solidaire.

Cette version du protectionnisme n’est pas aussi généreuse qu’elle n’y paraît. Elle part d’un postulat qui ne résistera pas plus à l’analyse qu’à l’épreuve des événements : celui d’une coopération fondée sur la protection d’un système national refermé sur lui-même. L’État qui va pouvoir bénéficier de cette solidarité protectionniste est d’abord celui qui a le même niveau de protection sociale et environnementale que la France : peu de partenaires, en somme. Ou celui qui dépend commercialement de la France et a pour unique solution de se plier à cette nouvelle donne commerciale : peu d’États aussi.

On retrouve l’hégémonisme de la logique protectionniste de Donald Trump et de Marine Le Pen. Le protectionnisme n’est pas plus solidaire qu’il n’est intelligent. En agitant le spectre du repli sur soi, Jean-Luc Mélanchon se trompe : la solidarité ne peut pas résulter d’une politique qui considère la solution nationale comme la meilleure. Elle ne peut se concevoir que si les systèmes de normes se rencontrent et apprennent à se connaître pour laisser passer les flux commerciaux. La solidarité de Mélanchon suppose, en fait comme en droit, le libre-échange.

Le protectionnisme n’est ni nouveau ni modernisé quand il est patriote, solidaire ou intelligent. Le protectionnisme est et reste ce qu’il est : une solution de repli, quand elle n’est pas une solution guerrière, qui ne peut pas résoudre la crise que nous traversons. Simplement parce que la réalité du monde ne peut être emprisonnée dans des murs. L’ironie dans tout cela ? La Chine, contre qui tous les protectionnistes s’accordent à élever leurs remparts, se fait le chantre du libre-échange, pour organiser le commerce Asie-Pacifique. Comme l’a déclaré le président Xi Jinping : « Nous n’allons pas fermer la porte au monde extérieur mais l’ouvrir encore plus largement ». À bon entendeur…

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