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Pour construire ce lego de 9090 pièces, il vous faudra débourser près de 700 €.

Comment Lego a envahi le marché des jouets à construire pour adultes

En 2023, Lego a déclaré 8,8 Milliards d’euros de chiffre d’affaires. Si l’on considère que le marché international du jouet a pesé 168 milliards d’euros en 2023, cela représentait environ 5,25 % de parts de marché. Pour partie, ce succès s’explique par la diversification que la marque danoise a su opérer en produisant des jeux vidéo (Lego Star Wars, Lego Batman…), des films (The Lego Movie…), des émissions télévisées (Lego Masters…), etc.

Si des parents peuvent acheter des Lego à leurs enfants par nostalgie, certains adultes en font une consommation personnelle. Ainsi, en 2021, les adultes étaient 20 % à s’offrir les petites briques en plastique. Pour accompagner cette demande, la marque propose désormais des boîtes à destination des publics 18+, avec la collection « Lego Architecture » proposant de reproduire des monuments comme le Colisée de Rome, Notre-Dame de Paris, « Icons » avec la tour Eiffel, le Titanic, la fusée Artémis, le Concorde, ou encore des objets vintage comme un poste de radio des années 50, une borne d’arcade Pac-Man.

Un lien de parenté avec les puzzles ?

Est-ce un phénomène si surprenant ? Assembler des briques en plastique pour reproduire un modèle, cela revient finalement à faire un puzzle. Quand on sait que les boîtes de puzzles classiques comptant plus de 1 000 pièces s’adressent généralement aux adultes, pourquoi en serait-il autrement pour du Lego ? Cette parenté avec les puzzles se retrouve à plusieurs niveaux comme l’affichage du nombre de pièces sur chaque boîte de Lego destinés aux 18+. Par exemple, la boîte « World Map » comporte 11 695 pièces. Issu de la série « Lego Art », c’est pour l’instant l’article qui compte le plus de briques. « World Map » propose aussi de reproduire une carte du monde en mode plan. La reproduction terminée, il est également possible de l’encadrer et de l’accrocher au mur comme peuvent le faire certains « puzzleurs ».

Mais avec Lego, des notices explicatives sont fournies pour suivre pas à pas les différentes étapes. Or, le puzzle induit de se perdre dans les méandres d’une image, de ses différentes nuances de couleurs, de positionner des pièces en se fiant à leurs différentes formes, pour tâcher petit à petit de reproduire le modèle présenté. Avec « World Map », il s’agit sans doute d’un moyen de se détendre via des tâches répétitives. En effet, cette référence propose via un QR code d’accéder à une bande-son composée de témoignages de voyageurs à écouter tout en réalisant la carte du monde.

Le phénomène des licences

Avec d’autres modèles, comme la tour Eiffel ou le Colisée de Rome par exemple, on bascule dans des puzzles en 3 dimensions. Le défi se corse : il faut faire appel aux rotations mentales pour emboîter les briques aux bons endroits. La perception du jeu étant finalement une affaire subjective. Une fois le modèle terminé, il y a deux possibilités la démonter et remettre toutes les pièces dans la boîte ou la conserver intacte et pourquoi pas l’exposer. Un autre levier entre alors en jeu : la collection.

Lego propose bon nombre de licences comme notamment celle de Star Wars, la plus ancienne. Lancée en 1999, c’est aussi la plus prolifique. Elle compte à ce jour près de 950 références et plus de 1400 figurines. Cette diversité conduit de nombreux adultes passionnés à exposer de tels objets chez eux ou sur les réseaux sociaux. Parmi les nombreuses associations francophones fédérant les joueurs de Lego, certaines, sont spécialisées dans la licence Star Wars. Cela permet au millier de membres de partager leurs collections. En parallèle, la fidélisation de Lego va jusqu’à offrir aux clients VIP des figurines ou autres produits exclusifs pour assoir cette dynamique de collection. Le tout est appuyé par des influenceurs qui partagent l’actualité autour de Lego et ses nouvelles références.

Notons que certains acquéreurs conservent précieusement les différentes boîtes de la licence Star Wars sans jamais les ouvrir. Il s’agit ainsi de spéculer sur la montée des prix lorsque certaines références deviennent introuvables à la vente. Des études montrent que les taux de rendement peuvent atteindre les 11 %. Ce qui est plus lucratif que miser sur le cours de l’or. Lego n’hésite pas à jouer sur ce registre avec sa gamme « ultimate collector series » pour signifier la rareté du produit. Ce qui permet à la société danoise de justifier des tarifs élevés pour de telles références.

Si l’on met de côté les aspects spéculatifs, associer les licences Star Wars et Lego permet de convoquer deux madeleines de Proust simultanément. Ce qui se traduit par un renforcement de la dynamique d’achat pour les deux marques. Aux dioramas qui proposent de reconstruire des scènes cultes issus des différents films se rajoutent les jeux vidéo Lego Star Wars. Six titres réalisés entre 2005 et 2022 proposent de rejouer de manière interactive les différents épisodes du space opera hollywoodien. Les joueurs peuvent incarner différentes figurines Lego à l’effigie des personnages de la saga qui prennent place dans des décors et engins dont la grande majorité sont des références disponibles au catalogue. Les ventes cumulées de ces différents titres vidéoludiques totalisent un peu plus de 45 millions d’exemplaires à travers le monde. Parmi les joueurs, on compte à la fois des enfants et des adultes. Ainsi, on peut voir à travers de tels jeux vidéo une manière de prolonger chez les enfants l’activité de jouer aux Lego. Une telle transition est stratégique sur au moins deux points. D’abord, dès l’âge de 8 ans, un rapport de l’Ofcom indique que la consommation-écran et des jeux vidéo deviennent une activité prépondérante chez les enfants. Ce qui peut se traduire par délaisser les jouets traditionnels au profit des jeux numériques. En se déployant sur les jeux numériques, Lego permet ainsi d’accompagner les transitions ludiques des enfants.

