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Détail d'un plan de Paris en 1705. BNF

Avec le site Gens de Paris, un patrimoine ludique et grand public

Les journées du Patrimoine en sont une illustration supplémentaire : les chercheurs en histoire, en sociologie, en anthropologie et en sciences sociales sont de plus en plus désireux de partager les conclusions de leurs travaux avec les citoyens, et plus largement avec tous les habitants d’un territoire.

C’est d’ailleurs le thème de cette édition 2016 : « Patrimoine et citoyenneté. » Cette intention louable, qui est aussi une mission de service public, n’est pourtant pas aisée à mettre en œuvre. Sa réalisation passe notamment par la fabrication d’un nouveau langage et de nouvelles formes pour donner à voir, ou dans le cas qui nous intéresse, donner à entendre un contenu issu de plusieurs années de recherche austère et fastidieuse.

Des balades sonores pour voyager dans l'histoire de Paris. D.A. Olivier Verdon, Paris en images, Roger-Viollet

Une démarche originale de valorisation des savoirs

Disponible en français et en anglais, sous la forme d’un site Internet gratuit, Gens de Paris est une collection de balades sonores qui invitent à sillonner l’espace urbain équipé seulement de son portable et d’un casque ou à le découvrir derrière son ordinateur. S’adressant à des auditeurs de tous horizons, les balades tissent le lien entre le passé de la ville et son présent. Elles sont faites de courts récits portés par un personnage qui raconte son expérience ancrée dans le territoire parisien. Chaque séquence est jouée par plusieurs acteurs qui prêtent leurs voix à la mise en scène de documents d’archives.

Gens de Paris est né à l’intersection de deux préoccupations des chercheuses que nous sommes : mettre en valeur une manière singulière de faire de l’histoire et assurer la pérennité d’initiatives visant à diffuser le savoir scientifique vers le plus grand nombre.

Une histoire personnifiée et accessible

Cette approche simple et ludique vise à incarner l’histoire, à donner de la visibilité à une histoire sociale ouverte sur tous les gens, quelle que soit leur condition. Nous faisons le pari d’entraîner l’intérêt du grand public grâce à la personnification des questions d’histoire et à la proximité spatiale qui se noue au moment de l’écoute entre le personnage du passé et l’auditeur en situation. Le son, à la différence de l’image, nous semble en effet une matière qui – tout en transmettant un contenu – laisse libre cours à l’imagination de celui qui écoute, lui permettant ainsi de faire sien le passé évoqué.

Notre ambition est de contourner deux manières contemporaines de découvrir une ville à l’aide des nouveaux outils numériques. D’une part, l’offre existante porte surtout une vision patrimoniale de la ville du passé, qui impose sa puissance et sa magnificence et invite à ne s’intéresser qu’à l’architecture et à l’ordonnancement des bâtiments. D’autre part, les multiples tentatives pour voyager dans le passé à l’aide des nouvelles technologies (réalité augmentée, comparaison des photos d’hier et d’aujourd’hui) reposent sur un contenu qui, le plus souvent, se contente de reproduire des clichés sur l’histoire de Paris, entretenant une représentation convenue de la capitale, et surtout qui enferme l’utilisateur dans une vision statique du passé.

Des balades sonores pour voyager dans l’histoire de Paris. « Gens de la Seine », D.A. Olivier Verdon, Paris en images, Roger-Viollet

Gens de Paris fait le choix de l’histoire sociale, seule capable de restituer la densité et la complexité urbaines. Ainsi, au fil des balades et des récits, une nouvelle histoire de la capitale se dessine, émancipée de son rôle politique et renouant avec la vie des hommes et des femmes d’autrefois.

« Gens de la Seine »

La première balade sonore a été lancée en juillet dernier. « Gens de la Seine » restitue la vie parisienne du XVIIIe siècle, grâce à 19 récits portés par des personnages ancrés sur les bords du fleuve du fait de leur métier ou de leurs habitudes quotidiennes. Fondée sur des documents d’archives qui sont directement exploités pour enregistrer les récits, la balade est une invitation sonore à se replonger dans l’animation urbaine d’antan et à devenir témoin des altercations suscitées par les concurrences pour occuper les berges du fleuve.

