La Food and Drug Administration américaine a approuvé le vaccin Pfizer contre la Covid-19 pour les enfants de cinq à onze ans et la campagne de vaccination a débuté en fin de semaine. Les résultats des essais cliniques de Pfizer indiquent que le vaccin est sûr et efficace pour ce groupe d’âge.
Il s’agit d’une importante avancée. Les infections à la Covid-19 sont en hausse chez les enfants à travers le Canada.
Il appartient maintenant à Santé Canada d’examiner les données et de décider d’autoriser ou non le vaccin Pfizer pour les enfants. Si le vaccin est autorisé, le Comité consultatif national de l’immunisation (CCNI) devra choisir s’il recommande la vaccination de tous les enfants de ce groupe d’âge. De son côté, le gouvernement du Québec se prépare déjà à donner une première dose aux enfants de 5 à 11 ans d’ici Noël.
Cela amène à se demander comment on doit prendre cette décision.
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Prendre une décision éthique
En tant que philosophe de la morale, j’ai collaboré à des recherches sur des enjeux éthiques liés à la vaccination des enfants et je considère qu’il est important de répondre à cette question, et ce, pour deux raisons.
Premièrement, quelle que soit la décision, les principes sur lesquels elle se fonde – et devrait se fonder – doivent être clairs et transparents.
Deuxièmement, il est surprenant que peu d’attention ait été accordée à cet enjeu au Canada, bien que le choix de vacciner les enfants touche à la fois à la science et à l’éthique. La science peut clarifier certains coûts et avantages de la vaccination, mais elle ne peut pas nous affirmer lesquels sont importants et si le rapport coûts-avantages est positif.
Par chance, il n’est pas nécessaire de créer de toutes pièces une procédure décisionnelle, car celle utilisée par le Comité mixte sur la vaccination et l’immunisation (JCVI) du Royaume-Uni en ce qui a trait à la vaccination des enfants de 12 à 15 ans en bonne santé peut nous enseigner ce qu’il ne faut pas faire.
Risques et avantages
Le facteur le plus important est de savoir si les avantages de la vaccination l’emportent sur ses risques et, si c’est le cas, dans quelle mesure ils l’emportent. Le JCVI s’est fondé sur ce qu’il a appelé la « perspective de la santé » pour faire son évaluation.
Le JCVI a estimé (dans une série de déclarations publiques) que les principaux avantages de la vaccination contre la Covid-19 sont la prévention des décès, des hospitalisations, des admissions aux soins intensifs et du syndrome inflammatoire multisystémique chez les enfants (SIME).
Les principaux effets nocifs de la vaccination sont la myocardite, ou inflammation du cœur, et la péricardite, inflammation de la fine enveloppe qui entoure le cœur, mais le rapport précise qu’ils sont rares et « généralement à résolution spontanée et rapide ».
Le JCVI a fait valoir que les avantages de la vaccination dans ce groupe d’âge ne sont que « légèrement supérieurs » aux inconvénients et que, par conséquent, la vaccination ne serait pas proposée à tous les membres de ce groupe.
Le CCNI a exprimé son désaccord, mais n’a pas exposé les principes éthiques sur lesquels il s’est appuyé pour recommander la vaccination des enfants de 12 à 17 ans.
La décision du JCVI de ne pas conseiller la vaccination contre la Covid-19 à tous les enfants était mauvaise à plusieurs égards. (Elle a ensuite été annulée par les médecins en chef des quatre nations du Royaume-Uni). Le CCNI a tout intérêt à éviter de commettre les mêmes erreurs lorsqu’il se penchera sur la vaccination des enfants de cinq à onze ans.
Le Groupe consultatif scientifique indépendant pour les urgences (Independent SAGE, un groupe de scientifiques britanniques qui propose un avis scientifique indépendant sur la prévention de la Covid-19) a exprimé des préoccupations concernant le processus décisionnel du JCVI.
L’une d’elles est la façon dont le JCVI a évalué les avantages de la vaccination, car ses calculs se basent sur les risques de décès, d’hospitalisation, d’admission aux soins intensifs, etc., liés à une infection au coronavirus pour la population de tous les enfants plutôt que sur ces risques pour les enfants qui ont une infection confirmée.
