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Jean-Yves Duclos, ministre des Services publics et des Marchés publics, et Dominic LeBlanc, ministre de la Sécurité publique, des Institutions démocratiques et des Affaires intergouvernementales, répondent aux questions des médias sur les trois rapports d'audit de la vérificatrice générale du Canada, à Ottawa, le 4 juin 2024. (La Presse canadienne/Spencer Colby)

Voici pourquoi Ottawa doit révéler quels députés ont conspiré avec des puissances étrangères

La démocratie repose avant tout sur la confiance.

Nous faisons confiance à nos dirigeants pour qu’ils agissent dans notre intérêt. Nous faisons confiance à nos institutions démocratiques pour leur demander des comptes lorsqu’elles ne le font pas. Nous faisons confiance à nos médias pour couvrir ces activités, et nous faisons confiance à nos concitoyens pour parler et agir de bonne foi.

En bref, la confiance est la pierre angulaire de toute démocratie. En la bafouant, on aggrave la crise de confiance des Canadiens envers les instances politiques, laquelle est déjà importante. Si elle n’est pas contrôlée, cette méfiance sapera la légitimité des institutions démocratiques du Canada.

Le dernier coup porté à cette confiance a pris la forme du récent rapport du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement. Ce rapport affirme qu’un ou plusieurs députés canadiens ont, ces dernières années, coopéré « sciemment » avec des puissances étrangères afin d’influencer la politique canadienne et de partager des informations confidentielles.

En d’autres termes, ils espionnaient.

D’autres politiciens ont également reçu, à leur insu, un soutien financier ou d’autres natures.

Plus généralement, des citoyens canadiens, en particulier des membres des communautés de la diaspora, ont été la cible de ce que l’on appelle la répression transnationale : les gouvernements étrangers ont recours à toute une série de tactiques pour obtenir le soutien de leurs régimes. Cette allégation n’est pas nouvelle, mais le rapport amplifie les recherches antérieures sur le sujet.

Dans le même ordre d’idées, le rapport affirme que des journalistes et des médias ont également subi des pressions pour répondre aux exigences de gouvernements étrangers, de gré ou de force.

Peu de détails

Malgré ces révélations, on est loin d’avoir une vue d’ensemble de la situation.

Les Canadiens ne connaissent pas les noms des personnes impliquées, ni même l’ensemble des pays concernés. Si le rapport conclut que la Chine et la Russie sont les principales sources de menace, il note également que « d’autres États, dont l’Inde, le Pakistan et l’Iran, se livrent à des activités d’ingérence à l’étranger ».

La décision de taire le nom d’un pays semble à première vue indéfendable. Au minimum, elle donne une raison supplémentaire de douter de la fiabilité du gouvernement ; les lecteurs plus sceptiques peuvent simplement conclure que l’influence étrangère doit bien fonctionner si le gouvernement ne peut même pas nommer le pays qui l’entreprend.

En bref, les Canadiens ont appris de nombreuses raisons d’être très inquiets, mais aucune raison d’être rassurés.

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La réponse ministérielle était en fait : « Faites-nous confiance, nous allons examiner la question en interne. » Lorsqu’on lui a demandé à la Chambre des communes si des ministres actuels étaient nommés dans le rapport, le ministre de la Sécurité publique, Dominic LeBlanc, a refusé de répondre.

Ces positions ne sont pas tenables. Elles poussent le Canada vers une crise de confiance.

Un homme aux cheveux gris clairsemés parle au milieu d’une mêlée de journalistes, de caméras et de microphones
David McGuinty, député libéral et président du Comité parlementaire de la sécurité nationale et du renseignement, répond aux questions des journalistes sur l’ingérence étrangère à Ottawa le 5 juin 2024. La Presse canadienne/Justin Tang

Parallèles avec la crise financière

Prenons l’exemple de la crise du crédit de 2007-2008, une autre crise de confiance.