Un autre aspect stratégique réside dans le fait de faire connaître la marque aux enfants. En effet, être exposé à une marque durant l’enfance, notamment avant l’âge de 16 ans, aurait de fortes chances de se traduire par une fidélisation à l’âge adulte. Dans un contexte où plusieurs pays, dont notamment le Danemark, règlementent voire interdisent la publicité à destination des enfants pour des raisons éthiques, le fabriquant doit trouver d’autres moyens de faire connaître ses produits et sa marque tout en restant dans un cadre légal. Sur ce plan, faire des parents des prescripteurs de la marque peut s’avérer un atout. C’est pourquoi le marketing de Lego valorise les activités familiales comme l’illustre par exemple l’étude Lego Play Well qui met en avant les atouts de jouer avec les briques, notamment sur le plan des apprentissages. L’emploi de licences comme Star Wars, mais aussi Harry Potter, Marvel Super Heroes, Disney, Jurassic World, Indiana Jones, etc., jouent le rôle de catalyseurs pour favoriser l’entrée des parents via la fibre nostalgique. Ils peuvent partager à leurs petits les souvenirs d’enfance en lien avec les jeux Lego et les plaisirs associés aux histoires que portent les différentes licences cinématographiques.

La dimension créative

S’il est possible de créer librement à partir de n’importe quel set de briques, la société danoise propose également la gamme « Lego Classic » pour appuyer la démarche. Ces packs mettent en avant des pièces variées et quelques illustrations de réalisations possibles en guise de sources d’inspiration. Des magasins Lego proposent également des lieux pour se poser et utiliser librement des briques en vrac. Enfants et adultes peuvent ainsi laisser libre cours à leur imagination en créant leurs propres modèles. Certains passionnés adhèrent à des associations, voire s’inscrivent à Lego Masters. Dans cette émission télévisée, il s’agit de créer des modèles inédits en binôme avec des directives et des thématiques, dans un temps donné : par exemple produire un engin volant qui fera la plus belle explosion colorée en s’écrasant au sol.

La créativité est un levier d’engagement puissant que l’on retrouve dans les activités de co-design en entreprise. L’idée étant d’inviter les collaborateurs à proposer des idées pour susciter de l’innovation ou encore solutionner des situations complexes (résolution de problèmes, développement stratégique…) en mettant en commun des approches et des expériences issues de profils différents : c’est le « Design Thinking ».

Les briques Lego peuvent être utilisées dans ce registre. Ainsi, le programme Lego Serious Play propose depuis 2002 des méthodes Lego dans le cadre de séminaires impliquant du Team Building, des Hackathons voire des formations. Le fait d’utiliser les Lego au travail permet d’une certainement manière aux adultes de s’approprier de nouveau les briques en plastique au travers d’usages productifs.

En parallèle, Lego cherche à valoriser ses fans au regard de sa créativité. En effet, l’absence de reconnaissance pourrait être source de frustration. C’est sans doute pourquoi l’entreprise danoise propose un programme appelé « Lego Idea ». Il s’agit pour la communauté de proposer des idées de modèles à la société danoise. Si des propositions recueillent 10 000 soutiens, alors elles sont étudiées pour potentiellement en faire une référence commercialisée.

Un autre levier de création nous vient également du jeu vidéo. Minecraft compte parmi les titres vidéoludiques les plus vendus au monde avec plus de 300 millions d’exemplaires écoulés entre 2009 et 2023. À l’aide de blocs que le joueur doit se fabriquer, ce titre permet de construire plein d’éléments dans un environnement virtuel qui peut s’ouvrir à du multijoueur.

Minecraft a réussi à transposer le plaisir créatif éprouvé avec des constructions Lego dans le secteur du jeu vidéo, et les deux marques se ont associées en 2012 avec les premières références Lego Minecraft, une licence qui continue à se développer, issue de la communauté Lego Idea.

Une stratégie payante

La relaxation, la collection, la nostalgie, la spéculation et la créativité sont des leviers d’engagement sur lesquels Lego s’appuie. L’entreprise danoise joue habilement sur le plan marketing pour continuer à étendre ses parts de marché en ciblant notamment la famille et les adultes.

L’idée étant de faire des adultes des prescripteurs de la marque. L’association de licences issues des industries cinématographiques et vidéoludiques visent à renforcer les échanges intergénérationnels. En parallèle, les adultes offrent l’avantage d’un pouvoir d’achat plus important que les enfants. Aspect économique que Lego a bien identifié au regard des tarifs plus élevés que présentent les références pour adultes. Actuellement, le marché des adultes devient sans doute l’un des principaux leviers de croissance économique pour Lego : David Beckham, qui se met en scène sur les réseaux sociaux en train de jouer aux Lego semble prouver cette hypothèse.

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