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De la fumée s'échappe d'une usine
Un camion-benne travaille près de l'installation d'extraction de sables bitumineux Syncrude, près de la ville de Fort McMurray, en Alberta. L'industrie pétrolière est d'une importance capitale pour de nombreuses provinces canadiennes. La Presse canadienne/Jason Franson

Combattre la crise climatique en éliminant les énergies fossiles : le très difficile virage du Canada

La crise climatique est devenue au fil des décennies un enjeu politique et géopolitique majeur et un objet de mobilisation de la société civile, du secteur privé, des gouvernements et des institutions étatiques et interétatiques.

La présente élection fédérale n’y échappe pas : avec la gestion de la pandémie et l’économie, l’environnement et la crise climatique sont des enjeux majeurs de cette élection. C’était aussi le cas au dernier scrutin de 2019, où l’environnement était la principale préoccupation des Canadiens.

La préoccupation est mondiale. Depuis près de trente ans, la gouvernance internationale a donné naissance à la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (1992), au protocole de Kyoto (1997), et à l’Accord de Paris (2015).

Les enjeux climatiques et énergétiques ont favorisé la percée de partis écologistes dans de nombreux pays et catalysé des politiques de transition énergétique, la mise en place de marchés du carbone, qui existent dans environ 50 juridictions, les mouvements de désinvestissement des énergies fossiles, suivis par plus d’un millier d’investisseurs institutionnels, et une organisation à l’échelle internationale de la société civile, à l’image du mouvement « Fridays for future », ou « Grève étudiante pour le climat », qui a poussé des centaines de milliers de jeunes dans le monde à quitter leur établissement universitaire les vendredis.


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En tant que professeur en sciences de l’environnement, mes projets de recherche portent principalement sur l’adaptation aux changements climatiques ainsi que sur l’évaluation environnementale stratégique et la représentation des changements climatiques dans le discours public.

Des gens portant le masque sont couchés dans une rue lors d’une manifestation
Des militants pour le climat manifestent lors du premier débat des chefs, en français, à Montréal, le 2 septembre. (La Presse canadienne/Nathan Denette)

De champion à cancre de l’environnement

Au Canada, les enjeux autour de la crise climatique et de l’avenir des énergies fossiles tendent à être polarisés le long de lignes de fracture politiques et de clivages régionaux. La polarisation conservatrice-libérale observée autour du débat sur les changements climatiques au cours des deux dernières décennies est assez semblable à celle qui prévaut aux États-Unis.

Il n’en a cependant pas toujours été ainsi. On se souvient que la conférence de Toronto sur un climat en évolution en 1988 avait été tenue sur l’invitation de Brian Mulroney, premier ministre conservateur du Canada, sous la présidence de Stephen Lewis, affilié au nouveau parti démocrate, qui était alors ambassadeur du Canada auprès des Nations unies, et accueilli des invités de marque comme Gro Harlem Brundtland, présidente de la commission mondiale des Nations unies sur l’environnement et le développement.

Cette conférence a été la première où des cibles de réduction des émissions chiffrées ont été proposées par les participants, précurseurs du protocole de Kyoto. Le virage vers une politique plus hésitante vis-à-vis des engagements envers le climat s’est amorcé dans les années 1990 et accéléré durant les années 2000, sous des gouvernements successivement libéraux et conservateurs.

Le point le plus bas de l’engagement climatique du Canada a incontestablement été atteint sous le gouvernement conservateur de Stephen Harper. Le Canada s’est alors vu décerner 5 années de suite, de 2006 à 2011, le prix de « fossile de l’année », par les organisations environnementales, décerné pour le pays contribuant le moins à la lutte contre les changements climatiques et aux négociations internationales. Cela a été suivi du retrait formel du Canada du protocole de Kyoto en 2011.

Les engagements successifs du Canada

Les engagements et les plans climatiques se sont succédé au fil des ans, sans avoir mené à de réelles réductions d’émissions.

