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Réunion de travail au Musée d’Art Contemporain de Lyon animée par l’artiste Chloé Serre. Françoise Lonardoni, Author provided

Arts et sciences : comment se réinventer ensemble en période de pandémie ?

Arts et sciences sont directement affectés par la pandémie que nous traversons. Côté arts, la fermeture des lieux culturels suscite l’indignation des professionnels de la culture et contraint ces derniers à se réinventer. Sévèrement touchés par les restrictions sanitaires, les musées tentent d’investir le numérique pour imaginer de nouvelles modalités de rencontre avec les publics. Certains misent sur les visites virtuelles, tandis que d’autres programment des événements en ligne ou se lancent dans le podcast.

Côté sciences, les scientifiques sont mis sur le devant de la scène à travers la figure de l’expert sollicité pour éclairer les décisions gouvernementales. Néanmoins, le discours des chercheurs est traversé de désaccords propres à la production de faits scientifiques. La médiatisation du dissensus chez les scientifiques suscite l’incompréhension du grand public voire éveille sa suspicion.

Professionnels de la culture et de la science font face à des problématiques communes en ces temps de crise sanitaire : comment repenser le lien avec le public ? Pourquoi et comment (r)établir un contact direct avec la société civile ? Le projet macSUP constitue une tentative encourageante d’avancer dans ces réflexions.

Un projet de recherche-création

Initié en 2017 par le Musée d’Art Contemporain de Lyon, macSUP est un projet annuel de recherche-création en milieu universitaire. Il réunit des artistes, enseignants-chercheurs et étudiants de disciplines variées allant de la physique à la biologie en passant par la philosophie et la gestion. Chaque participant mobilise les connaissances et compétences propres à son champ afin de contribuer à la création collective. Après six mois de travail, le fruit de cette création collective est restitué au public. Les années précédentes, la restitution avait lieu en présentiel au Musée d’Art Contemporain de Lyon ou hors les murs.

Cette année, macSUP s’est déroulé en pleine période de pandémie d’octobre 2020 à mars 2021. Le contexte sanitaire a invité les participants à aborder de façon directe ou indirecte ce que la crise sanitaire fait au travail d’artiste et de chercheur. Plusieurs pistes ont émergé pour repenser le lien entre les professionnels de l’art et de la recherche d’une part, et le public d’autre part.

Pousser l’idéal d’ouverture

La moitié des participants s’est penchée sur l’intrication des lieux de vie et de travail en période de confinement. Ils ont formé le CREPIS (Centre de Recherches et d’Expérimentations Poétiques pour des Intérieurs Soutenables) afin d’explorer de façon sensible, corporelle et intellectuelle nos intérieurs devenus multifonctionnels et insoutenables avec le télétravail. Les membres du CREPIS ont créé le GRIGRI, un outil collaboratif s’appuyant sur les mathématiques afin d’offrir des solutions aux épineuses questions posées par nos intérieurs confinés.

Réflexions du CREPIS créé par l’artiste Mathilde Chénin sur les méthodes de rangement de nos intérieurs confinés. François Lonardoni, Author provided

Le GRIGRI prend le contre-pied de la science du bonheur et de ses outils comme la gestion des émotions et le développement personnel. Si certains voient dans ces outils un moyen de mieux se connaître proche du stoïcisme, d’autres y voient une injonction à se prendre en main servant de fondement à ce qu’Eva Illouz nomme « happycratie ». Au lieu d’ériger le bonheur en valeur ultime et de monétiser des conseils pour y parvenir, les membres du CREPIS promeuvent la poésie, la malice et l’esprit critique à travers un GRIGRI prodiguant gratuitement de vrais faux conseils. Le 27 mars, jour de la restitution de macSUP au public, les visiteurs ont pu manipuler le GRIGRI puis échanger sur Discord (logiciel gratuit de messagerie instantanée) avec les membres du CREPIS.

Un conseil donné par le GRIGRI. Françoise Lonardoni, Author provided

Recourir à une démarche artistique a permis d’avancer vers l’idéal d’une science ouverte (open access). Trois maillons de la démarche de recherche sont concernés. Tout d’abord, le recours à un l’outil gratuit Discord issu du gaming pour les réunions de travail et la restitution. Mais aussi l’ouverture du protocole de recherche via la restitution au public lors de laquelle la démarche a été partagée librement. Et enfin le fruit des recherches a été rendu accessible à tous grâce à la mise en ligne gratuite du GRIGRI (https://crepis.org/#solutions).

Si l’idéal d’une science complètement ouverte est encore loin d’être atteint en dépit d’un contexte particulièrement pressant, le projet macSUP œuvre à s’en approcher.

