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Comment pratiquer le sport en compétition peut réduire les inégalités de genre

Pratiquer le sport en compétition aurait des bienfaits sur le marché du travail pour les femmes. Shutterstock

Sur le marché du travail, un esprit de compétition semble recherché par de nombreux employeurs. C’est sans doute pour cela que l’on remarque que les anciens athlètes bénéficient souvent de certaines faveurs lorsqu’ils sont employés. Elles peuvent prendre la forme d’un bonus salarial, variant de 5 % à 20 % selon les études, d’avantages sociaux ou encore d’une plus grande employabilité. Plusieurs travaux ont également montré que la pratique du sport en compétition façonne les comportements, quel que soit le type de sport pratiqué. Exposés à une compétition intense, la tolérance au risque des athlètes serait amplifiée et leur envie de gagner constituerait le moteur fondamental qui les anime.

Aurait-on là une voie permettant de réduire les écarts de genre ? Si les femmes développaient, grâce à la pratique du sport en compétition, un profil plus enclin à la prise de risque et à l’esprit de compétition, auraient-elles davantage d’opportunités d’emploi et des perspectives de revenus plus élevés ?

Pour le démontrer, nous avons réalisé une expérience comparant athlètes et non-athlètes dans leurs attitudes face au risque et selon leur goût pour la compétition. Les résultats mettent en évidence des similarités entre athlètes féminines et non-athlètes masculins.

Une pratique du sport qui réduit les écarts

Comment mesurer si quelqu’un est compétitif ou non ? Nous avons pour cela utilisé une variante du protocole développé par deux femmes, Muriel Niederle de l’université de Stanford et Lise Vesterlund de l’université de Pittsburgh. Celles-ci se sont intéressées aux écarts de genre en la matière : un déficit de compétitivité chez les femmes et une compétitivité excessive chez les hommes, en comparaison à leurs performances respectives. Dans notre expérience, les participants étaient ainsi invités à réaliser successivement deux tâches : une tâche de comptage et une tâche de lancer de balles.

Dans la première tâche, il fallait compter, en cinq minutes, le nombre de « 1 » présents dans une succession de tableaux où ils étaient mélangés à des « 0 ». Dans la seconde, il fallait envoyer trois balles en mousse dans une corbeille à papier distante de deux mètres.

Dans chaque cas, participantes et participants avaient le choix entre deux modes de rémunération. Première option, le « paiement à la pièce », qui garantit au participant d’être rémunéré selon sa performance : chaque comptage correct ou chaque balle dans le panier rapportant 50 centimes. Il était aussi possible d’opter pour un « paiement au tournoi » : ce mode de rémunération met le participant en compétition avec d’autres participants ayant également fait ce choix. Cette option permet de recevoir un gain plus élevé, 2 euros par comptage correct ou par balle dans le panier si on est vainqueur. Il comporte néanmoins un risque : seul le participant qui réalise le meilleur score dans son groupe est rémunéré. Les autres ne gagnent rien. En choisissant le paiement au tournoi, les participants révèlent leur goût pour la compétition et leur appétence pour la prise de risque, qui a également été mesurée de façon indépendante à partir d’une tâche spécifique de prise de risque individuelle.

78 athlètes pratiquant un sport individuel et participant régulièrement (au moins chaque mois) à des compétitions nationales et/ou internationales ont été sélectionnés pour se prêter au jeu, avec 77 autres participants non impliqués dans des championnats sportifs. Environ 85 % des participants étaient des étudiants. Les deux échantillons sont comparables en termes de distribution par âge, genre et niveau d’étude. Tous les participants étaient volontaires.

61 % des athlètes ont choisi le tournoi pour la tâche de jet de balles contre seulement 27 % de non-athlètes. Pour la tâche de comptage, 57 % des athlètes ont choisi le tournoi contre 41 % des non-athlètes. Les femmes sportives se révèlent moins compétitives que leurs homologues masculins, mais plus compétitives que les hommes non-sportifs. Dans la tâche de jet de balles, 50 % des athlètes féminines ont opté pour le tournoi contre 36 % des hommes non-athlètes et seulement 20 % des femmes non-athlètes. De même pour la tâche de comptage, 50 % des athlètes féminines ont opté pour le tournoi contre 42 % des hommes non-athlètes.

