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Academic All-Star Game, épisode VII : la géopolitique, nouvelle frontière des sciences de gestion

Laurent Livolsi et Stéphanie Dameron.

Ce texte de Marine Stampfli et Louis Choisnet (élèves normaliens de l’ENS Paris-Saclay et étudiants en Master Management stratégique de l’Université Paris-Saclay) est publié dans le cadre d’un partenariat entre The Conversation France et l’Academic All-Star Game, cycle de conférences débats organisés par les étudiants de licence économie-gestion de l’ENS Paris-Saclay et de la faculté Jean‑Monnet (droit, économie, gestion) de l’Université Paris-Sud. Ce cycle est soutenu par la MSH Paris-Saclay.


Programme complet de l’Academic All-Star Game.

Jeudi 28 mars, Faculté Jean‑Monnet de l’Université Paris-Sud : c’est toujours dans la même salle Georges Vedel, aux fauteuils noirs, que prend place la septième conférence de l’Academic All-Star Game. L’enjeu, faut-il le rappeler, est de s’interroger sur l’avenir des sciences de gestion… Vaste sujet !

Le thème de cette septième conférence : La place des sciences gestion, non plus de manière générale et un peu abstraite, mais dans le cas concret de la géopolitique. Quels apports en termes d’analyse, d’anticipation pour les organisations, en particulier pour les États ? Ainsi, au-delà des modifications de l’économie mondiale, des différences de conception de l’intelligence économique entre les nations ou du rôle des États, deux chercheurs ont tenté de montrer que les sciences de gestion ont un avenir sur le terrain de la géopolitique. Finalement, en filigrane, ils parlent de leurs attentes, de leurs espoirs pour les sciences de gestion et bien évidemment des chercheurs de demain.

Présentation des intervenants

Professeure à l’Université Paris-Dauphine, docteure en sciences de gestion, membre du conseil scientifique permanent de l’European Academy of Management, ancienne présidente de la Société Française du Management et auditrice du Cycle des Hautes études pour le développement économique (CHEDE), Stéphanie Dameron travaille notamment sur les problématiques de coopération, inter et intra-organisationnelles, leurs impacts sur les processus de décision stratégique, ainsi que sur les systèmes d’enseignement supérieur en management. Elle a été nommée rectrice de l’Académie d’Amiens en Conseil des Ministres, le 24 juillet 2019.

Laurent Livolsi est directeur-adjoint du Centre de recherche sur le transport et la logistique (CRET-LOG). Ses travaux se focalisent sur les enjeux de la logistique et la supply chain (châine logistique) pour les organisations mais aussi sur le rôle qui en découle pour les institutions en termes de politiques publiques. Il a publié récemment avec Christelle Camman l’ouvrage : « La logistique, une affaire d’État ? ». Il a coordonné avec Nathalie Fabbe-Costes (Aix-Marseille Université) et Sabine Sépari (ENS Paris-Saclay) le numéro spécial de fin d’année 2018 de la Revue française de gestion sur le thème du Supply Chain Management.

Géopolitique : allô Maman, bobo…

Quelle place de l’entreprise dans la société ? Quelle articulation avec les enjeux de puissance nationale ? Si beaucoup de travaux se sont penchés sur ces questions, Stéphanie Dameron relève qu’ils s’inscrivent dans ce contexte économique si particulier et plus vraiment d’actualité qu’est celui de la guerre froide. Nouvelle bipolarisation États-Unis/Chine, ruptures technologiques, coopétition, hyper-concurrence… Tous ces changements, opérés pour beaucoup depuis plusieurs décennies, appellent à repenser les modèles d’analyse stratégique. Car dans un monde ou la domination n’est pas tant militaire qu’économique, les affrontements entre les nations sur l’échiquier mondial passent par leurs entreprises. Charge donc aux États de soutenir leurs entreprises et leurs tissus économiques, via l’intelligence économique notamment.

Or, force est de constater qu’en la matière les nations ont des positions et des capacités bien différentes. Là où les États-Unis maintiennent leur compétitivité par une incitation et un soutien constant à l’innovation, là où l’Allemagne met au profit de ses entreprises des informations économiques collectées via son réseau diplomatique, la France, elle, adopte une posture centrée sur la protection des actifs stratégiques de son territoire. La question, ici, n’est pas de se demander laquelle d’une conception offensive ou défensive est la meilleure, mais bien de ne pas oublier qu’il n’y pas une seule et unique forme d’intelligence économique et surtout de constater, comme l’a rappelé Laurent Livolsi, que l’État a un rôle majeur dans la création, le développement et le maintien d’écosystèmes favorables aux entreprises, et ce en particulier en matière de logistique.