Ainsi, le Canada a successivement pris trois engagements internationaux de réduction d’émissions de GES résultant du protocole de Kyoto, de la conférence des parties de Copenhague et de l’Accord de Paris.

Divers plans climatiques ont aussi été formulés. Cependant, les émissions du Canada ont continué à augmenter plutôt que diminuer durant toute cette période, démontrant l’insuffisance des mesures contenues dans ces plans. Ce n’est par exemple qu’en 2019 que le Canada a mandaté une tarification du carbone à l’échelle nationale, alors que l’Union européenne a mis en place son marché du carbone en 2005.

Cibles de réductions d’émissions correspondantes aux engagements politiques successifs du Canada dans le domaine des changements climatiques
Tableau 1 Engagements politiques du Canada dans le domaine des changements climatiques. Auteurs
Les émissions du Canada de 1990 à 2018 et ses cibles de réduction d’émissions annoncées
Figure 1. Les émissions du Canada de 1990 à 2018 et ses cibles de réduction d’émissions annoncées. Adapté d’Environment and Climate Change Canada (2020)

L’importance des énergies fossiles au Canada

Une des raisons principales pour cette hésitation politique est l’importance du secteur pétrolier pour le Canada.

Le Canada est le quatrième producteur et exportateur de pétrole au monde. Le secteur emploie environ un demi-million de personnes et contribue plus de 100 milliards de dollars au PIB. La répartition de cette manne fossile est très inégale : 97 % de la production de pétrole est concentrée dans trois provinces : l’Alberta, la Saskatchewan et Terre-Neuve-et-Labrador. Cela crée un terrain de jeu miné pour un gouvernement fédéral qui, s’il veut imposer des mesures de réduction d’émissions, défavorisera nécessairement ces provinces aux dépens d’autres.

Cela explique aussi en partie pourquoi dans les contributions nationales déclarées de 2015, dans le cadre de l’Accord de Paris, aucune mention n’était faite du secteur de l’exploitation des ressources en hydrocarbures, à part la régulation des émissions de méthane. Pourtant, ce secteur était responsable, en 2019, de 26 % des émissions du Canada. Ces émissions ont augmenté de 67 % entre 2005 et 2019.

L’importance perçue du secteur des combustibles fossiles mène aussi à des investissements soutenus dans ce secteur par le gouvernement canadien, comme l’acquisition de l’oléoduc Trans Mountain pour 4,5 milliards de dollars ou les 1,9 milliard de dollars de subventions directes en 2020, entres autres dans les programmes d’aide à la Covid-19. Ces investissements classent le Canada dernier parmi 11 pays de l’OCDE analysés par des ONG pour l’ampleur des subventions aux combustibles fossiles et les efforts de réduire ces subventions.

La perception des changements climatiques

La division entre provinces productrices de ressources énergétiques fossiles et celles qui n’en produisent pas se retrouve aussi dans la perception des changements climatiques. Ainsi, seulement 70-71 % des résidents de l’Alberta et de la Saskatchewan pensent que la Terre se réchauffe, nettement sous la moyenne nationale de 83 %.

De surcroit, le phénomène climatosceptique, encore assez présent au Canada, notamment grâce à certains think tanks canadiens et américains, est essentiellement un phénomène anglophone. Cela ajoute une fracture linguistique à la perception des changements climatiques et contribue à expliquer pourquoi la mobilisation pour la lutte contre les changements climatiques est particulièrement prononcée au Québec, seule province majoritairement francophone, à l’image de la création de la coalition Québec vert Kyoto dès 2004.

Malgré ces divisions, de nos jours, la grande majorité des Canadiens de toutes les classes d’âge perçoivent les changements climatiques comme une menace importante et les placent au premier rang des préoccupations et des priorités politiques.

Il s’agira maintenant de traduire cet engouement populaire en des politiques climatiques efficaces et d’accélérer la transition vers une société sobre en carbone, notamment dans des domaines sensibles comme le secteur énergétique, les ressources fossiles, ou encore le transport.

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