Une autre réserve formulée par l’Independent SAGE est que le JCVI n’a pas précisé quel vaccin il a pris en compte lorsqu’il a examiné les risques, une réserve pertinente sachant que les risques d’inflammation cardiaque semblent être plus élevés après le vaccin Moderna qu’après le Pfizer.
Avantages directs et indirects
D’autres erreurs du JVCI concernaient des jugements de valeur fondés sur la perspective de la santé. Cependant, le JCVI n’était pas cohérent dans ce que cela comprenait.
Comme nous l’avons indiqué, le JCVI a évoqué la prévention des décès, des hospitalisations, des admissions aux soins intensifs ainsi que du SIMA. Ce ne sont pas les seuls avantages pour la santé de la vaccination contre la Covid-19. Il y en a d’autres, directs et indirects, qui n’ont pas été clairement inclus.
Les avantages directs comprennent la prévention de la Covid longue – une affection qui touche de 2 à 14 % des enfants infectés par le coronavirus – et des déficits neurologiques et cognitifs potentiels.
La prévention des effets négatifs sur la santé mentale et physique associés à la fermeture d’écoles, aux limitations des activités sportives et autres et aux exigences de distanciation physique fait partie des avantages indirects (et le CCNI les a notés à juste titre dans sa recommandation de vacciner les adolescents). Ces effets sur la santé sont importants pour la prise de décision.
Ce sont les risques et les avantages connus. Cependant, le refus du JCVI de préconiser la vaccination pour tous les enfants de 12 à 15 ans est lié aux incertitudes « concernant l’ampleur des inconvénients potentiels » de la vaccination, notamment la myocardite.
Bien qu’il ait accordé un poids considérable aux inconvénients inconnus et incertains, le JVCI n’a pas tenu compte des avantages inconnus de la vaccination ni des incertitudes concernant les avantages. Il n’y avait pourtant aucune raison de les exclure. Les incertitudes associées aux avantages devraient avoir autant d’importance dans la réflexion sur les risques-avantages de la vaccination contre la Covid-19 que les incertitudes liées aux risques dont on a pourtant largement tenu compte.
Le JCVI a commis une autre erreur éthique en affirmant que les inconvénients de la vaccination devaient avoir plus de poids (en termes relatifs) que ses avantages.
Il n’existe aucune raison d’accorder une valeur relative plus élevée aux inconvénients qu’aux avantages. Les dangers des vaccins ne sont pas pires que ceux causés par la Covid-19. Il ne semble pas que la péricardite généralement légère et la myocardite causées rarement par la vaccination soient pires que ces maladies causées plus fréquemment par la Covid-19. Cela n’est pas conforme à la façon d’évaluer d’autres traitements pour les enfants, pour lesquels les inconvénients n’ont pas plus de poids que les avantages.
La perspective du bien-être
Le JCVI a commis une erreur en prenant sa décision sur la seule base de l’aspect sanitaire du vaccin. La santé est importante, mais n’est pas l’unique valeur dans la vie des enfants. La santé est une priorité, car sans elle, il est beaucoup plus difficile, voire impossible, de profiter de nombreux avantages, comme voir ses amis, tisser des liens avec ses proches, se consacrer à ses devoirs ou à ses cours de musique.
Le JCVI a mentionné les effets bénéfiques de la vaccination sur l’éducation, mais il n’en a pas tenu compte dans sa décision relative à la vaccination des enfants.
Les avantages éducatifs et autres de la vaccination pour les enfants ont une grande importance et doivent être considérés dans cette décision. Au-delà de la perspective de la santé, celle du bien-être englobe un vaste éventail d’avantages et de protections associés à la vaccination, notamment des environnements d’apprentissage sûrs et stables, le temps passé avec la famille élargie, le sport, les spectacles musicaux et bien d’autres éléments qui donnent du bonheur et du sens à la vie des enfants.
Au moment de prendre une décision sur le vaccin contre la Covid-19 pour les enfants de cinq à onze ans, les autorités réglementaires canadiennes doivent s’appuyer sur des principes scientifiques et éthiques solides. Elles doivent tenir compte de tous les effets de la vaccination sur la santé et le bien-être en général, considérer les inconvénients et les avantages incertains de la vaccination et traiter les avantages et les inconvénients de façon symétrique.
On arrive ainsi à la conclusion que la vaccination des enfants est, tout bien considéré, bénéfique.
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