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Comment la région PACA est devenue la force du RN

Photo du candidat RN Thierry Mariani à Pennes-Mirabeau, près de Marseille (région PACA). Nicolas TUCAT / AFP

À quelques jours du premier tour des élections régionales, les sondages mettent en avant la victoire du Rassemblement nationaldans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA). Au-delà du fort enjeu politique pour ce territoire, le scrutin dans cette région est particulièrement crucial à l’échelle nationale.

Rappelons que la région est composée de six départements : Alpes de Haute-Provence, Alpes-Maritimes, Bouches-du-Rhône, Hautes-Alpes, Var, Vaucluse. Elle compte de grandes villes comme Marseille, Nice ou Toulon ou des cités à fort enjeu symbolique ou culturel comme Avignon, Cannes ou Manosque, le pays de Jean Giono. C’est ainsi dans cette région de France, l’une des plus attractives que le Front National (FN) devenu Rassemblement National (RN) a patiemment construit l’une de ses meilleures implantations.

Souvenons-nous de ce fait particulièrement marquant qu’ont été les municipales de 1995 : pour la première fois de son histoire le FN avait ravi trois importantes municipalités, situées en PACA : Toulon, Orange, Marignane à laquelle il faudra rajouter Vitrolles en 1997 gérée par le couple Mégret. Entre dissidence et mauvaise gestion, ces villes ont été perdues par le FN.

Plus récemment, de nouvelles victoires électorales ont eu lieu dans la région notamment aux municipales de 2014 et 2020. Le Rassemblement national a pu compter sur 10 villes en 2014 dont quatre en PACA. Un chiffre non négligeable malgré des dissidences peu après du côté des mairies de Cogolin et de Camaret-sur-Aigues. En 2020, dans un contexte Covid particulier, le RN gagne une grande ville du Sud-ouest, Perpignan, et en PACA il conserve Fréjus et gagne aussi de petites villes du Vaucluse comme Mazan, Bédarrides, Morières-lès-Avignon.

L’ampleur de l’ancrage vis-à-vis de l’échelle nationale

Par ailleurs, le vote RN a été particulièrement marqué en PACA lors du dernier scrutin présidentiel.

Présidentielle 2017 : Les différentiels se situent entre 5 et 10 % pour atteindre les 11 points entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron.. V. Martin

Vu en 2017 comme un personnage marqué à gauche, ancien ministre de Manuel Valls sous la présidence de François Hollande, Emmanuel Macron a agi auprès d’un certain électorat de droite comme un repoussoir. Or en PACA, la porosité entre une partie de la droite et le FN est très prégnante ; le parcours de Thierry Mariani a lui seul le prouve.

Thierry Mariani, une tête de liste avantageuse

Ces moments électoraux ont permis au RN de poser les bases de son implantation, de s’assurer de soutiens, de consolider ses réseaux, d’augmenter son personnel politique, d’avoir des salariés, d’attirer plus de bénévoles, de pénétrer le monde associatif et d’asseoir son image notabiliaire.

C’est dans ce contexte que Thierry Mariani, qui a fait toute sa carrière politique à droite (RPR, UMP, LR) est devenu un candidat clef du RN. Après avoir explicitement demandé en 2018 au parti Les Républicains (LR) d’envisager des accords avec le parti de Marine Le Pen, ce natif d’Orange a fini par rejoindre la liste du RN en 2019 pour les élections européennes.

Jean‑Paul Garraud (à droite) et Thierry Mariani (gauche), anciennement membres du parti Les Républicains, annoncent rejoindre les listes RN lors des élections européennes de mai 2019. Bertrand Guay/AFP

Le parcours de ce candidat est révélateur des nombreux mouvements de certaines personnalités issues de la droite classique, comme Laurent Wauquiez par exemple dont certains dans son camp ont souligné l’ambiguïté à l’égard du RN.

