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Alimentation : le retour en grâce du goûter

D'un statut de repas perçu comme anodin, le goûter est passé à celui de temps fort de la convivialité familiale avec les périodes de confinement. Shutterstock

Le goûter, repas inéluctablement associé à l’enfance, véhicule de nombreuses représentations empreintes de convivialité, de transgression et de nostalgie. Qu’il soit pris de manière quotidienne ou à l’occasion d’une fête d’anniversaire, c’est sans doute le dernier bastion du modèle alimentaire français qui n’a pas cédé à la promotion du manger sain.

Assimilé à une pause dans la journée bien remplie de l’enfant, le goûter se conçoit comme l’occasion de consommer des produits gourmands. Voilà qui conduit la plupart des parents à proposer alors à leurs enfants les aliments qu’ils affectionnent le plus, mettant quelque peu à distance les recommandations sanitaires visant à lutter contre le surpoids et l’obésité.

De fait, si les parents sont les acheteurs, les enfants s’avèrent de véritables prescripteurs dans le choix des aliments au moment du goûter. S’ils ne rejettent pas d’emblée les laitages et les fruits, leurs préférences se portent sur des produits sucrés. Conscientes de l’importance de ce repas pour les enfants, les marques agro-alimentaires jouent sur leur besoin d’énergie à cette heure de la journée. C’est ainsi qu’elles lancent des produits de « snacking » faciles à consommer en dehors du foyer, avec des portions estimées sur la base de leurs dépenses caloriques.

Valorisation sociale

Pour autant, ce moment de plaisir n’est pas seulement articulé autour des aliments. Le goûter renvoie aussi à une forme de partage entre pairs. Souvent consommé avec les frères et sœurs au retour de l’école, ce repas est également vécu comme une expérience de consommation collective, lorsque l’enfant reste à la garderie après la classe.

Dans ce contexte, le goûter est l’occasion de faire des échanges dans la cour de récréation pour tester de nouveaux produits. C’est aussi une source de valorisation sociale dans la mesure où l’enfant qui apporte un goûter, considéré comme « original » à l’école, attire la convoitise de ses copains.

Le goûter renvoie aussi à une forme de partage entre pairs. Shutterstock

Or, en invitant les parents à rester chez eux, les périodes de confinement successives et les fortes incitations au télétravail ont revisité les normes sociales attachées au goûter. Les premiers résultats d’une étude que nous avons lancée montrent que les adultes se sont réapproprié le goûter, devenu un temps de détente pour prendre un peu de distance avec les écrans.

Loin d’être associé à une prise alimentaire anarchique et déstructurée, il s’est institutionnalisé, au sein des familles interrogées, autour de pratiques, voire de rituels, façonnés au gré des circonstances et des contraintes d’approvisionnement.

D’un statut de repas perçu comme anodin, le goûter est passé à celui de temps fort de la convivialité familiale, centré sur le plaisir inédit de partager un repas en famille à une heure habituellement consacrée aux activités professionnelles. Il a été l’occasion de renouer avec l’univers de l’enfance autour de produits perçus comme régressifs, véhiculant un sentiment de nostalgie mais aussi de réassurance, face à une période d’incertitude et de stress collectif.

Les gâteaux à l’honneur

Pour les parents, le goûter a été vécu également comme une expérience de consommation transgressive liée à la fois à la nature des produits consommés (attrait pour les biscuits au chocolat par exemple) et aux codes institués au sein de la famille : chacun se servant selon ses envies, sans ordre, sans menu à respecter. Moment d’échange apaisé avec les enfants, le goûter a été envisagé comme un repas sans véritable préparation, et donc sans tension, quant au choix des produits et aux horaires à respecter.

Dans le même temps, si les parents ont privilégié des marques alimentaires ciblant traditionnellement les enfants, ils ont aussi introduit davantage de denrées non transformées, moins conventionnelles pour le goûter, tels que les fruits secs ou les bananes, des aliments réputés anti-fringale.

En parallèle, le goûter a donné parfois l’occasion aux enfants de promouvoir les conseils nutritionnels reçus à l’école. Dans ce contexte, le goûter a été l’occasion de concevoir ces temps d’échanges familiaux comme des espaces de socialisation inversée.

Le goûter s’est aussi révélé comme un marqueur de socialisation alimentaire à travers l’acquisition de compétences culinaires chez les enfants. Durant cette période, en effet, de nombreux gâteaux ont été confectionnés en vue d’être dégustés en famille. Ces compétences contribuent au bien-être des enfants en favorisant chez eux une attente forte d’autonomie et de recherche de liens sociaux.

Ces résultats confirment nos travaux sur les catalyseurs du bien-être alimentaire chez les jeunes consommateurs. La liberté de choisir le type de gâteau à préparer, d’aider ses parents voire de réaliser seul la recette confère à l’enfant une responsabilité qui contribue à accentuer son bien-être, incarné dans l’anticipation de faire plaisir à son entourage.

Éduquer à l’alimentation

La crise sanitaire a amplifié les préoccupations des consommateurs en matière alimentaire et de nombreuses recherches mettent en exergue les changements d’habitude qui en ont découlé, s’interrogeant sur leur durabilité.

Le goûter, ce repas encadré par des normes et régulé à l’occasion de cette pandémie, résistera-t-il au temps ? On peut penser que non dans la mesure où les parents reprendront peu à peu le chemin de leur lieu de travail. Le goûter partagé en temps de crise sanitaire fera sans doute figure de parenthèse enchantée, laissant voir la manière dont l’alimentation contribue à resserrer les liens familiaux.

En revanche, la reconnaissance du goûter comme LE repas des enfants permet d’envisager de nombreuses perspectives dans le champ de l’éducation au bien manger. Il semble, en effet, important de reconsidérer ce repas comme un support favorisant l’autonomie et la responsabilisation des enfants dans le domaine alimentaire.


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À cet égard, la crise sanitaire a confirmé que le partage d’activités culinaires pour préparer un menu, perçu comme bon par les enfants, constitue sans doute un vecteur pertinent pour transmettre des connaissances en matière alimentaire. Cette tendance au « fait maison » au détriment de produits snacking pourrait perdurer avec sans doute, une réflexion à conduire sur des packagings recyclables et adaptés à l’ergonomie des enfants.

Il s’agit dès lors d’investir à la manière dont ce repas, souvent perçu comme insignifiant et pourtant tellement important dans la vie des enfants, peut être investi par les pouvoirs publics, les professionnels de santé, les acteurs éducatifs et les marques pour développer des programmes d’éducation à une alimentation équilibrée, prenant en compte ce temps dédié au plaisir de manger bon et de manger ensemble.

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