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Conversation avec Jeff Hawkins : « Notre statue de la Liberté semble ternie par les propos racistes de Donald Trump et de ses supporters »

Donald Trump. Gage Skidmore on VisualHunt.com, CC BY-SA

Enseignant à Sciences Po et chercheur associé à l’IRIS, Jeff Hawkins est un ancien diplomate américain, démissionnaire à la suite de l’élection de Donald Trump. Invité aux Tribunes de la Presse 2018 à Bordeaux, il porte un regard très critique sur la politique du président des États-Unis. Analyse.


Les États-Unis se définissent comme une nation d’immigrants. Pourtant, la notion des frontières et de l’étranger paraît aujourd’hui crisper le débat. D’après vous, à quel moment et pour quelle raison la ligne politique s’est-elle durcie ?

Jeff Hawkins : L’Amérique, comme d’ailleurs les pays européens, vit des changements démographiques importants et cela depuis des années. C’était un pays, il y a encore 100 ans, majoritairement blanc et protestant et, qui, aujourd’hui se diversifie de plus en plus. C’est une conséquence de l’immigration d’Amérique latine et centrale. Cela est en train de changer la nature de notre société mais aussi l’approche de certains leaders politiques. L’un d’entre eux, notre président actuel, joue sur ces changements pour encourager, motiver ou même faire peur à un électorat plutôt blanc qui se sent menacé par cette immigration.

Lors des élections de 2016, contrairement à ce que l’on pourrait croire, les gens qui ont voté pour Trump ne l’ont pas fait parce qu’ils avaient perdu leur travail. Ils avaient peur de se voir remplacer par une population qui ne leur ressemblait pas. Pendant sa campagne Donald Trump a valorisé une politique anti-immigration. Il a commencé celle-ci avec un discours dans lequel il disait que les immigrés mexicains étaient des violeurs. Pour les élections de mi-mandat, le président a fait faire un spot publicitaire afin de soutenir les candidats républicains. Ce spot était tellement raciste que même Fox News n’a pas voulu le diffuser.

Les États-Unis ont toujours été un pays attirant, notamment pour les étrangers qui veulent vivre le rêve américain. Tout cela bien sûr entretenu grâce au soft-power. Pensez-vous que la politique hostile à l’immigration de Donald Trump va entamer le rayonnement du pays à l’international ?

J.H. : En fait, si l’on remet cela dans un contexte historique, c’est un cycle qui se répète. Au début du XIXe siècle il y avait aux États-Unis une immigration allemande et irlandaise. Les Irlandais n’étaient pas protestants mais catholiques et les Américains d’origine anglaise les ont rejetés. Un parti politique, le « Know Nothing Party », a même été fondé pour s’opposer à cette immigration. Ensuite sont arrivés des Italiens, des juifs d’Europe de l’Est, des Chinois et à chaque fois, nous avons observé des réactions à ces vagues d’immigration et puis finalement une acceptation.

J’ose croire qu’après le rejet de l’immigration actuelle viendra, comme par le passé, l’acceptation. Nos politiciens y seront bien obligés, car ces personnes issues de l’immigration vont voter. Il faudra les prendre en compte.

Quel dégât cela va-t-il causer à notre réputation internationale ? Il est clair que cela nuit énormément à notre « brand », notre marque. La statue de la Liberté semble un peu ternie par ces propos anti-immigration, voire racistes du président et de ses soutiens.

Les résultats des élections de mi-mandat sont le reflet d’une société américaine divisée. A votre avis où se sont érigées les principales frontières : au niveau économique, idéologique… ?

J.H. : Donald Trump n’est pas responsable des clivages que nous observons dans notre société. Mais il a profité de cette situation et accentué les divisions. Lorsque nous avons élu un président noir, les gens comme moi, libéraux, de gauche ont applaudi en disant « c’est bon, l’Amérique est un pays post-racial ». C’était une erreur, car ce n’est pas du tout le cas. Ces clivages existent toujours. En fait, élire un président noir a, quelque part, mené à une réaction de rejet. Donald Trump a eu l’intelligence, ou la chance, d’en profiter pour arriver au pouvoir.

On observe un renouvellement de la chambre des représentants avec des élus parfois plus jeunes, souvent des femmes et loin des parcours traditionnels. Pensez-vous qu’une barrière a été franchie alors que les populations semblaient se désintéresser de la politique ?

J.H. : J’espère ! Je dois tout de même nuancer, ce phénomène se limite au parti démocrate. Si l’on regarde les photos qui ont été prises des nouveaux représentants élus, on voit une différence claire et nette entre les Républicains et les Démocrates. Chez les Républicains, on compte une centaine d’hommes blancs et parmi eux, une seule femme. Chez les Démocrates : des noirs, des hispaniques, des blancs, des femmes, des hommes, deux musulmanes, deux amérindiennes. C’est la première fois que cela arrive. Il y a, certes, un mouvement des jeunes et des minorités, mais surtout du côté démocrate. Les Républicains, et Trump l’a clairement fait, misent encore sur cette population blanche, et le rejet de l’autre pour se faire élire.

À propos de l’affaire Khashoggi, ce journaliste saoudien, assassiné en Turquie, Trump a tweeté « il se pourrait fort bien que le prince héritier [Mohammed Ben Salman, dit MBS] ait eu connaissance de ce tragique événement – peut-être que oui et peut-être que non !“. Ce n’est pas la première fois que le président s’exprime de cette façon sur des questions géopolitiques qui sont, d’habitude, gérées par des diplomates. S’agit-il de réactions spontanées ou d’une véritable stratégie ?

