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Chine-UE : sommet virtuel, retombées réelles ?

Xi Jinping, Charles Michel, Angela Merkel et Ursula von der Leyen
Le président chinois Xi Jinping, le président du Conseil européen Charles Michel, la chancelière allemande Angela Merkel et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen lors du sommet visuel UE-Chine le 14 septembre 2020. Yves Herman/Pool/AFP

Les relations entre l’Union européenne et la Chine sont en voie de recomposition – un processus qu’accélère encore la crise sanitaire actuelle. On a encore pu le constater en ce début de semaine lors du sommet virtuel UE-Chine.

Peu avant, Xi Jinping avait rassemblé ses troupes pour s’adresser un satisfecit au ton martial sur la gestion de la crise. Ce raout masquait une tout autre réalité : celle d’un pays ébranlé par la pandémie et de plus en plus en proie au doute. Les réformes tant vantées par le régime laissent plus de 40 % de la population (600 millions de personnes) avec une moyenne de 140 euros par mois seulement et le taux de chômage explose pour atteindre plus de 10 % de la population (en plus de l’endettement, du financement de l’immobilier et l’immense shadow banking).

Le sommet virtuel du 14 septembre entre Xi Jinping et les dirigeants européens – Ursula von der Leyen, Charles Michel et Angela Merkel, qui assure la présidence semestrielle – semble indiquer, dans la continuité du dernier sommet de juin, que les relations entre l’UE et la Chine entrent dans une nouvelle phase.

En juin, Ursula von der Leyen et Charles Michel dénonçaient, lors d’une conférence de presse, l’ingérence chinoise à travers la « diplomatie des masques » en parallèle du non-respect des demandes de réciprocité, dans un contexte paranoïaque, sécuritaire et répressif (Hongkong, Taiwan, Xinjiang, Mongolie intérieure et mer de Chine du Sud). Pékin n’apporta aucun élément de réponse. Un silence assourdissant (tactique ?) qui contrastait avec le bruit produit par l’appareil diplomatique du PCC et ses « loups guerriers ».

Des opinions publiques européennes hostiles à Pékin

La perception d’une Chine conquérante, ayant de grandes difficultés à diffuser et séduire par le soft power en dehors d’un système dicté par le PCC, a depuis une grosse décennie structuré un sentiment en demi-teinte concernant la Chine communiste. Ce sentiment est commun à l’ensemble des opinions des démocraties libérales – européennes en particulier –, quoi qu’il se soit davantage radicalisé aux États-Unis. La concentration du pouvoir entre les mains de Xi Jinping, l’intensification du système répressif et les difficultés d’accès au territoire chinois ont fait décrocher l’attractivité de la Chine.

Pékin fait valoir la prééminence de sa souveraineté pour réfuter toute forme d’ingérence dans ses affaires intérieures. Viol des traités internationaux, non-respect des droits de l’homme, rapt de journalistes étrangers, arrestations de dissidents, de leurs avocats, provocations militaires, rhétorique agressive de diplomates en poste dans les grandes capitales occidentales sont autant de différends qui finissent par indisposer opinions et dirigeants européens. Le déni des autorités chinoises quant à leur responsabilité dans la propagation de la pandémie a fait prendre conscience du risque réel qu’encouraient les Européens à maintenir inchangée la nature de leurs relations avec la Chine.

L’échec patent de la « diplomatie des masques » menée sans finesse, et les menaces récurrentes chinoises contre plusieurs gouvernements européens ont montré les limites de cette coopération.

De plus, la gestion « musclée » du coronavirus par la Chine s’est révélée, somme toute, nettement moins efficace que celle conduite par les autorités de la démocratie taïwanaise. C’est d’ailleurs vers Taïwan que se tournent un nombre croissant d’hommes politiques européens qui y voient une alternative à la dictature chinoise. Ainsi, Milos Vystrcil, président du Sénat de la République tchèque, a lancé, début septembre, devant les députés de l’île, un vibrant « Je suis Taïwanais ». Déclaration qui, avec ses relents de guerre froide, n’en posait pas moins avec courage (il a été menacé de mort) les bases d’une politique différente de celle qui avait été menée jusqu’ici.

Milos Vystrcil parle devant un pupitre
Le président du Sénat tchèque, Milos Vystrcil, s’exprime lors d’une conférence de presse au ministère des Affaires étrangères à Taipei le 3 septembre 2020. Sur son masque, les drapeaux de Taiwan et de la République tchèque. Sam Yeh/AFP

Prague retrouve bien des résonances en écho de sa propre histoire (l’annexion des Sudètes par la dictature nazie et l’abandon des démocraties occidentales…) à travers la crise que subit Hongkong. Et toute sa culture politique s’est nourrie du combat de Vaclav Havel, des thèses libérales du philosophe Jan Patočka, lesquelles furent à l’origine de la Charte 77. Textes majeurs de la dissidence européenne dénonçant l’oppression soviétique, ils devaient, beaucoup plus tard, inspirer ceux de l’intellectuel et prix Nobel Liu Xiaobo, auteur de la Charte 08. Cette dernière fut à l’origine de son arrestation et désillusionna définitivement celles et ceux qui, après le massacre de Tiananmen, pouvaient encore espérer une issue démocratique pour la Chine.

