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Comment expliquer le succès du home organising ?

Trier nécessite d’accepter de se séparer des objets. Une décision qui peut s’avérer douloureuse pour certains. Flickr, CC BY-NC

Vous avez sans doute entendu parler de Marie Kondo. Cette « fée du logis » explique comment organiser son intérieur en retenant uniquement des objets qui nous mettent en joie. La série qui a connu un vif succès sur Netflix a popularisé un phénomène naissant et encore mal connu : le home organising.

Depuis, cette prestation connaît un certain engouement en France. La FFPO (Fédération française des professionnels de l’organisation) recense 22 home organisers en France – sachant que tous ne font pas partie de la fédération. Au niveau mondial, la National Association of Professional Organizers (NAPO) parle de 4 000 membres dans 22 pays. Quant à la demande en France, peu de données sont disponibles. Les personnes qui ont recours à ce service restent discrètes, à l’instar des professionnels qui taisent généralement le nombre de leurs clients.

Nous allons chercher à comprendre les raisons de cette discrétion. Quelles attentes ce service nourrit-il chez les consommateurs ? Comment vivent-ils le recours à ces professionnels ? Pour répondre à cette question, nous avons conduit une série de 15 entretiens auprès des professionnels de l’organisation en France. L’objectif était de comprendre leur métier, ses enjeux relatifs à la crise environnementale notamment et les attentes de leurs clients, surtout de leurs clientes.

Un monde de femmes

Car tout d’abord, c’est un métier de femme pour des femmes. À l’instar des professions du care (du soin) à laquelle ce métier s’apparente c’est « souvent pour des femmes, ma clientèle c’est 95 % des femmes », comme en témoigne une home organiser interrogée.

Pourquoi ? Car, comme nous l’explique une professionnelle « le développement personnel, c’est un truc de fille. Les femmes ont envie de progresser sur elles-mêmes. Là où les hommes vont dire “ attends, mais les trucs à la maison, moi je m’en fous !” Il délègue. L’affaire domestique reste encore extrêmement féminine ». Quant aux hommes, ils font appel aux home organisers « parce qu’ils accumulent trois années de papiers administratifs non classés et à un moment ils voient bien que ça ne va plus ».

Selon les recherches de l’auteur, les hommes font appel à un home organiser afin de trier leurs papiers administratifs. Pixy, CC BY

Certaines personnes font appel à un home organiser car elles ont le sentiment d’étouffer à force de voir des placards qui débordent d’objets. C’est ce qu’explique une autre spécialiste de l’organisation de la maison :

« Ils sont épuisés, fatigués d’avoir tout ce bazar et ils ont besoin d’aide car ils ne savent pas par où commencer. »

Et ce sentiment est encore plus partagé depuis le confinement et le développement du télétravail. Travailler chez soi ponctuellement peut se faire sur la table de la cuisine. Travailler chez soi régulièrement, plusieurs jours par semaine, nécessite un lieu dédié, agréable à vivre, soigné et non encombré.

Ranger pour se sentir mieux

D’autres font appel à un home organiser car elles vivent une situation de rupture. Burn-out, licenciement, divorce, accident, deuil ou encore congé maternité, déménagement, promotion professionnelle, en somme des parenthèses de l’existence.

Rompre un rythme souvent effréné qui caractérise nos modes de vie, ou encore rompre avec une façon d’être, de se définir, de se positionner invite à faire un retour sur soi et à remettre en question ses liens, dont ceux avec les objets.

C’est donc une transformation intérieure en cours, pas nécessairement encore consciente, qui pousse à faire appel à un home organiser, comme le souligne une interviewée :

« Quand je commence un chantier chez une personne, je sais que sa vie va changer. Chacun fait son chemin. J’ai des retours de clientes qui disent “depuis que tu es rentrée dans ma vie, ma vie a changé”. C’est aussi les gens qui ont fait l’effort, ils sont responsables moi j’ai été un outil. »

Enfin, le désordre, l’accumulation constituent des sujets dont le cadrage médiatique reste plutôt négatif, faisant d’autant plus ressortir les bienfaits d’un autre discours, celui de la légèreté, du minimalisme, de la sobriété.

