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Comment le confinement a enfoncé les livreurs à vélo dans la précarité

La sécurité est devenue le premier problème des livreurs depuis mi-mars. Philippe Lopez / AFP

Pendant le confinement, certains n’ont pas eu « le luxe » de poursuivre leur activité depuis chez eux et n’ont, en fait, jamais cessé de travailler en extérieur. C’est le cas des livreurs à vélos ou scooter travaillant pour des plates-formes de livraison de repas chauds à domicile. Contraints à l’indépendance, ces micro-entrepreneurs, majoritairement jeunes et sans expérience professionnelle antérieure, ont, en grande partie, dû continuer leur activité pour (sur)vivre.

Pendant la période de confinement, ils ont souvent été les seuls à colorer les rues de leurs tenues « brandées » et ont même été présentés dans les différents médias comme les « héros » du quotidien des français·e·s.

Cette activité est d’ordinaire précaire du fait de faibles rémunérations, des concurrences internes, des horaires flexibilisés et décalés, de la surveillance par un patron-algorithme autoritaire qui ne leur assure aucune protection sociale. S’ils étaient pour beaucoup étudiants, ils ont été progressivement remplacés par des travailleurs étrangers, exilés ou sans-papiers qui n’ont d’autre choix que de louer illégalement des comptes à des Français·e·s pour pouvoir travailler.

Les plates-formes n’assurent aucune protection sociale aux livreurs. Philippe Lopez/AFP

La crise semble avoir accentué cette précarité, et cet article entend revenir sur les changements intervenus dans l’organisation concrète de leur activité, qui fait émerger de nombreuses craintes, mais également un ensemble de revendications du côté des livreurs.

Vous avez dit livraison « sans contact » ?

Le problème numéro un mis en avant par les travailleurs des plates-formes est celui de la sécurité. Le souci autour de la sécurité routière a été remplacé par la peur de la contamination, puisque les plates-formes se déchargent de toute responsabilité vis-à-vis des travailleurs dont elles sont, juridiquement, les clientes et non les employeurs.

En se déresponsabilisant ainsi, les plates-formes profitent de la crise (en continuant à faire des profits alors que beaucoup d’autres entreprises sont à l’arrêt) tout en faisant pesant les risques sur l’ensemble de la population (livreurs et leur entourage, clients et leur entourage, etc.).

Si des remboursements de matériel de protection ont été promis, dans les faits, la charge de l’achat de gel alcoolique, masques ou gants incombe aux travailleurs. La seule consigne de Deliveroo, Uber Eats, Frichti ou encore Stuart a été : le respect des gestes barrières, accompagnée de conseils pour respecter la livraison « sans contact ».

Pourtant, il est illusoire de penser que la « distanciation sociale » peut être mise en place : les livreurs, qui doivent aller le plus rapidement possible, se pressent devant les rares restaurants restés ouverts pour récupérer leur commande, ils touchent des dizaines de commandes par jour et se rendent dans des dizaines de lieux différents. Selon les livreurs, une commande équivaudrait à une quinzaine de prises de risques.

Ils sont parfois obligés de monter les commandes dans les appartements – alors que les plates-formes préconisent d’attendre devant l’entrée sans rien toucher que le client récupère la livraison – au risque de se voir attribuer une mauvaise notation.

Un facteur d’insécurité supplémentaire est la menace du contrôle de police pour ces travailleurs très visibles dans l’espace public et dont une grande partie est sans-papiers ou travaille illégalement. Ces derniers, bien souvent, non seulement ne bénéficient pas de la « garantie employeur » servant à justifier l’autorisation dérogatoire pour motif de travail, mais qui plus est, sont la cible privilégiée des opérations d’arrestations de travailleurs immigrés pour être ensuite envoyés en centres de rétention administratifs (CRA).

Que ce soit par mesure de précaution pour eux, leur famille ou les clients, pour cause de maladie, suite à un accident ou encore pour raisons familiales, certains livreurs ont tout de même dû cesser l’activité avant ou pendant le confinement.

« Libres » de travailler ou pas

Quels sont les moyens de subsistance prévus lors d’un arrêt d’activité pendant cette crise ? Le problème est toujours celui du statut : ces faux indépendants ne jouissent d’aucun des droits du salariat, tout en n’ayant ni l’autonomie ni les revenus que confère l’indépendance. Ne bénéficiant d’aucune protection sociale, les solutions qui leur sont proposées ne sont pas le fruit de la solidarité collective, mais d’une assistance minimale faite de bric et de broc à l’aide de fonds publics ou privés.

En effet, les livreurs ne peuvent avoir recours aux dispositifs proposés dans les entreprises aux salariés comme le chômage, qu’il soit partiel ou non, les congés maladie ou le droit de retrait, ce qui ne peut s’appliquer à ceux qui sont « libres » de se connecter la plate-forme comme ils le souhaitent.

La seule aide financière offerte par les plates-formes est pour les livreurs malades du Covid-19, mais elle est en réalité très restrictive afin de cibler les livreurs réguliers dits « actifs ». Le critère pour y prétendre : avoir gagné 130 euros par semaine pendant un mois.

Peu de livreurs peuvent accéder aux aides débloquées en raison de la crise sanitaire. Philippe Lopez/AFP

Pour les autres, l’État a mis en place un dispositif pour les indépendants, financé par le fonds de solidarité. Il permet à ceux qui en ont font la demande – à renouveler tous les mois – d’obtenir une compensation à la hauteur de leur perte de chiffre d’affaires sur un an, dans la limite de 1 500 euros et si cette perte correspond à 70 % du chiffre d’affaires de l’année précédente. Face à la complexité de la démarche et l’étroitesse des critères, autant dire que cette aide concernera extrêmement peu de travailleurs.

Bataille juridique en vue ?

Ceux qui n’ont d’autre choix que de continuer à livrer des burgers à la demande voient le nombre de commandes baisser, même si elles ne disparaissent pas complètement. Or cette baisse représente automatiquement une baisse du chiffre d’affaires. Là encore on assiste à une délégation de la part des plates-formes de leur responsabilité, puisque la prise en charge repose sur la société (via le RSA par exemple) ou sur l’entourage individuel qui doit venir en aide.

En réponse, des livreurs mobilisés, organisés ou non, dénoncent tour à tour le contournement du droit du travail, surtout que le droit, qui a reconnu des requalifications de travailleurs ubérisés en contrats salariaux, est de leur côté (décision « Take Eat Easy » du 28 novembre 2018, décision Uber du 4 mars 2020).

Ils demandent également l’arrêt total de l’activité et des plates-formes, mais se tournent également du côté de l’État pour demander une imposition de ces fermetures aux entreprises et améliorer la prise en charge financière publique. Le déconfinement, pour eux, devra donc répondre à cet enjeu d’indemnisation soit par l’État soit par les entreprises et, pourquoi pas, d’une bataille juridique autour du statut d’employeur, et des devoirs qui l’accompagnent, pour les plates-formes numériques.

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