Thierry Mariani est connu et bien ancré dans la région notamment du côté du Vaucluse : il a été longtemps conseiller général du département et maire de Valréas. À partir des années 90, il est conseiller régional de PACA puis ministre des Transports sous François Fillon lors de la présidence de Nicolas Sarkozy.

Cette tête de liste offre aussi et surtout au RN un vernis notabiliaire en participant à l’entreprise de dédiabolisation initiée par Marine Le Pen depuis son arrivée à la présidence du parti en 2011 lors du congrès de Tours.

Par sa seule présence, il confirme la politiquee Marine Le Pen et contribue à ne plus faire du vote FN/RN un tabou ou un repoussoir.

La région PACA, terre d’alliances favorable au RN

Le vote en faveur du RN est par ailleurs solidement et historiquement implanté en PACA depuis le milieu des années 80.

En 1984, lors de l’explosion électorale du parti lepéniste aux élections européennes, le FN recueille 11,2 % des suffrages exprimés en France ; dans la région du Sud-est, il atteint déjà plus de 19 points. Deux, ans après lors d’élections législatives en 1986, le FN obtient un score de 19,96 % en PACA, alors qu’il n’est qu’à 9,7 % sur l’ensemble de la France.

Cette avance va se confirmer, voire se renforcer au fil des années.

Les élections régionales donnent lieu, depuis 1986, date de leur installation, à des tractations importantes entre les partis.

Dès 1986, le FN vient perturber le jeu des alliances, particulièrement à droite. Dans six régions sur vingt-six à l’époque, la droite fait alliance avec le FN pour arracher une majorité absolue. La PACA y figure avec, en chef de file des tractations, l’ex-maire de Marseille, Jean Claude Gaudin (LR).

Le FN en PACA, INA.

En 1998, la droite refuse l’alliance, mais cette fois-ci, cela lui coûte la région, gagnée par le socialiste Michel Vauzelle. Cette stratégie à l’égard du FN portée par François Léotard à l’époque, avait été vertement critiquée par une partie de la droite de l’époque, notamment par Jacques Peyrat, l’ancien maire de Nice.

Les jeux d’alliances montrent à quel point, pour la région PACA, le FN puis RN est devenu une variable incontournable de la donne électorale. V. Martin, Fourni par l'auteur

Ainsi, les partis de droite comme de gauche doivent soit s’allier avec le FN, soit lui faire barrage, ou encore chercher d’autres alliances afin de le minimiser. Faire de la politique en PACA sans prendre en compte le RN est devenu impossible. Ainsi, cette région est devenue symboliquement le sémaphore d’un phénomène local, qui allait se nationaliser, comme nous le montrions déjà dans les années 1990-2000.

Un vote d’adhésion

Cette relation durable se forge de façon quasi essentielle autour d’une motivation de vote qui tourne autour des questions d’immigration.

C’est l’item « immigration » qui agrège la quasi-totalité des électorats en faveur du FN/RN, et ce quel que soient les dissensions sur les autres sujets, notamment économiques ou fiscaux.

En effet, l’immigration – venue d’Afrique du Nord essentiellement – motive majoritairement le vote en faveur du FN dans cette région ; c’est d’ailleurs sur ce point particulier que j’ai montré dès les années 2000, que nous étions sur certains aspects en présence d’un vote d’adhésion.

En effet, mes travaux et d’autres ont montré combien ce point était crucial voire parfois unique dans les raisons du vote en faveur du parti lepéniste dans cette région.

Rallye de soutien à Marine Le Pen (RN) le 19 juillet 2019 à Le Thor, près d’Avignon, en amont des élections européennes de mai 2019. Clément Mahoudeau/AFP

Or ce terme même d’« immigration » doit être analysé dans la complexité qu’il recouvre pour l’électorat en PACA. En effet il fait écho avec des marqueurs identitaires forts : culturels, cultuels, économiques ou historiques.

Cet aspect est particulièrement crucial dans une région où l’on peut trouver une corrélation entre fort vote FN/RN et fort taux d’immigrés, ce qui ne se vérifie pas partout comme le montrent certaines études et cartographies.