Certaines personnes prennent alors conscience qu’elles seraient mieux dans un environnement moins encombré. Une home organiser le rappelle dans notre étude :

« Marie Kondo nous a fait beaucoup de bien : elle a fait prendre conscience aux gens de leur rapport à l’objet. »

Mais concrètement, pourquoi payer pour aider à s’alléger ? Une interviewée le rappelle :

« Ce pour quoi elles ont besoin de moi, pour le plus souvent, c’est de trier. »

Le poids émotionnel des objets

Par son activité de tri, le home organiser se distingue d’une femme de ménage, avec lequel il est pourtant si souvent confondu. Cette dernière ôte la poussière, replace quelques objets à leur ou à une place dans la maison. En aucun cas, la femme de ménage trie et jette des objets.

Trier nécessite d’accepter de se séparer des objets. L’objet est porteur de liens. « Ça peut toujours servir », « ça me rappelle tellement de choses » ou encore « je l’ai payé tellement cher » sont des justifications martelées par les personnes qui « gardent tout » et que nous avions rencontrées pour de la rédaction du livre Garder à tout prix (Éditions Vuibert/Fnege).

Bande-annonce de l’émission de Marie Kondo sur Netflix (en anglais).

Les objets cristallisent en effet des souvenirs, des émotions, des relations sociales, de l’argent, une identité, un passé, etc. L’objet étant une extension du soi, le perdre peut conduire à avoir le sentiment de se séparer d’une partie de soi faisant émerger un sentiment d’abandon, de perte.

Le rôle du home organiser vise à faire s’exprimer les clients sur leurs croyances vis-à-vis des objets et à leur montrer que l’on peut aussi penser différemment le rapport à ces objets. Une home organiser en témoigne :

« Une cliente se refusait à jeter une vieille croûte que son petit frère avait faite quand il avait 14 ans et qui est aujourd’hui décédé. Elle s’obligeait en quelque sorte à conserver ce souvenir. C’était alors à moi de montrer l’espèce d’absurdité, l’espèce d’incohérence de cette croyance. Les clients conservent tout et n’importe quoi, sans même plus se poser la question de la valeur, de l’intérêt et du plaisir. »

Parler des objets permet de relier différentes expériences internes (affect, pensée, sensation) et de les inscrire dans une trajectoire de vie. L’expérience subjective des objets permet de faire émerger la question du sens, de la cohérence entre ce que l’on est, aimerait être et ses pratiques.

Une interviewée qualifie ce que les clients attendent alors du home organiser :

« Ils recherchent une autorisation officielle de se débarrasser de certaines choses, ou la confirmation de quelque chose qu’ils entrevoyaient, mais sans oser franchir le pas de la séparation d’avec l’objet. »

Un guide du tri et du rangement

Autre attente de la part des clients : charger le home organiser de trier à leur place. Mais là, ça ne marche pas ! Le professionnel du rangement accompagne, guide, conseille, aide à cette prise de décision fatigante et compliquée pour chaque objet (garder ou jeter ?) mais en aucun cas il fait « à la place de ».

Sans quoi, comme l’explique une home organiser :

« Ça ne tient pas, le désordre et l’accumulation reviennent rapidement et l’objectif n’est pas de revenir, je ne retourne jamais chez mes clients car après le travail que l’on a fait ensemble ils savent faire désormais sans moi, ils ont appris. »

Méthode de rangement façon Marie Kondo. Flickr, CC BY

Enfin, parvenir à un lieu de vie rangé constitue l’objectif ultime des clients, explique une interviewée :

« Une fois qu’elles savent faire le tri, en général, il n’y a plus de problème pour ranger. Ranger, c’est simple, c’est regrouper des objets par catégories. »

Les catégories restent toutefois subjectives, parfois difficiles à définir (les livres sont à classer par couleurs ? thèmes ?) voire transgressées, créant de la pollution symbolique. Autrement dit, du désordre.

Le home organiser pense à une organisation optimale des objets en cohérence avec le mode de vie d’un foyer conduisant à un certain bien-être, souligne une professionnelle :

« Petit bout par petit bout, doucement, ça se dégage, elles retrouvent du plaisir à occuper leur maison, leur appartement. »

En somme, l’activité des home organisers permet une prise de conscience du gaspillage des objets et contribue à éduquer le consommateur vers une autre voie, celle de la consommation sobre.

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