Rappelons par ailleurs qu’en Europe, seul le Vatican (non membre de l’UE) entretient des relations avec la République de Chine (Taïwan). Le poids de la morale (ne pas reconnaître Pékin et son régime communiste, donc athée…) explique la position du Saint-Siège (la même depuis 70 ans). Mais cette reconnaissance, maintes fois débattue au sein même de la Curie romaine, pourrait rétrospectivement avoir été aussi dictée par la raison. Car les interprétations culturalistes selon lesquelles la Chine devrait faire valoir son état d’exception en matière de droits de l’homme ont non seulement vécu, mais démontré les risques liés à leur permissivité. C’est au nom de cet exceptionnalisme que des transferts de technologies très sensibles (notamment vers le fameux laboratoire P4 de Wuhan) ont eu lieu, dans une opacité dont il faudra un jour rendre compte.

Vers un rééquilibrage et une plus grande réciprocité ?

Les relations sino-européennes sont fortement structurées par l’asymétrie et un manque de réciprocité. Depuis 2019, la Commission européenne qualifie la Chine de « rival », voire de « menace systémique », ce qui irrite beaucoup Pékin.

En outre, la Chambre de commerce européenne en Chine a publié en 2019 un rapport de synthèse sur les « Nouvelles routes de la soie », puis un second en 2020, dénonçant le manque criant de transparence dans les appels d’offres internationaux, les problèmes d’endettement et de propriété intellectuelle, les transferts forcés de technologies ou encore une concurrence inéquitable, et exigeant une ouverture réciproque du marché chinois et la fin de nombreuses pratiques restrictives.

Comme l’a rappelé en juin dernier le chef de la diplomatie européenne, Josep Borell, « la pression monte pour choisir son camp dans la confrontation entre les États-Unis et la Chine ».

Alors que la RPC s’engage dans une nouvelle phase de son développement économique, qualifiée de « double circulation » par Xi Jinping, sa situation économique et en termes d’approvisionnement, particulièrement de composants stratégiques (semi-conducteurs), est de plus en plus critique. C’est pourquoi Pékin souhaite s’appuyer toujours plus sur la consommation intérieure, sur fond de découplage des économies et de rapatriement des secteurs d’activité les plus sensibles.

Avec le danger croît ce qui sauve

La Covid-19 a irréversiblement décillé le regard des Européens sur la dangerosité du régime chinois et les a incités à revenir à leurs fondamentaux : préserver leurs réserves stratégiques ; maintenir leur développement industriel et technologique ; défendre une certaine idée de l’homme face à toutes les dictatures, et notamment celle de la Chine qui a clairement montré que la technocratie capitaliste alliée à un régime marxiste engendrait des formes d’aliénation totalement inédites.

« Avec le danger croît ce qui sauve », disait le poète Hölderlin. Cette prise de conscience a gagné l’ensemble de la société française. Tout récemment, tandis que le ministre des Affaires étrangères Wang Yi, envoyé par Xi Jinping, effectuait une tournée dans les pays du nord de l’Europe, le diplomate Yang Jiechi, dépêché par le Parti, se chargeait du sud. Il s’agissait de diviser les Européens contre les États-Unis et de tâter le terrain sur la mise en place de la 5G par Huawei. Les Européens ont tenu. Illustration : pendant qu’Emmanuel Macron recevait – au mépris des usages protocolaires – Wang Yi à l’Élysée, le Quai d’Orsay donnait son feu vert à l’ouverture d’un deuxième bureau de représentation de Taïwan en France. Ce dernier sera inauguré à Aix-en-Provence avant la fin 2020. L’ouverture d’un troisième bureau sur le territoire national est envisagée. Qu’est-ce à dire ? Que Taïwan cesse d’être l’angle mort d’un nombre croissant de diplomaties européennes. Les choix de Donald Trump allant dans le même sens agissent d’ailleurs comme un puissant aiguillon.

Le montant exponentiel des investissements chinois en Europe entre 2008 et 2016 (en net recul depuis) dévoile par ailleurs les intentions de Pékin : asservir l’Europe par la dette, capter des savoir-faire, et favoriser une sortie des capitaux de Chine. C’est à ces problématiques que les dirigeants européens ont eu à penser le 14 septembre (notamment en renforçant les mécanismes de filtrage). Dans tous les cas de figure, l’endiguement de la Chine apparaît désormais aux yeux de divers pays de l’UE comme une priorité stratégique, même s’il convient bien sûr de maintenir le dialogue pour éviter le pire.

L’Europe est face à son propre destin. Alors que la compétition stratégique et industrielle entre la Chine et les États-Unis se déploie sur le Vieux Continent, l’UE semble aujourd’hui en mesure de faire entendre sa voix. Comme l’a rappelé Charles Michel lors du sommet du 14 septembre dernier : « L’Europe doit être un acteur, pas un terrain de jeu. »

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