Un résultat similaire est observé pour la tolérance au risque. Les femmes sportives ont un niveau de tolérance au risque comparable à celui des hommes non-sportifs, alors qu’en population générale la quasi-totalité des travaux conclut à une plus grande tolérance au risque chez les hommes que chez les femmes.

Ces observations suggèrent que la pratique du sport en compétition fait que les athlètes féminines ressemblent davantage aux hommes en ce qui concerne leur appétence pour le risque et leur compétitivité, ce qui réduit les écarts entre les sexes concernant ces deux dimensions de leurs préférences.

Un esprit de compétition à développer dès l’école ?

Quels facteurs explicatifs ? Quatre hypothèses sont envisageables.

Tout d’abord, les athlètes féminines pourraient performer mieux dans les tâches compétitives que les non-athlètes. Elles pourraient préférer être rémunérées en tournoi parce qu’elles pensent pouvoir obtenir des scores plus élevés sous la pression de la compétition. Deuxièmement, les athlètes féminines pourraient avoir une plus grande appétence pour le risque et pour cette raison opter plus fréquemment pour le tournoi que les non-athlètes. Troisièmement, elles seraient moins prosociales que les non-athlètes : elles se soucieraient moins des conséquences négatives infligées à autrui par le choix du tournoi, c’est-à-dire le fait qu’il y ait des perdants qui ne soient pas récompensés pour leurs efforts dans les tâches. Enfin, quatrièmement les athlètes féminines auraient développé un goût affirmé pour la compétition.

Les deux premières hypothèses sont clairement rejetées par nos données. Les scores des athlètes féminines pour les deux tâches expérimentales ne sont pas meilleurs que ceux des non-athlètes. Bien qu’elles soient légèrement plus enclines à prendre des risques que les non-athlètes, la tolérance au risque a un effet négligeable sur la probabilité de choisir le tournoi.

La troisième hypothèse concernant la pro-socialité est également écartée. Ce facteur se mesure grâce à des expériences forgées par l’économie expérimentale : le jeu du dictateur et le jeu du dilemme du prisonnier. Dans le premier, les participants sont associés en binômes de façon anonyme. Un des membres du binôme, le dictateur, reçoit 10€ de la part de l’expérimentateur, l’autre ne reçoit rien. Le dictateur peut transférer tout ou partie de la somme reçue à son homologue, ou bien choisir de tout conserver.

Les jeux du « dilemme du prisonnier » sont inspirés de la situation suivante. Deux criminels sont attrapés et jetés en prison, dans des cellules séparées. Interrogés, ils ont le choix entre se taire ou faire reposer la faute sur leur complice. Parler si l’autre se tait offre la liberté pour le premier et une lourde peine pour le deuxième. Si les deux parlent, la peine sera néanmoins plus lourde que s’ils s’étaient tous les deux tus.

Certes, nous avons pu mettre en évidence que les athlètes féminines sont moins généreuses dans le jeu du dictateur et moins coopératives dans le dilemme du prisonnier. Néanmoins, la pro-sociabilité mesurée ainsi n’affiche pas de corrélation significative avec la probabilité de choisir le tournoi.

Nous concluons donc que le goût pour la compétition des athlètes féminines est le facteur déterminant de leur propension à choisir le tournoi, conclusion soutenue par les réponses à un questionnaire indépendant mesurant la compétitivité. Notons également que le fait de choisir le tournoi permet de se comparer aux autres et de savoir si son propre score a été meilleur que celui d’autres personnes choisies au hasard, une information particulièrement prisée et recherchée par les athlètes.

La pratique sportive incorporant une forte composante de compétition, semble ainsi rendre les athlètes féminines plus compétitives et développer leur goût pour le risque, deux vertus appréciées et recherchées par de nombreux employeurs. L’implication des femmes dans la compétition sportive apparaît ainsi comme un moyen de réduire certains écarts de genre, une voie qui pourrait être favorisée dans l’éducation des jeunes filles dès le plus jeune âge.

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