Se réinventer par le jeu

L’autre moitié des participants de macSUP s’est penchée sur le jeu et la façon dont il permet de repenser le cadre des interactions sociales. Avec le passage massif aux cours et conférences en ligne, le monde de l’enseignement et de la recherche a été particulièrement bousculé. Les incursions inopinées de la sphère domestique et les problèmes techniques ont mis à mal la possibilité de faire un cours ou une présentation académique de façon strictement cadrée. C’est dans ce contexte que les participants de macSUP ont mis au point un jeu de rôle à performer en environnement virtuel.

Le but du jeu est de donner une leçon à un public dans une situation sujette aux perturbations. Quatre rôles ont été définis :

  • l’enseignant improvise un cours sur un thème choisi collectivement (ex : le moteur, l’eau, la pizza) ;

  • le trublion sabote la leçon en assignant une contrainte à l’enseignant (ex : commencer chaque phrase par « comme le disait Nietzsche », expliquer sous forme de recette, mimer la leçon) ;

  • les apprenants écoutent la leçon ;

  • le maître du jeu assigne un rôle à chaque joueur et veille à ce que chaque joueur ait endossé tous les rôles d’ici la fin de la partie.

Version préliminaire du jeu créé par les participants de macSUP en collaboration avec l’artiste Chloé Serre. Davy Carole., Author provided

Lors de la restitution du 27 mars, le public a pu participer au jeu au même titre que ses concepteurs.

Ce n’est pas la première fois que des chercheurs mobilisent le jeu, comme l’illustre le recours croissant au serious game dans la production du savoir scientifique. Mais ici, le jeu est mobilisé différemment pour repenser le cadre dans lequel s’inscrit la transmission de connaissances. Il s’agit d’abord de renverser la dynamique passif/actif. Grâce au rôle du trublion, les enseignants-chercheurs cessent (temporairement) de subir les perturbations affectant leurs interventions en ligne pour devenir ceux qui perturbent (avec plaisir) l’intervention d’autrui.

C’est aussi l’occasion de faire de la perturbation la règle. En intégrant les perturbations aux règles du jeu, les débordements deviennent partie intégrante du cadre de l’interaction et se normalisent.

Enfin, le jeu permet de susciter l’empathie. Pour les étudiants participant au jeu, endosser le rôle de l’enseignant permet de prendre conscience des difficultés inhérentes à l’enseignement en distanciel. Pour les enseignants-chercheurs, endosser le rôle du public permet de comprendre les difficultés que pose le suivi attentif d’un cours en distanciel.

Vers un lien plus direct et libre ?

macSUP est une expérience collective aidant à repenser le lien unissant professionnels de la culture et de la science d’une part, et publics d’autre part. Le recours forcé à la médiation des technologies en temps de crise sanitaire a offert une opportunité d’établir un lien de proximité avec les publics. Avec la restitution, les scientifiques se sont adressés directement au grand public sans la médiation des éditeurs scientifiques ni celle des acteurs politiques. Quant aux artistes, ils ont rencontré le public dans un lieu virtuel, pendant numérique du mouvement d’occupation physique des lieux culturels.

macSUP a également permis d’imaginer un lien plus libre avec les publics grâce à la mise à distance de deux freins à l’ouverture des sciences : l’injonction de publier des travaux originaux et exclusifs dans d’excellentes revues académiques, et l’obligation de confidentialité du fait de partenariats avec les industriels. Le GRIGRI et le jeu sont ouverts afin de diffuser gratuitement poésie, malice, humour et empathie dans la société. Néanmoins, cette initiative ne va pas de soi dans un contexte où la baisse historique de la fréquentation des musées a drastiquement réduit leurs recettes propres. macSUP est donc une opportunité pour les institutions culturelles de repenser leur modèle économique et de réfléchir à leur mission : comment faire pour que les citoyens aient accès à la création artistique tout en rémunérant de façon juste l’ensemble des acteurs impliqués ? C’est en résolvant cette équation qu’arts et sciences pourront œuvrer au bien commun.


MacSup est un projet réunissant le Musée d’Art Contemporain de Lyon, l’Université Claude Bernard Lyon1, l’Université Jean Moulin Lyon3, l’INSA Lyon, l’École normale supérieure de Lyon, l’emlyon business school, l’École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon – Pratiques artistiques amateurs. Les artistes Mathilde Chénin et Chloé Serre ont animé l’édition 2020/2021, Le programme macSUP bénéficie du soutien de la Région Auvergne-Rhône-Alpes et de la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes.

Une première restitution au public a eu lieu le 27 mars 2021. La seconde restitution se déroulera en septembre 2021. En attendant, le GRIGRI est toujours accessible sur le site du CREPIS :.

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