Identités locales et traumatismes historiques

Les identités locales et les traumatismes historiques ont aussi joué un rôle important dans le développement de ce vote d’adhésion.

Certains – notamment aujourd’hui les populations les plus âgées – estiment que l’identité provençale qui parcourt toute la région est troublée par des vagues migratoires jugées trop nombreuses.

Par ailleurs, même si on ne peut parler d’un vote pied-noir homogène au risque de réifier la communauté des rapatriés d’Algérie il n’empêche que les études montrent que la filière « rapatriés » a été l’une des composantes de l’extrême droite, notamment liée au rejet du Général de’échec RN échoue dans le cadre Gaulle. Aujourd’hui cette communauté est vieillissante et le traumatisme historique s’estompe peu à peu, mais ces accointances ont laissé des traces et « le vote pied-noir » se porte volontiers sur la droite, mais aussi sur le FN.

Des militants du Front national manifestent devant le cinéma Pathé-Madeleine à Marseille, le 20 septembre 2010, à l’occasion de la projection en avant-première du film historique du réalisateur franco-algérien Rachid Bouchareb, « Hors-la-loi ». Des associations de harkis, d’anciens combattants et de pieds-noirs, ainsi que par le député UMP des Alpes-Maritimes Lionnel Luca. Gerard Julien/AFP

L’autre point clef réside dans la dimension cultuelle et le rejet de l’islam sous ses formes les plus visibles, notamment le voile ou les commerces halal.

Les électeurs RN sont aussi sensibles au lien souvent effectué par les leaders frontistes entre immigration et délinquance : « la criminalité est la conséquence de l’immigration » affirmait Marine Le Pen en 2018, un argument qui est aujourd’hui largement décliné autour de « l’islamisme, berceau du terrorisme ».

Cet électorat reste aussi en partie convaincu par les mots de Jean Marie Le Pen au sujet des immigrés qui prendraient le travail aux « Français ». C’est un argument moins présent aujourd’hui au regard de deux éléments : d’une part, Marine Le Pen inclut cette question dans un enjeu plus vaste autour de la mondialisation qui détruit les emplois ; d’autre part, les expressions islamistes et migrants sont venues concurrencer les termes « Arabe ou immigré »). Certes au cœur du parti RN l’idée d’un « grand remplacement » séduit, mais il n’est plus question de cibler « l’arabe » car celui-ci peut voter potentiellement voter pour le parti frontiste.

Des représentations complexes

Derrière ces motivations, derrière ces termes, coexsitent des représentations complexes. En PACA nous sommes plutôt en face d’un RN droitier qui peut être largement séduit par le parcours et l’image de Thierry Mariani, ce d’autant plus que Renaud Muselier fait à bas bruit alliance avec LREM, un choix qui peut rebuter une partie des électeurs de droite.

Ce coude à coude RN–Droite en PACA aura en cas d’échec ou de victoire pour Thierry Mariani des conséquences au niveau national. Même si à quelques jours des élections les sondages donnent le RN gagnant, 4 scénarii sont à considérer notamment au regard de la mise en place d’un front républicain au second tour.

Si le RN échoue dans le cadre d’une triangulaire (si la gauche se maintient), la théorie du plafond de verre pourra être avancée de nouveau, notamment au regard de l’incapacité du RN à rassembler au second tour.

Plafond de verre, Marion Maréchal Le Pen.

Si l’échec se fait à la faveur d’un front républicain orchestré afin de faire barrage au RN, la colère des électeurs et discours victimaire du RN pourront largement se faire entendre. Si malgré un barrage de type front républicain, le RN l’emporte, la victoire serait alors un triomphe.

Une victoire dans le cas d’une triangulaire serait bien sûr un pied de nez au plafond de verre que connaît ce parti depuis longtemps ; mais surtout une telle victoire serait à la fois une opportunité et un défi.

L’opportunité de démontrer sa capacité à gérer une région aussi importante ; un défi aussi au regard de leur capacité à gouverner cet immense territoire.

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