Encore sous le choc du référendum britannique du 23 juin 2016 ayant conduit au Brexit, la scène politique européenne tremble à nouveau : la Cour constitutionnelle autrichienne vient d’invalider les résultats du second tour des élections présidentielles du 22 mai dernier. La plus haute juridiction du pays annule ainsi la courte victoire électorale que le candidat Vert, Alexander Van der Bellen, avait remportée de justesse. Son rival populiste, Norbert Hofer le candidat du parti d’extrême droite FPÖ, sorti largement en tête au premier tour avec 36 % des voix, l’avait immédiatement contestée devant le juge constitutionnel.
Le soulagement de l’Europe aura duré à peine un mois. Il était largement illusoire, comme je l’avais souligné au lendemain du deuxième tour dans The Conversation. Face à cette ultime péripétie, il est nécessaire d’analyser cet événement dans la perspective des prochaines échéances électorales en septembre ou en octobre. En tout état de cause, le FPÖ a toujours un avenir en Autriche.
Un parlement mort-vivant
Cette invalidation constitue un coup de théâtre : Alexander Van der Bellen devait en effet prendre ses fonctions la semaine prochaine. Le soulagement généralisé dans le camp des anti-FPÖ en Autriche et en Europe a trop rapidement relégué les recours formés par ce parti au second plan.
Une telle invalidation n’est pourtant pas étonnante en soi dans un État aux standards démocratiques élevés. Patrie du créateur du concept de « hiérarchie des normes », le juriste et philosophe Hans Kelsen, l’Autriche est le premier État européen à avoir institué une Cour constitutionnelle, en 1920. Pont avancé de la démocratie libérale en Europe orientale après le second conflit mondial, la République fédérale d’Autriche montre – une nouvelle fois – qu’elle ne transige pas avec les libertés fondamentales, au premier chef avec la sincérité du scrutin et donc avec le suffrage universel direct.
L’invalidation de l’élection a pour première conséquence de rappeler à la classe politique autrichienne qu’elle est toujours largement démunie face au FPÖ. Les prochaines élections présidentielles, sans doute à l’automne, se dérouleront dans un paysage politique en ruines. En effet, le premier tour avait marginalisé le Parti populaire démocrate-chrétien (ÖVP) et le Parti social-démocrate (SPÖ), qui ont alterné au pouvoir, respectivement de 1945 à 1970 et de 1970 à 1990.
Ces deux formations sont aujourd’hui minoritaires dans le pays : leurs candidats respectifs ont chacun recueilli environ 11 % des voix lors du premier tour du 24 avril. Leur grande coalition actuelle au Conseil national (le Parlement autrichien) est moribonde. Malgré le choix de Christian Kern comme nouveau Chancelier, les prochaines élections présidentielles devraient confirmer la montée en puissance du FPÖ et la transformation des partis traditionnels en zombies.
L’invalidation du vote de mai rappelle ce que tous essayaient d’oublier en Autriche depuis plusieurs semaines : la coalition gouvernementale et parlementaire souffre d’un manque de légitimité criant.
L’alternative au FPÖ reste à créer
Toute la question est aujourd’hui de savoir si, en quelques mois, Alexander Van der Bellen parviendra de nouveau à rassembler autour de lui un front anti-FPÖ comme il l’avait fait en quelques semaines entre le premier tour et le second tour. L’urgence de « l’union sacrée » est aujourd’hui passée. Il lui faudra démontrer au fil des mois qui viennent qu’il est capable de cimenter une offre politique alternative.
Elle est aujourd’hui fragile car dispersée. Les partis traditionnels risquent de s’arc-bouter sur leur anachronique majorité parlementaire : le SPÖ dispose de 52 sièges et l’ÖVP de 51 sièges dans un Parlement qui compte 183 sièges en tout. Ils contesteront sans doute mezzo voce le leadership aux Verts qui n’en comptent que 24.
De plus, Alexander Van der Bellen n’est pas la seule figure ayant émergé : la candidate indépendante Irmgard Griss (18,5 % des voix au premier tour) peut elle aussi prétendre à un rôle de premier plan. Toutes ces tendances ne jouent ni en faveur d’une alliance solide contre le FPÖ ni en faveur d’une offre gouvernementale charpentée.
Sans plateforme et sans coalition, sans programme unifié et sans leader incontesté, les forces anti-FPÖ ont encore tout à faire avant de s’engager dans la prochaine campagne électorale.
Pour le FPÖ, une victoire à portée de main
Le FPÖ était sorti du deuxième tour du 22 mai tout à la fois vaincu électoralement et vainqueur politiquement. Sa victoire politique tenait au fait qu’il avait tous les avantages d’un succès dans les urnes sans les inconvénients. Première force partisane du pays, il structure l’agenda politique et le débat public en Autriche autour de ses thématiques : hostilité à l’islam et à l’immigration, revendication des racines chrétiennes de l’Europe, euroscepticisme populiste mais non sécessionniste. La défaite du 22 mai l’avait, en outre, dispensé de faire ses preuves dans l’administration du pays.
Il peut, aujourd’hui, faire prospérer sa rhétorique anti-élites, anti-mondialisation, anti-« Vienne La Rouge » sur les thèmes familiers aux populistes : la victoire (presque) volée au peuple, la défiance envers la classe politique traditionnelle, la coalition des partis en faveur de l’Europe contre la souveraineté nationale du peuple autrichien, etc.
Dans la perspective des prochaines échéances présidentielles, le FPÖ pourra s’appuyer sur la victoire symbolique que constitue l’invalidation du scrutin de mai. Pour lui, toutes les conditions sont réunies pour accéder à la magistrature suprême : il a fait ses preuves (controversées cependant) de gestionnaire en Carinthie et au Burgenland en coalition, il a entretenu une dynamique de croissance électorale tout au long de 2016 et tous les partis politiques sont sommés de se positionner par rapport à lui. Il lui reste à sillonner les campagnes autrichiennes et à annoncer la dissolution du Parlement en cas de victoire à la présidentielle et il rassemblera autour de lui une majorité populaire.
Après la victoire politique et la victoire symbolique, la victoire électorale puis parlementaire semble à portée de main pour le FPÖ.
Eurosceptique, mais pas anti-européen
Combinée à l’annonce du Brexit, l’invalidation de l’élection présidentielle peut-elle conduire à un nouveau départ de l’UE, celui de l’Autriche, en cas de victoire du FPÖ ? Sans doute pas : le FPÖ a beau réclamer un référendum sur l’UE en Autriche, il est eurosceptique mais pas anti-européen comme UKIP, le FN ou le PVV (Parti pour la liberté de Geert Wilders). Il n’est hostile ni à l’euro ni au marché commun. L’économie autrichienne est trop tributaire de son enclavement territorial dans l’UE pour pousser bien loin la contestation de l’Union.
Si une potentielle victoire du FPÖ à l’automne n’annonce pas un Brexit au centre de la Mittel Europa, elle préfigure en revanche un renforcement des populismes en Europe centrale et orientale, dans le sillage des présidences hongroise, slovaque et polonaise. Le mouvement actuel est moins europhobe qu’hostile au libéralisme en Europe.