Cependant, différents exemples d’échecs d’entreprises françaises face aux enjeux géopolitiques, poussent les deux chercheurs à s’interroger sur la capacité actuelle de l’État français à avoir une compréhension pleine des stratégies d’influence des nations. Récemment, l’entrée surprise de l’État néerlandais au capital d’Air-France KLM, semble avoir mis la France en défaut. De même, les ambitions géopolitiques de la Chine, que cela soit en Afrique ou son grand projet de nouvelle route de la soie, relèvent d’enjeux extrêmement important pour les nations : faut-il, à l’image de l’Italie, soutenir ce projet ? À quelles conditions, et pour quels gains ? Il y a un besoin crucial d’outils d’analyse pour guider les décideurs politiques, outils que les sciences économiques ou politiques ne sont pas pleinement capables de fournir. Ainsi, pour paraphraser Machiavel : qui pour conseiller le prince ?

Le gestionnaire, indispensable conseiller

S’il apparaît que la géopolitique dans sa dimension économique semble être difficilement appréciée par les États, et ici plus particulièrement par l’État français, mais aussi par les entreprises, une solution existe pour pallier cette situation : la gestion. Et en effet, Stéphanie Dameron rappelle que les sciences de gestion sont nécessaires pour acquérir une pleine compréhension des stratégies d’influence des nations et des États. Il est alors possible de présenter plusieurs remèdes à ce mal.

Tout d’abord, Laurent Livolsi rappelle qu’il faut intégrer davantage d’agilité dans les entreprises françaises pour intégrer la question géopolitique et faire face, voire anticiper des situations inattendues (cf. cas Air France-KLM). L’agilité, pourtant nécessaire, n’en demeure pas moins difficile à mettre en place. Pour la faciliter, Laurent Livolsi rappelle qu’il est nécessaire d’avoir en tête qu’une organisation est une construction, fruit notamment d’une culture. Cet historique ne doit donc pas être occulté, mais il ne doit pas non plus constituer un obstacle. L’agilité doit intégrer les spécificités de l’organisation sans chercher à les figer.

Par la suite, Stéphanie Dameron a rappelé que la gestion disposait d’outils permettant d’intégrer cette dimension géopolitique. Mais comme nous l’avons déjà vu dans une conférence précédente (voir la chronique sur l’épisode n°5 de l’Academic All-Star game), les chercheurs souffrent parfois d’amnésie…


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Il convient alors de redécouvrir et de se réapproprier ces outils en les adaptant au contexte actuel. À titre d’exemple, Stéphanie Dameron cite Igor Ansoff, professeur russo-américain en stratégie réputé du XXe siècle, et sa théorisation de la planification intégrant pleinement la « surprise ». La pensée systémique d’Ansoff inclut la notion des issues (problématiques) et la capacité de l’entreprise ou de l’État à rebondir, nécessitant, entre autres, une réflexion sur les vulnérabilités de son plan stratégique. Pour faire face à ces surprises il faut également porter son attention sur ce que la chercheuse nomme l’antestratégie. L’antestratégie, c’est penser la stratégie au-delà de sa simple dimension économique. Il s’agit de repérer les pratiques sociales, politiques qui vont influencer une décision. En avoir pleinement conscience permet alors de s’adapter à des ruptures, des bifurcations de marché.

Ainsi, il existerait des solutions pour faire face à la problématique géopolitique, la gestion détenant les outils nécessaires à l’appréhension et à la compréhension des phénomènes.

À l’assaut !

Cette septième conférence a donc adopté un ton irrémédiablement positif. Mais au-delà du fait que la gestion produirait des solutions aux écueils géopolitiques, les chercheurs ont présenté l’avenir de la gestion sous un profil favorable. En fondant notamment sa force sur la transdisciplinarité, en (re)prenant connaissance des théories déjà existantes mais également en ne sous-estimant pas la valeur de la gestion dans la sphère politique (les gestionnaires sont de plus en plus sollicités dans les think tanks), tout laisse à penser que le futur de la gestion est éminemment radieux, à condition de repenser et d’élargir les points d’impact de la recherche en gestion. Les chercheurs actuels sont en train de reconstruire la base des sciences de gestion et il appartiendra à la jeune génération de tirer profit de cette réflexion.

De plus, lors de cette septième conférence nous avons ressenti une réelle cohérence émanant de l’ensemble des interventions de l’Academic All-Star Game. En effet, les chercheurs ont parlé ce jeudi de la redécouverte de certaines théories gestionnaires, d’impact de la gestion dans la sphère politique, ou encore de performativité. Ces idées avaient déjà été présentées lors de conférences précédentes. Il convient donc visiblement de conclure que l’union fera la force de la gestion dans un futur (très) proche…


À visionner, l’intégralité de l’épisode 7 de l’Academic All-Star Game avec Stéphanie Dameron et Laurent Livolsi.

À voir également, l’interview de Stéphanie Dameron et Laurent Livolsi.

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