La crise financière s’est en partie produite lorsque des entités financières ont acquis des créances douteuses. Les banques et autres institutions, ne sachant plus à qui faire confiance, ont cessé de faire confiance à qui que ce soit et ont cessé de prêter de l’argent.

Sans accès au crédit, l’ensemble de l’économie risquait de s’arrêter et la situation a perduré jusqu’à ce que les gouvernements interviennent avec des mesures pour rétablir la liquidité — et la confiance.

La situation actuelle au Canada est similaire. Les électeurs, ne sachant pas à qui faire confiance, pourraient finir par ne faire confiance à personne.

À quoi ressemblent donc les mesures de rétablissement de la confiance dans ce cas ? Elles commencent par la transparence, suivie de la responsabilité.

Il est certain qu’une telle approche aura un coût. Le travail de renseignement n’est pas la même chose qu’un tribunal. Les gouvernements qui agissent sur la base de rapports de renseignement doivent souvent se fonder sur des informations qui n’atteignent pas clairement le seuil « au-delà de tout doute raisonnable ». Certaines activités peuvent être illégitimes sans être manifestement illégales d’une manière qui satisferait un tribunal. De plus, les informations utilisées pour tirer des conclusions sur l’ingérence étrangère peuvent être top secrètes.

Il ne sera pas facile pour les députés mis en cause de réfuter les allégations, comme on l’a vu avec le député indépendant Han Dong. Il continue à se débattre avec des allégations selon lesquelles il a bénéficié de l’aide du gouvernement chinois et a fourni des conseils inappropriés à un membre du consulat chinois.

Un homme en costume sombre parle dans un microphone et fait un geste de la main droite
Han Dong comparaît comme témoin à l’Enquête publique sur l’ingérence étrangère dans les processus électoraux et les institutions démocratiques du gouvernement fédéral en avril 2024 ». La Presse canadienne/Adrian Wyld

La transparence est essentielle

Malgré ces coûts, la transparence est aujourd’hui nécessaire pour commencer à restaurer la confiance des Canadiens dans leurs politiciens, leurs partis politiques et les institutions qui les protègent. Ne rien faire, ou simplement attendre et espérer que la GRC fasse le ménage en engageant des poursuites serait encore plus coûteux et suggérerait que les institutions dirigeantes du Canada ne sont pas aptes à se gouverner elles-mêmes, et encore moins à gouverner le pays.

Les partis politiques disposent de nombreux outils pour faire face aux différentes situations de perte de confiance. En effet, il existe une longue tradition de mise à l’écart ou même d’expulsion de membres du caucus et de candidats par les partis et les dirigeants canadiens pour une série de raisons, y compris certaines qui n’ont pas de preuves publiques d’actes répréhensibles.

Lorsque la confiance est perdue à l’égard d’un député — tout comme lorsqu’elle est perdue à l’égard du gouvernement dans son ensemble — les partis dans une démocratie parlementaire comme celle du Canada ont à la fois la capacité et l’obligation d’agir rapidement et de manière décisive pour la rétablir.

La transparence apportera également un certain soulagement aux Canadiens qui vivent actuellement dans un climat de doute injustifié, tant au sein du Parlement que dans la communauté au sens large. Les gouvernements étrangers ont rendu un très mauvais service aux communautés de leur diaspora en essayant de les utiliser comme moyen d’influence, souvent contre leur volonté.

Tant que nous manquerons de transparence, des communautés entières de Canadiens d’origines diverses continueront à faire face à la suspicion, à la méfiance et à la discrimination de la part des Canadiens. Le chemin du retour sera long, mais la transparence est une première étape cruciale.

En d’autres termes, si les dirigeants canadiens veulent que le public leur fasse confiance, ils doivent divulguer aux citoyens les informations relatives à l’ingérence étrangère. Si le gouvernement ne les fournit pas, les électeurs finiront par choisir un autre dirigeant, et la confiance dans les institutions canadiennes continuera de s’éroder.

This article was originally published in English

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