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La mission EnVision vers Vénus explorera pourquoi la plus proche voisine de la Terre est si différente. NASA / JAXA / ISAS / DARTS / Damia Bouic / VR2Planets, CC BY

2030, l’odyssée de Vénus

Au début du mois de juin 2021, il s’est passé quelque chose d’inattendu au sein des agences d’exploration spatiale. En moins d’une semaine, trois missions à destination de Vénus ont été sélectionnées pour des lancements à l’horizon 2030, deux par la NASA (les sondes VERITAS et DAVINCI+) et une par l’ESA, à savoir l’orbiteur EnVision.

Ce regain d’intérêt pour Vénus couvait depuis quelque temps déjà : projets déjà initiés de la part des agences spatiales russe (mission Venera-D en partenariat avec la NASA) et indienne (orbiteur Shukrayaan prévu vers 2025), annonce fortement médiatisée (et immédiatement controversée) de la possible découverte de phosphine dans les nuages de Vénus en septembre 2020. Mais l’ampleur de ce regain a surpris même les plus optimistes parmi les partisans d’un rééquilibrage des efforts d’exploration spatiale entre les différents objets du système solaire.


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Il faut dire que Vénus avait été relativement délaissée depuis les années 1980, alors même qu’elle avait été le second objet du système solaire visité par des sondes spatiales soviétiques et américaines dans les années 1960, juste après la Lune. Mais cette première campagne s’était soldée par une grande déception : alors que les scientifiques s’attendaient, compte tenu des similarités de taille et de masse entre les deux planètes, à trouver une planète jumelle de la Terre en un peu plus chaude du fait de proximité au Soleil, une sorte de paradis tropical, Vénus s’est révélée être en fait un monde particulièrement hostile : une température à la surface d’environ 460 °C (de jour comme de nuit, aux pôles comme à l’équateur) causée par un effet de serre colossal ; une pression atmosphérique équivalente à celle régnant à un kilomètre de profondeur dans nos océans terrestres ; un cocktail de gaz toxiques dans l’atmosphère ; des couches nuageuses sur 20 kilomètres d’épaisseur constituées principalement d’acide sulfurique concentré et recouvrant l’intégralité de la planète… Dès lors, d’autres objets, Mars en tête, sont apparus comme des cibles plus faciles et plus prometteuses notamment pour la recherche de traces de vie extraterrestre, et la communauté scientifique s’est en grande partie détournée de Vénus.

C’est paradoxalement cette hostilité et ce contraste saisissant entre Vénus et la Terre, qui est à l’origine du retour en grâce actuel de Vénus. Entre-temps, la problématique du réchauffement climatique, qui est causé par une augmentation de l’effet de serre, est devenue d’importance critique : l’effet de serre pourrait-il s’emballer sur Terre comme cela a été le cas à une époque encore indéterminée sur Vénus ?

En outre, le contexte scientifique a connu une révolution majeure, à savoir la découverte de nombreuses planètes hors du système solaire, les fameuses exoplanètes dont plusieurs milliers ont été détectées à ce jour. Or, si Vénus et la Terre étaient deux exoplanètes, nous serions bien en peine avec nos instruments actuels de déterminer laquelle des deux est une planète propice à la vie et laquelle est un monde hostile. Nous verrions simplement deux planètes de masse et de rayon comparables, toutes deux dotées d’atmosphères denses et nuageuses, et absorbant de la part de leur étoile des flux lumineux comparables. Pourquoi et comment ces deux planètes ont suivi des trajectoires d’évolution aussi différentes rendant l’une habitable et l’autre infernale ? C’est à cette question qu’entendent répondre les trois missions sélectionnées, et plus particulièrement la mission EnVision.

Pourquoi Vénus et la Terre sont-elles si différentes ?

Depuis une orbite à quelques centaines de kilomètres d’altitude au-dessus de la surface, la sonde EnVision « décortiquera » Vénus depuis son cœur jusqu’au sommet de son atmosphère. Deux radars, trois spectromètres et des expériences dites de « radio-science » nous éclaireront sur les différentes enveloppes de la planète (son intérieur, sa surface, son atmosphère) et la façon dont elles interagissent entre elles afin d’aboutir à une vision globale de notre voisine.

