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Pour certains jeunes haïtiens, il est hors de question de laisser le racisme définir leur vie, même s'ils admettent qu'il existe. shutterstock

Contrer le racisme par la réussite scolaire : l’exemple des jeunes haïtiens

Le racisme existe. Qu’il comporte ou non une valeur subjective, les populations du monde entier se sont insurgées pour dénoncer la mort de Georges Floyd. Et, surtout, les communautés noires ont fait entendre la douleur interne qui se greffe aux sentiments d’injustice et d’indignation que révèle une situation de discrimination.

Cette douleur est en encore plus vive chez les jeunes de la seconde génération, c’est-à-dire ceux qui sont nés dans le pays d’accueil de leurs parents, et qui ont au moins un des deux parents qui est né à l’étranger.


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Au cœur de leur expérience sociale, et malgré leurs efforts pour s’intégrer, ils rapportent vivre un racisme implicite et insidieux. La douleur de ces jeunes réside dans le rejet qu’ils lisent dans le regard de leurs pairs du pays d’accueil, malgré la proximité culturelle qu’ils partagent « en termes de scolarité, d’aspirations et de participation à une culture de masse et de consommation », comme le précise dans cet article Maryse Potvin, professeure titulaire en sociologie de l’éducation à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Culturellement intégrés, socialement exclus

En résumé, pour citer les mots de François Dubet, sociologue français et professeur à l’Université Bordeaux, les jeunes de la deuxième génération sont « culturellement assimilés, mais socialement exclus », car ils se sentent comme les autres, tandis que les autres les perçoivent différemment, comme des étrangers appartenant à un groupe minoritaire.

Ce constat de Dubet rejoint la réalité de la majorité des participants de notre étude dont le but était de mieux comprendre la surprenante réussite scolaire des jeunes d’origine haïtienne au Québec en contexte d’adversité.

Les formes d’irrespect, de dévalorisation, d’hostilité et de condescendance de la part de leurs pairs ou de toute personne en position d’autorité, les délits de faciès, que l’on assimile au profilage racial, et les remarques sournoises, apparaissent aux yeux de ces jeunes comme étant un déni de légitimité.

Cette réalité sociale a généré chez ces jeunes une véritable détresse psychologique qui a menacé et nuit à leur fonctionnement et aux apprentissages scolaires.

Une cause de décrochage scolaire

La souffrance psychologique qui y est induite (sentiment d’incompétence, remise en question aux plans personnel et physique, détresse émotionnelle) représente un défi de taille pour ces jeunes : ils doivent à la fois surmonter ces obstacles affectifs et développer les apprentissages exigés par leur milieu scolaire pour réussir. Y parvenir tout en composant avec des enjeux d’inégalités sociales tout au long de leur parcours scolaire, met à rude épreuve leurs capacités d’adaptation.

Certains finiront par abandonner, d’autres rivaliseront de stratagèmes plus ou moins malins pour défier la facette déstabilisante du racisme. Pour ces derniers, sous les conseils de leurs parents, il est hors de question de laisser le racisme définir leur vie, même s’ils admettent qu’il existe.

Nous avons constaté que ces jeunes ont adopté quatre attitudes pour développer leur résistance face au phénomène du racisme. Ces attitudes à haut potentiel leur ont permis de conserver leur équilibre dans l’adversité et d’orienter leur parcours scolaire vers la réussite.

1) Affiliation à la communauté noire

L’affiliation des jeunes d’origine haïtienne à la communauté noire et leur attachement à l’identité « black » sont associés au fait que celle-ci symbolise la réussite de certains Noirs qui sont pris pour exemple et connus à l’échelle internationale en tant que héros et modèles à suivre.

Le boxeur d’origine haïtienne Jean Pascal assiste à une manifestation réclamant justice pour la mort de George Floyd et de toutes les victimes de la brutalité policière, à Montréal, le dimanche 7 juin 2020. LA PRESSE CANADIENNE/Graham Hughes

Ils puisent dans cette affiliation les sens de la détermination, de la persévérance et de la résistance qu’ils investissent au service de leur réussite scolaire, mettant ainsi en valeur la communauté noire. Pour reprendre les termes de Maryse Potvin, l’identité « black » devient alors « une réponse culturelle » à l’exclusion et au racisme dont les jeunes rapportent être victimes de la part de leurs pairs d’origine non immigrée.

2) Investir les enseignements de leurs parents

Les parents préviennent leurs enfants de ne pas tomber dans le piège des préjugés en nourrissant ceux-ci par l’adoption de comportements jugés inadéquats par le groupe majoritaire. Ainsi, ils favorisent chez leurs enfants le développement de compétences socialement désirables leur permettant de s’imposer en tant que modèles ou références dans les sphères scolaire, sociale, ou même professionnelle. Ils leur inculquent le principe selon laquelle, l’une des façons les plus stratégiques de défier les préjugés et les stéréotypes est de viser la réussite dans un domaine de leur prédilection.

3) Prendre une distance émotionnelle

Pour faciliter ce processus, ces jeunes intègrent grâce aux échanges qu’ils auront avec leurs parents, l’axiome selon lequel le racisme est un pur produit de l’ignorance et qu’il faille prendre une distance à l’égard de ce phénomène pour éviter l’escalade de conflits. Ils démontrent une ouverture et un intérêt au groupe majoritaire, par exemple, en s’intéressant à leur musique et en tissant des relations amicales chaleureuses et cordiales avec certains d’entre eux. Ils acceptent également de changer de perspective durant les situations potentiellement litigieuses, afin de percevoir le conflit comme l’expression d’une opinion plutôt que comme l’expression d’une attaque personnelle.

4) Reconnaître les valeurs de la majorité

Les jeunes haïtiens de notre étude n’avaient pas peur de reconnaître et d’approuver le bien-fondé de certaines valeurs du groupe majoritaire et de les investir au profit des objectifs visés, même lorsqu’elles ne sont pas véhiculées par leur culture d’origine.

Par exemple, les jeunes qui n’ont pas abandonné l’école malgré les embûches ont saisi toutes les occasions de faire preuve d’autonomie, en faisant des choix libres et éclairés qui rejoignent leur personnalité. Ils ont corrélé positivement leur implication scolaire à leurs champs d’intérêts et de compétences. Par exemple, quand il leur était possible de choisir des matières qui les intéressaient au Cégep, ils le faisaient en fonction de leur facilité à les comprendre ou à bien les réussir, ou encore en fonction de leurs valeurs, champs d’intérêts et compétences et de leurs ambitions, figures d’identifications, standards et rôles sociaux.

Cette capacité de prendre le contrôle de leur vie en exprimant leur identité sans ingérence de l’autorité parentale, contribue à leur adhésion à certaines valeurs éducatives québécoises qui encouragent le développement de l’autonomie, la liberté, la communication.

Adopter de telles attitudes requiert un certain niveau de maturité et de détachement vis-à-vis des sources de tensions. C’est ce qui a d’ailleurs permis aux jeunes de notre étude, d’outrepasser les schèmes de pensées automatiques nourris à l’endroit du racisme, et de considérer ce phénomène comme un pur produit émanant de l’ignorance. Un tel rapport rationnel aux « Blancs » n’a pu être établi par ces adolescents qu’à condition de recevoir un support réel de la part de leurs parents, qui les aident à résoudre les tensions auxquelles ils font face et qui sont sincèrement ouverts à la culture québécoise.

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