J.H. : C’est pire que ça ! En plus du tweet, il y a eu un communiqué de la Maison Blanche dans lequel Donald Trump a dit exactement la même chose. Nous avons donc un communiqué officiel de la Présidence des États-Unis qui dit « peut-être qu’il l’a fait, peut-être qu’il ne l’a pas fait ». Pour un ancien diplomate comme moi, c’est impensable parce qu’un tel communiqué est censé être la politique officielle des États-Unis. Les porte-parole du gouvernement, les ambassades, sont supposés s’en servir pour expliquer leur politique.

Tous nos alliés ont lu ce communiqué et tous nos ennemis aussi. Avec de telles attitudes, c’est ce qui m’inquiète, Donald Trump met en doute son propre gouvernement et la CIA. Cette dernière a déclaré publiquement être presque sûre que le prince héritier lui-même avait ordonné cet assassinat.

Est-ce que Donald Trump pense à toutes ces conséquences quand il fait ce genre de communiqué ?

J.H. : J’avoue que j’ai du mal à suivre la pensée profonde du président des États-Unis depuis deux ans ! Je ne pourrais pas vous dire. Dans cette affaire, ce qui est important pour lui est d’envoyer un message à Mohammed Ben Salmane en disant qu’il est derrière lui. Il y a des contrats entre les États-Unis et l’Arabie saoudite et peut-être des intérêts personnels du côté de Trump.

Le vote ethnique et le vote des minorités sont aux USA des grilles de lecture et d’analyse. Certains militants, comme la Républicaine Candace Owens veulent faire bouger ces lignes pour sortir d’un profilage électoral basé sur l’appartenance ethnique, religieuse ou même l’orientation sexuelle. Pensez-vous que d’ici à 5 ou 10 ans, ces lignes disparaîtront ?

J.H. : Ce serait sain, en effet, si chacun votait en fonction de ses croyances et non pas en fonction de son ethnie, qu’on soit noir mais aussi qu’on soit blanc. Cependant, lorsque le comportement du président est offensant, je ne vois pas comment la communauté noire par exemple pourrait voter pour lui. Peut-être pour d’autres candidats républicains au niveau local. Si les gens votaient en fonction de leurs convictions, cela exigerait des hommes et des femmes politiques d’aller chercher cet électorat plutôt que de se dire « je suis démocrate donc je peux compter sur l’électorat noir et hispanique » ou « je suis Donald Trump, donc je peux compter sur les blancs ».

Hillary Clinton a eu plusieurs faiblesses en tant que candidate du parti démocrate, l’une d’entre elles était sa proximité avec la communauté noire, qu’elle pensait acquise à sa cause. Hillary a un peu trop compté là-dessus…

Depuis votre démission, vous n’avez pas été remplacé par un nouvel ambassadeur américain à Banguy en Centrafrique, Trump délaisse-t-il la diplomatie ?

J.H. : Je pense que quelque part Donald Trump s’en fiche complètement. Lorsque Rex Tillerson était à la tête du département d’État [ndlr équivalent du ministère des Affaires étrangères], il était foncièrement hostile à l’institution qu’il dirigeait et demandait des coupes budgétaires importantes. Normalement, le secrétaire d’État lutte pour son département mais lui non. Il ne nommait pas de nouvelles personnes, alors que le processus pour devenir ambassadeur est assez long. Ma nomination, pour être effective, a pris plus d’un an.

Mike Pompeo, ancien directeur de la CIA et aujourd’hui chef de la diplomatie, est peut-être plus fidèle au président et à sa politique que Tillerson l’avait été, mais il a l’intelligence de reconnaître que son département doit être financé pour fonctionner. Il a, assez vite, nommé de nouvelles personnes. Pour la Centrafrique, quelqu’un a été affecté à mon poste, mais à ce jour, ce diplomate n’a pas encore été confirmé par le Sénat.

À votre sens, quel est, le défi le plus important que les États-Unis doivent relever ?

J.H. : Un défi me vient tout de suite à l’esprit. Hélas, c’est un domaine dans lequel nous faisons très peu de progrès sous ce président. Il s’agit du changement climatique.

Je suis Californien et mon État, dernièrement, a été dévasté par des incendies. Ils n’ont pas été déclenchés par le réchauffement climatique, mais profondément aggravés par la sécheresse due à ce réchauffement. Maintenant, nous avons des ouragans, un climat extrême. Le gouvernement américain, celui de Trump, a publié le 23 novembre dernier, un rapport montrant que l’économie américaine est menacée par ce changement climatique. Pourtant, le président ironise sur ce réchauffement en prétextant qu’il fait froid à Washington. C’est incroyable !

Je me souviens de ma discussion avec le secrétaire d’État de la Marine américaine de passage en Centrafrique lorsque j’étais en poste. Il était profondément inquiet parce qu’il pensait à ce qui arriverait aux navires de guerre américains dans tous les ports si les mers montaient d’un mètre ou 50 cm : les ports seraient inondés.

Nous pouvons évoquer d’autres changements importants comme celui-ci. Heureusement, au niveau local et notamment dans mon État où le gouverneur est très progressiste, nous commençons déjà à y réfléchir et à agir. Mais au niveau du gouvernement fédéral, rien ne se fait et il faudra que Trump parte avant que les États-Unis puissent relever ce défi, qui est essentiel pour moi.

Jeff Hawkins aux Tribunes de la Presse de Bordeaux 2018 – IJBA – par Philippine Kauffmann et Laurianne Vofo Kana.

Propos recueillis par Philippine Kauffmann et Lauriane Vofo Kana, étudiantes en master professionnel de journalisme au sein de l’Institut de Journalisme de Bordeaux Aquitaine (IJBA), sous la supervision de Marie-Christine Lipani, maître de conférences habilitée à diriger les recherches à l’IJBA.

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