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Recherches stratégiques

L’arme nucléaire au XXIᵉ siècle : les leçons du dernier essai nucléaire nord-coréen

Grande célébration sportive et patriotique à Pyongyang, ici en 2007. (Stephan) / Flickr, CC BY-SA

Intervenu le 6 janvier 2016, le nouvel essai nucléaire nord-coréen est passé un peu inaperçu en Europe dans une actualité internationale chargée. Pourtant, il s’agit bien d’un évènement majeur dont la portée va bien au-delà de la péninsule coréenne ou de l’Asie du Nord-Est. C’est le quatrième essai réalisé par la République populaire démocratique de Corée après les tirs des 9 octobre 2006, 25 mai 2009 et 12 février 2013. La Corée du Nord est le seul pays au monde à procéder à des essais d’armes nucléaires au 21e siècle.

En dépit des annonces tonitruantes des autorités nord-coréennes évoquant l’acquisition d’une capacité thermonucléaire (la « bombe H »), la faible puissance du tir suggère plutôt une bombe A. Au-delà des débats d’experts sur la réussite du tir, ce nouvel essai marque les progrès du régime vers l’acquisition d’une capacité nucléaire rudimentaire mais de plus en plus crédible. Il est possible d’en tirer quelques leçons allant bien au-delà du seul cas nord-coréen.

Les bonnes nouvelles sur le front iranien ont laissé croire que la prolifération nucléaire était un phénomène maîtrisé. L’essai nord-coréen nous rappelle que plusieurs pays, en dehors des cinq États nucléaires reconnus par le Traité de non-prolifération (TNP), nourrissent des ambitions nucléaires militaires actives. Outre la Corée du Nord qui teste armes nucléaires et missiles, l’Inde et le Pakistan poursuivent la montée en puissance de leurs arsenaux (après les essais de 1998), et la politique israélienne d’opacité nucléaire demeure.

Outre ces quatre pays non partis au TNP, plusieurs États, dont l’Iran, mènent activement des programmes de missiles balistiques tandis que d’autres en Extrême-Orient et au Moyen-Orient s’interrogent plus ou moins ouvertement sur le maintien de leur abstention atomique à moyen terme. Le monde nucléaire du XXe siècle avec cinq puissances nucléaires établies est désormais dépassé, nous sommes dans un jeu nucléaire à acteurs multiples – au moins neuf –, porteur de risques nouveaux dont l’hypothèse désormais crédible d’un conflit régional nucléarisé dans plusieurs zones de tension.

Traités, négociations, sanctions : la prolifération continue

La Corée du Nord a été signataire du Traité de non-prolifération entre 1985 et 2003 et s’en est retirée après avoir développé clandestinement un programme nucléaire. À l’occasion d’une première crise en 1993-94, elle s’était – dans un accord bilatéral avec les États-Unis – engagé à renoncer à ses recherches nucléaires en contrepartie d’une assistance économique, accord violé à son tour.

Enfin, les « pourparlers à six » associant les deux Corées, les États-Unis, la Chine, la Russie et le Japon n’ont pas abouti en dépit de plusieurs rounds de négociations. La Chine a, jusqu’ici, épargné à la Corée du Nord des sanctions internationales sérieuses en menaçant d’imposer son veto aux Nations unies, la résolution 1718 restant très en deçà du régime de sanction imposé à l’Iran par exemple, alors même qu’elle fut adoptée après un premier essai nucléaire.

In fine, la Corée du Nord paraît comme trop coupée de l’économie mondiale pour être réellement sensible aux sanctions et joue de sa faiblesse pour échapper aux pressions, Pékin en particulier redoutant davantage un effondrement du régime que la bombe nord-coréenne. Il s’agit donc du seul proliférateur ayant réussi en violation de ses engagements internationaux, à la différence de l’Irak, de la Libye, de la Syrie et de l’Iran qui, tous, ont dû renoncer sous pression à leurs ambitions nucléaires (même si le dossier iranien n’est pas clos). Ce « succès » nord-coréen montre qu’un proliférant résolu peut mener à bien ses projets nucléaires.

De possibles effets en cascade en Asie

Si elle révèle le basculement partiel des risques nucléaires vers l’Asie, il serait imprudent de traiter la prolifération coréenne comme une affaire sous-régionale. À travers le dossier nord-coréen, ce sont plusieurs piliers de l’ordre international qui sont en jeu. Il s’agit du seul pays au monde à tester des armes nucléaires au XXIe siècle. Pyongyang poursuit également depuis 1998 un programme actif de développement de missiles à longue portée. L’affirmation de ses capacités nucléaires et balistiques pourrait ensuite avoir à terme des effets en cascade en Asie : le débat nucléaire est désormais ouvert aussi bien à Tokyo qu’à Séoul.

L’affaire nord-coréenne a déjà fragilisé le TNP. En refusant de signer le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE), Pyongyang bloque également l’entrée en vigueur de ce traité, même si sept autres pays, parmi les 44 états détenteurs de technologie nucléaire requis par le texte du traité pour son entrée en vigueur, ne l’ont pas encore signé (Inde, Pakistan) ou ratifié (Chine, États-Unis, Israël, Iran, Égypte).

Enfin, Pyongyang qui a déjà largement contribué à la prolifération balistique par des exportations de missiles et de technologie, pourrait être un partenaire des ambitions nucléaires d’autres pays comme la destruction par un raid israélien d’un réacteur clandestin en Syrie en 2007 l’a déjà révélé.

Dans le centre de la capitale, le culte de la grandeur et de la personnalité. Stephan, CC BY-SA

Il est difficile de dissuader un acteur comme la Corée du Nord, compte tenu de la paranoïa d’un dirigeant imprévisible et indifférent au sort de sa population. Les difficultés sud-coréennes et américaines pour trouver le point d’équilibre entre dissuasion, sanctions et nécessité de maintenir le fil du dialogue face aux provocations répétées du régime de Pyongyang l’illustrent clairement.

Alors que les deux Corées ne sont pas officiellement sorties d’un état de guerre – l’accord de 1953 mettant fin à la Guerre de Corée n’est qu’un « cessez-le-feu » pas un accord de paix – et que la frontière entre les deux pays est l’une des plus militarisée au monde, il est impossible d’écarter une agression de Pyongyang conduisant à une escalade. Un conflit nucléaire, même régional, aurait une portée majeure alors que l’arme atomique n’a pas été employée depuis 1945.

Le dossier nord-coréen montre que les risques nucléaires sont multiples et rappelle qu’il n’est pas acquis que le XXIe siècle soit plus stable que les cinquante premières années de l’âge nucléaire.

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