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Nos années Trump

Avant de nettoyer le bourbier de Washington, Trump a lessivé le Parti républicain

Le sénateur Jeff Flake à Washington, le 24 octobre. Il a décidé de ne pas se représenter en novembre 2018. Win McNamee/AFP

Tout le monde avait compris qu’après une campagne menée clairement contre lui par de très nombreuses personnalités de son propre camp, il était primordial pour Donald Trump de prendre le contrôle de la machine électorale indispensable que représente le Parti républicain. Sa stratégie d’une prise de contrôle est maintenant bien connue : il commence toujours par consolider sa base la plus proche. À partir de là, il s’attaque aux maillons les plus faibles, un par un, en les isolant et en ne lâchant plus sa proie.

Pour soumettre le parti, il a ainsi commencé par appeler auprès de lui celui qui en était le dirigeant pendant la campagne, Reince Priebus. Alors, ayant le champ libre et fort de l’aura de la victoire, il l’a remplacé par quelqu’un qui partageait totalement ses idées et qui surtout lui avait été loyal : Ronna Romney McDaniel a hérité de la difficile mission de resserrer les rangs autour du Président.

Le Parti républicain, sonné par une campagne au cours de laquelle tous ses champions ont été terrassés les uns après les autres, n’a plus été en capacité de s’opposer à la mise sous tutelle. L’establishment, maintes fois brocardé par le vainqueur de l’élection, a disparu du devant de la scène à Washington et les factions les plus conservatrices ont eu une parole plus libre et des coudées plus franches.

Que reste-t-il du parti ?

Mais alors, que reste-t-il du Parti républicain plus traditionnel, de celui qui a porté à la Maison-Blanche tous les prédécesseurs de Donald Trump issus de ce camp-là ? Beaucoup se demandent, en effet, s’il existe encore et, si tel est le cas, s’il pourra survivre à cette présidence. Car voilà bien l’enjeu aujourd’hui.

L’annonce de la retraite parlementaire du sénateur de l’Arizona Jeff Flake, qui intervient quelques semaines à peine après celle de Bob Corker, le sénateur du Tennessee et puissant président de la Commission des Affaires étrangères pendant de longues années, ne rend que plus critique le danger qui plane sur ce parti. Ce dernier paraît n’être plus qu’une carcasse, après avoir été brutalement abattu le 8 novembre dernier, par l’élection de Trump.

Jeff Flake, en cowboy courageux, avait voulu faire vivre ce Parti devenu un vestige du passé, et il s’est dressé sur la route du bouillant candidat, osant l’affronter, le critiquer et n’hésitant pas à consigner ses réflexions les plus désagréables dans un livre, paru au début de l’été. Cela devait sonner le rassemblement, pensait-il, de tous les autres intrépides qui voudraient bien se joindre à lui pour reconstruire le bateau républicain et repartir de plus belle.

Tous sur la sellette !

Oui, mais voilà, ses collègues sont peut-être des braves, mais peu d’entre eux se révèlent téméraires. Flake ne peut que constater, aujourd’hui, qu’il a donc négligé un adage pourtant très sage qui dit qu’en politique il ne faut porter un coup que lorsqu’on est en position de force.

Or ce n’était pas son cas, loin s’en faut, ni celui de bon nombre de ses amis susceptibles de lui prêter main-forte : en novembre 2018, un tiers du Sénat et la totalité des représentants reprendront le chemin des campagnes afin d’aller chercher une réélection qui, désormais, n’est plus acquise d’avance, comme c’était le cas traditionnellement. Celui qui est fort aujourd’hui, c’est le Président, ce Trump que Corker et Flake avaient tenté d’arrêter pendant la dernière campagne présidentielle avec un slogan tout aussi incantatoire qu’inoffensif : « Never Trump », « Jamais Trump ».

Donald Trump, le 24 octobre, à l’issue d’une rencontre avec les sénateurs républicains au Capitole, à Washington. Saul Loeb/AFP

S’attaquer à lui, on le sait bien maintenant, c’est assurément s’exposer à un retour de bâton, car Donald Trump, plus que tout autre, aime se battre. Et il dit souvent, également, qu’il n’oublie jamais le tort qui lui a été causé.

Compromis par le populisme

Jeff Flake, encore plus qu’un autre, courait sans doute à sa perte en novembre 2018 : Donald Trump avait juré de le faire battre et avait annoncé qu’il mettrait dix millions de son propre argent pour y arriver. Steve Bannon, qui semble toujours être le conseiller le plus proche du Président, même s’il a quitté la Maison-Blanche l’été dernier, avait assuré la campagne de celle qui sera très certainement sa remplaçante, Kelli Ward, une trumpiste pur jus. Les électeurs conservateurs de l’Arizona l’ont d’ailleurs déjà adoptée, si on en croit les sondages, qui la donnent tous gagnante dans un an avec près de 70 % des voix.

Le constat n’en a été que plus cruel pour Flake : le Parti républicain de l’Arizona n’est plus celui de John McCain et de Jeff Flake, mais bien celui de Donald Trump.

Jeff Flake a ainsi tristement constaté :

« En 1960, Barry Goldwater estimait que le New Deal avait compromis le mouvement conservateur et le Parti républicain. 57 ans plus tard, je crois que le mouvement conservateur et le Parti républicain sont compromis par le populisme. »

Et d’ajouter :

« Il n’y a peut-être pas de place pour un républicain comme moi dans le climat républicain actuel ou le Parti républicain actuel. »

À son tour, il a tenté une dernière dénonciation dans une prise de parole au sénat qui lui a permis de dire que ce Président est dangereux pour la démocratie. Mais qui l’aura écouté ?

La machine est lancée

En réalité, le jeu politique évolue rapidement et tous les acteurs jouent un rôle à leur place : sur Fox News (chaîne très conservatrice), les commentateurs ont presque plaint ce pauvre sénateur qui s’est mis hors jeu, d’après eux, et n’a pas su soutenir le Président choisi par le peuple. On a aussi rappelé que Bob Corker n’a pas reçu le soutien de Trump pour les prochaines élections et qu’il est donc amer. Corker a bien tenté de nier cette version, mais comme le président l’a tweeté, cela ne peut être que vrai…

Après son coup d’éclat, Jeff Flake a reçu le soutien des démocrates, heureux de l’aubaine, mais cela a fini de le décrédibiliser. Les autres sénateurs ont compris qu’il leur fallait faire le moins de vagues possible. Pendant ce temps, l’ancien candidat à la présidentielle, Lindsey Graham, pourtant bien prompt jusque-là à affronter Donald Trump, a vanté au contraire les mérites de ce Président qui est en bien meilleure posture que Bush et Obama pour réaliser la réforme des impôts dont le pays a besoin.

John McCain a repris ses dernières critiques sur les réformés de l’armée à l’époque de la guerre du Vietnam, lorsqu’il assurait que certains étaient alors assez riches pour se payer les services d’un médecin qui leur trouvait une maladie : « Cela n’avait aucun rapport avec Donald Trump », a-t-il assuré.

Avec ces deux défections d’importance, Trump n’a plus besoin de menacer qui que ce soit. Tout est clair. Alors le parti se met gentiment en ordre de marche pour les prochaines élections de mi-mandat, en novembre 2018. La priorité est maintenant de gagner le plus de sièges possible. Pour le reste, on verra plus tard. Peut-être.


Jean‑Éric Branaa vient de publier « Trumpland : portrait d’une Amérique divisée », éditions Privat.

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