La situation précaire de nombreux étudiants est très souvent analysée à la lumière de leurs ressources. Mais la lecture de leurs dépenses est tout aussi instructive. Au premier rang, on y retrouve la hausse des frais de scolarité. Une évolution trop souvent avancée comme technique et comptable, quand elle est en réalité fondamentalement politique…
L’augmentation des droits d’inscription à l’université, souvent présentée comme « sensible politiquement et socialement », est en réalité une hypothèse qui a depuis longtemps migré des eaux agitées du débat de société vers les étendues placides du consensus politique. A l’été 2011, Terra Nova et l’Institut de l’Entreprise, deux think tanks dont on admettra qu’ils n’ont pas la même posture idéologique, plaidaient déjà quasi simultanément pour une augmentation de ces droits.
Cela n’a rien d’étonnant. La mise à contribution des usagers semble être devenue la solution privilégiée pour maintenir à flot certains services publics, alors même que le consentement à l’impôt montre d’inquiétantes limites.
C’est le cas pour ce même service public d’enseignement supérieur dans d’autres pays, comme les États-Unis : dans leur ouvrage sur la « quatrième révolution », John Mickelthwait et Adrian Wooldridge constatent ainsi que les étudiants des universités d’État californiennes avaient vu leur contribution au financement de leurs établissements passer de 12 % en 1990 à près de la moitié de nos jours. C’est le cas aussi en France dans plusieurs autres secteurs, comme pour les organismes culturels de l’État par exemple.
Stratégie de financement
Augmenter la contribution des usagers pour assurer l’équilibre financier d’un service n’a pourtant rien d’évident. Schématiquement, cela ne peut se défendre que dans trois circonstances :
Lorsque, parmi l’ensemble des contribuables de la collectivité, la part des usagers du service diminue. Si la quasi-totalité des contribuables sont usagers du service, alors le financement par l’impôt s’impose. À l’inverse, un service qui ne bénéficierait qu’à un nombre très limité de contribuables devrait lui prioritairement être financé par une redevance.
Lorsque la part des contribuables parmi les usagers du service est de moins en moins importante. Cela peut être le cas lorsqu’un service est quasi exclusivement dédié aux touristes, par exemple.
Lorsque l’on constate que le service rendu a de moins en moins d’impact pour les contribuables qui ne l’utilisent pas. Si les usagers en sont considérés comme les uniques bénéficiaires, alors un financement majoritaire, voire exclusif, par une redevance plutôt que par l’impôt se justifie.
On ne change donc pas la structure de financement d’un service sans que la nature elle-même du service n’ait évolué, qu’il s’agisse du public qu’il attire ou de son rayonnement pour la collectivité. Qu’en est-il du service public d’enseignement supérieur ?
Mutations en cours
Une augmentation des droits d’inscription pourrait s’envisager dans le cadre d’une baisse des contribuables parmi les inscrits. C’est une hypothèse que nous écarterons. S’il y a bien sûr le dernier quart de siècle une augmentation de la part des étudiants étrangers dans l’enseignement supérieur, les évolutions constatées ne nous semblent pas suffire à motiver une translation vers d’un financement par l’impôt à un financement par des frais d’inscription.
L’augmentation pourrait aussi s’envisager dans le cadre d’une baisse du public concerné. Là aussi, c’est une hypothèse que l’on pourrait être tenté d’écarter, puisque c’est en réalité la tendance inverse qui est à l’œuvre : en 2015, 49 % des femmes et 41 % des hommes ayant entre 25 et 34 ans étaient diplômés de l’enseignement supérieur, contre seulement 39 % des femmes et 27 % des hommes nés deux décennies plus tôt.
Notons que cet élargissement du monde étudiant doit cependant être nuancé. La hausse des effectifs ne doit pas masquer leur évolution qualitative : l’enseignement supérieur ne se serait pas tant ouvert à toutes les classes de la population, il se serait seulement élargi aux classes moyennes, tout en continuant à ne bénéficier que marginalement aux classes populaires…
Vague libérale
Enfin, l’augmentation de frais pourrait se faire si le rayonnement du service pour la collectivité diminuait. Il s’agit là de la composante la plus subjective, ou en tout cas la moins objectivable, de notre grille d’analyse. Le service public d’enseignement supérieur serait alors de moins en moins considéré comme participant à l’éducation des citoyens et de plus en plus comme un outil d’insertion personnelle sur le marché du travail.
C’est un glissement sociétal dont il est difficile de contester la résonance, ne serait-ce qu’à travers le débat sur la sélection à l’entrée des masters.
Parce que son public n’évolue qu’à la marge, l’augmentation de la contribution des étudiants au financement de l’enseignement supérieur peut être interprétée comme un « déclassement » de ce service. La récente décision du Conseil constitutionnel affirmant le principe de gratuité de l’enseignement supérieur public s’apparente presque, on peut le regretter, à un baroud d’honneur.
L’affirmation si tardive d’un tel principe pourra-t-elle résister à une vague idéologique libérale à l’œuvre depuis des décennies ? Seuls les futurs contrôles du respect par le pouvoir réglementaire de la modicité et de l’adaptation aux capacités financières des étudiants pourront nous l’apprendre.