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Corée du Nord : le nucléaire comme pacte social

Dans une rue de Tokyo, le 7 février dernier, un passant devant l'annonce par la télévision nord-coréenne d'un tir de missile réussi. Kazuhiro Nogi / AFP

Le quatrième essai nucléaire nord-coréen du 6 janvier 2016, suivi par le lancement d’une fusée le 7 février, a pris la communauté internationale de court. Ces nouvelles provocations achèvent de vider de leur contenu le train de sanctions et les résolutions prises par le Conseil de Sécurité des Nations Unies depuis 2006 en réponse à la poursuite du programme d’armes de destruction massive nord-coréen. Ce énième coup porté à la stabilité régionale et au régime du Traité de Non Prolifération (TNP) soulève la question de la crédibilité et de l’efficacité des options disponibles pour sanctionner mais aussi dissuader de nouvelles velléités de contournement. Il amène également à s’interroger sur la place du nucléaire au sein du système de pouvoir nord-coréen.

Spirale d’irascibilité réciproque

La résilience du régime et sa capacité à mobiliser l’ensemble de ses ressources humaines, financières et technologiques pour se voir reconnaître le statut d’État nucléaire et se hisser au rang des superpuissances américaines et chinoises, montre que Pyongyang se soucie peu du coût politique et de l’impact diplomatique de son attitude de défi permanent. Sous embargo, ses avoirs bloqués, la Corée du Nord semble se contenter des revenus procurés par une économie grise à base de trafics, l’octroi de concessions à des intérêts chinois ou russes ou les fonds provenant des relations intercoréennes ou d’un tourisme encore limité. La décision sud-coréenne de répondre aux essais de Pyongyang par la fermeture du centre industriel de Kaesong, qui accueillait 53 000 travailleurs nord-coréens, repose sur l’argument – non solidement étayé il est vrai – que l’argent ainsi récolté par Pyongyang a été investi dans son programme nucléaire.

Pour autant, on ne voit guère l’option militaire fonctionner. Augmenter l’ampleur et la fréquence des entraînements conjoints américano-sud-coréens ne fera que raviver une spirale d’irascibilité réciproque dangereuse. Dans une Asie du Nord travaillée par des courants nationalistes et des querelles de souveraineté, une politique trop coercitive vis-à-vis de la Corée du Nord sera perçue par la Chine comme également dirigée contre elle. Si au plan international, la Chine ne peut que condamner les provocations de Pyongyang, au plan régional elle reste l’alliée objective du trublion nord-coréen contre un potentiel front États-Unis-Corée du Sud-Japon et la perspective d’une extension de la défense antimissile américaine dans la région.

Sur le fond, que nous révèle cet essai quant à la situation du régime de Kim Jong-un ? Celui-ci apparaît en position de force et cherche à forcer l’attention sur ses qualités de stratège et la puissance de la maîtrise technologique du pays. Maintenir ses concitoyens dans un climat de tensions permanentes est un artifice éprouvé du régime de Pyongyang pour assoir son contrôle et entretenir le niveau de propagande patriotique nécessaire à la cohésion interne. Climat guerrier, diabolisation de l’extérieur, propagande massive et exacerbation de la fierté nationale grâce au nucléaire formeraient ainsi les bases du nouveau contrat social nord-coréen redéfini par l’actuel jeune dirigeant.

Le nationalisme nucléaire, marqueur identitaire du régime

L’historique des essais nucléaires et balistiques souligne leur fonction d’« aide à la négociation » qui a longtemps fait parler de « chantage nucléaire » pour qualifier la posture prédatrice du régime nord-coréen. Dans les années 1990, les menaces du fondateur de la Corée du Nord, Kim Il Sung, de développer un programme au plutonium enrichi conduira à l’Accord Agréé de 1994. La Corée du Nord y gagnera une aide énergétique et la construction de deux réacteurs à usage civil. La création d’un consortium régional dédié à soutenir le projet – Korean Energy Development Organization (KEDO) – constituera, à cet égard, un modèle de coopération régionale original, partiellement repris par la structure des Pourparlers à Six en 2003.

Toutefois, les lenteurs de la construction et une méfiance grandissante vis-à-vis d’une administration Bush en guerre contre le terrorisme verront la Corée du Nord tenter un premier essai nucléaire en 2006 pour obtenir de nouvelles concessions. Le dirigeant d’alors, Kim Jong-il, négociera habilement une aide alimentaire et la livraison de fuel ainsi que la radiation de son pays de la liste des États soutenant le terrorisme.

L’essai de 2009 survient dans un contexte d’incertitude sur sa santé. Plus qu’une aide, que la communauté internationale n’est plus disposée à accorder sans garantie, cet essai vise à rassurer sur la continuité du pouvoir nord-coréen tandis que le fils cadet de Kim Jong-il est positionné comme le dauphin désigné. Le régime acceptera cependant de suspendre ses essais d’armes de destruction massive et ses activités d’enrichissement d’uranium en échange d’une aide alimentaire massive des États-Unis.