La vendeuse de loteries fait partie du paysage fluvial et tire sa maigre subsistance de l’affluence qui règne autour de la Seine ; les marchands ambulants se disputent et sont dénoncés par les commerçants des boutiques riveraines ; les blanchisseuses égayent les rives, leurs cris et leurs bavardages contribuant à animer cet espace urbain ; les habitants des maisons sur les ponts jouissent d’une situation exceptionnelle dans Paris, mais le danger de la crue leur impose un nomadisme qu’on a du mal à imaginer aujourd’hui.

Ainsi, au fil des récits, un fleuve dont on a oublié le rôle essentiel pour la ville et ses habitants renaît dans les oreilles de l’auditeur. Mais c’est aussi l’histoire de la disparition de cette société fluviale qui s’esquisse au gré de l’écoute, et la dynamique amorcée au XVIIIe siècle pour rendre le fleuve à sa seule destination de navigation rappelle que le fonctionnalisme urbain qui a marqué l’aménagement des villes françaises depuis plus de deux siècles est bien né dans les esprits éclairés de l’Ancien Régime.

Raconter l’histoire sociale de la capitale

Pour chaque balade que proposera Gens de Paris, les récits accumulés offrent une lecture de la dynamique historique à l’œuvre. « Gens de 39-45 » fera se côtoyer des récits portés par des personnages incarnant les diverses postures sociales à Paris pendant l’Occupation : le résistant traqué, le collaborateur, l’opportuniste, l’habitant cherchant à survivre, le juif persécuté et beaucoup d’autres, figures d’une histoire complexe qui s’est aussi jouée au quotidien et qui a marqué la physionomie sociale de la capitale, bien au-delà de la Libération.

« Gens de la Commune » mettra en voix les acteurs d’un épisode qui a divisé la société parisienne, qui a marqué l’espace de la capitale (incendie de l’Hôtel de Ville, naissance du Mur des Fédérés au Père-Lachaise) et qui pour longtemps a clivé la vie politique, notamment les relations entre Paris et l’État. « Gens du Grand Paris » sera l’occasion de découvrir les motifs historiques qui aujourd’hui incitent à élargir le périmètre de la capitale, et invitera à une lecture sociale des enjeux de cette question du présent – une dimension trop souvent absente des débats actuels.

« Gens de la Seine ». Gens de Paris, D.A. Olivier Verdon, Paris en images, Roger-Viollet

La liste est infinie, et chaque balade sera conçue par un spécialiste de la question qui travaillera en interaction avec un ou une rédactrice chargé(e) de concevoir le script avant l’enregistrement des récits. Et la démarche s’exportera sur d’autres villes, mettant en relation une vaste communauté de savants au service de ce projet de valorisation du savoir scientifique.

Comprendre la fabrique de l’histoire

Cette expérience originale de diffusion des connaissances historiques attise déjà la curiosité : pour répondre à la question posée sur la page Facebook de « Gens de la Seine » à propos de la date de démolition des maisons sur les ponts, beaucoup d’internautes ont consulté la liste de sources proposée sur la page « Archives » du site, découvrant au passage les ressources inestimables des dépôts d’archives fréquentés pour nourrir cette balade sonore.

Les coulisses de l’histoire se dévoilent ainsi de façon accessible et ludique : chemin faisant, chacun comprend que le discours historique prend sens à travers l’interprétation de l’historien d’abord, de l’auditeur ensuite.

Une telle démarche n’est pourtant ni habituelle, ni aisée pour les chercheurs. Elle impose tout d’abord d’apprendre d’autres métiers, mais aussi de travailler avec d’autres professionnels comme ce fut le cas avec Michèle Cohen, auteure et directrice artistique, qui à partir du scénario construit par la chercheuse et des documents rassemblés, a redonné vie, et donc voix, aux « Gens de la Seine ». Il est indispensable ensuite de construire des partenariats au-delà de nos interlocuteurs statutaires, entre privé et public notamment. Il est à cet égard souhaitable que les institutions de recherche comme les élus en charge des territoires créent les conditions pour que ce dialogue ait lieu. Celui-ci est en effet susceptible de renouveler en profondeur, et au concret, notre approche du patrimoine comme de la ville.

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