Instrument phare de la mission, un radar dit « imageur » percera le voile de l’épaisse atmosphère vénusienne pour observer à la surface des détails de l’ordre de 30 m, voire 10 m dans le meilleur de cas. C’est dix fois mieux que ce dont était capable le précédent radar ayant exploré Vénus, celui de la mission Magellan de la NASA (1990-1994), et dont est issue la meilleure carte globale actuelle de la planète. EnVision cartographiera 30 % de la surface (l’équivalent de la surface de Mars, ou de celle de tous les continents terrestres) avec notamment l’espoir d’y déceler des changements depuis l’époque de la mission Magellan, trahissant une activité géologique encore en cours.

Les paysages vénusiens sont en effet dominés par des plaines basaltiques et jalonnés de centaines d’édifices volcaniques. Le volcanisme a probablement joué un rôle dans la constitution de l’atmosphère hostile de Vénus. Cependant les missions passées n’ont pas apporté la preuve d’une activité volcanique contemporaine ni permis de caractériser le type de volcanisme à l’œuvre : agit-il par épanchements continus dans le temps et contenus dans l’espace ou évènements catastrophiques qui modifient périodiquement la planète de façon globale ? EnVision recherchera également, par imagerie et spectroscopie infrarouge et ultraviolette, des signes d’activité volcanique sous forme d’anomalies de température à la surface (des « points chauds »), ou dans l’atmosphère, par le suivi des gaz minoritaires (comme la vapeur d’eau, le monoxyde de carbone, ou encore les oxydes de soufre), des particules d’acide sulfurique dans les nuages, ou encore d’éventuels panaches de cendres volcaniques.

L’observation par spectroscopie infrarouge de la surface renseignera également sur un éventuel passé humide de Vénus. Aujourd’hui désespérément sèche – toute la vapeur d’eau contenue dans l’atmosphère de la planète ne formerait, si elle était liquide, qu’un océan global de quelques centimètres de profondeur – la planète a pu accueillir des étendues liquides. Si tel est le cas, il est possible que des indices minéralogiques résultant de l’interaction des roches avec une abondante quantité d’eau liquide soient encore présents à la surface (la présence de granite par exemple).

Détecter de tels indices et, encore mieux, les dater pourraient confirmer le scénario selon lequel l’effet de serre se serait emballé suite à l’augmentation progressive de la luminosité du Soleil : ce dernier était 20 à 30 % moins lumineux au début de l’histoire du système solaire qui aurait alors entraîné l’évaporation progressive des éventuels océans de Vénus. Cette évaporation aurait eu comme double conséquence néfaste d’injecter de la vapeur d’eau (un puissant gaz à effet de serre) dans l’atmosphère de la planète et d’empêcher le piégeage du dioxyde de carbone atmosphérique dans les océans conduisant aux températures infernales actuelles. En comparaison, sur Terre, la dissolution du dioxyde de carbone sous forme de roches carbonatées au fond des mers a grandement contribué à limiter son abondance atmosphérique.

La disparition probablement précoce du champ magnétique sur Vénus a pu aussi accélérer l’échappement de son eau comme cela semble avoir été le cas sur Mars. Les expériences de « radio science » devraient enfin révéler l’état du noyau, solide ou liquide, de Vénus et donc permettre de mieux cerner ce qui a pu provoquer l’arrêt du phénomène de dynamo au cœur de la planète (rappelons que le champ magnétique terrestre est induit par les mouvements de la partie liquide de son noyau).

Enfin, une partie de l’histoire géologique de Vénus devrait être dévoilée grâce à un autre radar dit « sondeur » embarqué sur la sonde EnVision. Ce sera le premier de son type à tenter d’ausculter le premier kilomètre sous la surface de Vénus, ouvrant ainsi une nouvelle fenêtre dans l’exploration de cette planète ; les strates qu’il détectera peut-être seront comme autant de pages du roman qui raconte l’évolution de notre voisine et ce qui lui a fait prendre un tournant climatique si dramatique. Un roman dont le récit évitera, peut-être, à la Terre de suivre la même trajectoire et qui aidera à distinguer les exo-Terres accueillantes des exo-Vénus hostiles qui peuplent notre Univers.

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