Kim Jong-un, fils et petit-fils de… thierry ehrmann/Flickr, CC BY

L’essai nucléaire de 2013 interrompt ce cycle : survenant après un tir de satellite infructueux en 2012, il a lieu dans le contexte d’une transition politique maîtrisée et confirme le virage dynastique du régime. Perçu comme un potentiel « réformateur » en raison de son éducation européenne, le jeune Kim Jong-un n’a pas tardé endosser la ligne idéologique de ses prédécesseurs, grand-père et père : autosuffisance ou « juche » et slogan de « L’Armée en Premier ».

Il y ajoute une dimension nucléaire inédite avec la théorie du « Byungjin » qui voit le développement parallèle de l’économie et du nucléaire, ces éléments constituant désormais la priorité et donc les identifiants clefs du régime. Inscrivant le fait nucléaire dans la nouvelle Constitution de 2012, Kim Jong-un définit une doctrine de dissuasion dont l’essentiel réside en la capacité à tenir à distance la « menace » américaine, dans une logique de faible au fort. Le territoire américain étant décrit comme à portée des missiles nord-coréens, l’arme nucléaire garantit la survie du système « kimilsungiste » face à toute tentation d’interventionnisme international.

Pas de Deng Xiao Ping nord-coréen

Dans ce contexte liant survie et légitimité, aucune dénucléarisation ne semble possible. La marge de manœuvre de la communauté internationale pour obtenir le démantèlement du programme nucléaire et balistique nord-coréen apparaît ténue et aucun scénario à « l’iranienne » probable.

Si le régime met autant l’accent sur le nucléaire, c’est que le développement économique n’est pas au rendez-vous. Les transferts d’équipements ou de matériels militaires, autrefois source abondante de devises, sont sous embargo maritime et aérien. Les cours du charbon et du fer ont chuté. Pourtant, la consommation intérieure se développe, quoique à faible échelle, en raison du phénomène de « marchés privés » tolérés par le régime comme une soupape palliant son impéritie et son contrôle idéologique sur la population.

À la frontière entre les deux Corée, côté sud, sur la route menant à la zone commerciale de Kaesong, le 11 février. Ed Jones/AFP

S’ils ne contrebalancent pas totalement les effets négatifs de faibles récoltes dues aux aléas climatiques, ils permettent l’accès à des biens de consommation courante, nourriture, médicaments et électroniques en provenance de Chine. Cette économie informelle, tout en permettant un espace de liberté, favorise la circulation de l’argent et l’émergence de nouveaux agents économiques répondant à des logiques entrepreneuriales. Pour autant nul Deng Xiao Ping nord-coréen n’a prononcé le célèbre « enrichissez-vous ! » qui a permis à la Chine des années 1990 de décoller lentement.

Vers une refondation idéologique ?

L’annonce de la tenue du VIIe Congrès du Parti des Travailleurs de Corée prévu en mai 2016 constitue un élément mobilisateur clef de la vie politique nord-coréenne. À cette occasion, le régime se doit d’exprimer sa puissance et d’étaler ses réussites, ce qu’expliqueraient les essais du début de l’année 2016 dont la théâtralité souligne assez la fonction rituelle de marquage symbolique. Le dernier Congrès s’est en effet tenu… en 1980, sous la houlette de Kim Il-sung, son fils et successeur Kim Jong-il n’ayant pas pris l’initiative d’en organiser un seul. Mettant l’Armée au cœur du régime, Kim Jong-il avait tout simplement relégué le Parti des Travailleurs de Corée.

Le retour en grâce potentiel du Parti à l’occasion de l’organisation d’un Congrès laisse entendre que Kim Jong-un, désormais certain de son assise, pourrait utiliser l’évènement comme une plate-forme idéologique pour redéfinir les bases du régime. Jusqu’à présent, il s’est aligné sur l’héritage doctrinal de ses prédécesseurs – père et grand-père – mais, au vu des purges touchant les hiérarques militaires, il semblerait que le mantra de « l’Armée en Premier » ait vécu.

Le futur Congrès sera-t-il le prélude à une mutation de la structure du pouvoir vers une classe de technocrates civils plus jeunes que la vieille garde militaire accrochée à ses privilèges économiques ? Un changement générationnel au sein de l’élite du pouvoir nord-coréen, illustrée par la relégation du Chef d’état-major et mentor Ri Hong-ho, dès l’arrivée au pouvoir de Kim Jong-un, est notable. Ceci ne nous dit pas si les membres du cabinet et ceux du Parti sont appelés à exercer plus de pouvoir, ni si une transition vers un leadership à la chinoise, plus collégial, est en cours.

Rajeunir n’est pas réformer, et il serait hâtif d’en conclure que le régime est entré dans une phase post-totalitaire. Ouvrir la porte à une technocratie dépoussiérée peut introduire des éléments de compétition et d’incertitude au sein du pouvoir. Par ailleurs, le dialogue diplomatique poursuivi avec la communauté internationale que l’on peut résumer par, d’un côté les sanctions, de l’autre les essais nucléaires ou balistiques, ne s’en trouvera pas amélioré.

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