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Recherches stratégiques

L’engagement militaire des Européens dans la lutte contre Daech

L'Allemagne a envoyé deux avions de type Tornado en Turquie pour mener des opérations de reconnaissance en Syrie. Carmen Jasperen/AFP

L’analyse de la manœuvre diplomatique de François Hollande après les attaques du 13 novembre s’est largement concentrée sur le double effort visant, d’une part, à convaincre l’administration Obama d’intensifier le rythme des opérations en Syrie, et, d’autre part, à rechercher les voies et moyens d’une difficile coordination avec la Russie. En revanche, la mobilisation de plusieurs partenaires européens de la France est passée presque inaperçue, alors qu’une inflexion importante s’est produite tant à Londres qu’à Berlin, sans toutefois entraîner l’ensemble des partenaires européens de la France.

Une contribution européenne plus que symbolique mais limitée

On notera en premier lieu que, depuis le début des opérations de la coalition internationale contre Daech, à l’été 2014, plusieurs États européens se sont engagés aux côtés des États-Unis. Outre la France, et avant même les attaques de Paris, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Belgique, le Danemark et l’Italie participent aux opérations aériennes de la coalition, ainsi que, parfois, à ses missions de formation, voire de forces spéciales.

L’Allemagne s’est, pour sa part, engagée tôt dans la formation et l’équipement des forces locales, tout comme le Portugal et l’Espagne. Aux côtés des États-Unis, de l’Australie, du Canada et des coalisés arabes, la contribution européenne est donc significative. Ce sont, au total, près de cent avions de combat européens qui sont engagés au Moyen-Orient, soit près du double des forces aériennes russes en Syrie. L’Europe s’affirme ainsi, une nouvelle fois, comme le premier partenaire des États-Unis dans la gestion des crises internationales.

Il convient cependant de relever, en second lieu, que cette contribution n’est pas une contribution de l’Union européenne en tant que telle, en dépit de l’invocation par la France de l’article 42-7 du traité de l’UE. Enfin, et bien que la crise au Levant emporte des conséquences majeures pour toute l’Europe, seuls six pays européens participent aux frappes en Irak et/ou en Syrie, la grande majorité des pays de l’UE s’abstenant de prendre une part active sur le terrain.

Le retour du Royaume-Uni

En 2014, Londres s’était engagée dans les opérations avec une certaine réticence, limitant explicitement (comme la France) le champ de ces opérations au territoire irakien et avec un déploiement limité en volume (huit avions Tornado) comparable à ceux du Danemark, des Pays-Bas ou de l’Australie.

Cette prudence manifeste tenait à un double souvenir douloureux : l’expérience traumatisante de l’engagement contesté de Tony Blair en Irak aux côtés de George Bush Jr. et, directement lié, le vote négatif de la Chambre des Communes en août 2013, refusant au Premier ministre, David Cameron, la possibilité de frapper en Syrie aux côtés des Américains et des Français après les attaques chimiques de Bachar al-Assad. Cet épisode a marqué symboliquement le repli britannique des affaires stratégiques et eu des conséquences bien plus larges puisque Washington et Paris renoncèrent ensuite à ces frappes annoncées.

Longtemps réticent à l’idée de subir à nouveau un tel affront parlementaire, ce n’est qu’après les attentats de Paris que David Cameron a tenté d’obtenir, cette fois avec succès, l’accord des Communes pour s’engager en Syrie. À l’occasion d’un débat parlementaire de haute tenue, marqué notamment par le discours remarquable du travailliste Hilary Benn, une large majorité transpartisane a autorisé les opérations britanniques en Syrie, par 397 voix contre 223, malgré l’opposition du leader travailliste Jeremy Corbyn.

Le vote britannique a immédiatement été suivi d’effet par le déploiement de 8 huit avions supplémentaires et des frappes en Syrie. Avec l’adoption de la National Security Strategy and Strategic Defence and Security Review de 2015, qui annonce une augmentation de l’effort de défense britannique, et cette décision, Londres entend s’affirmer à nouveau comme un acteur stratégique de premier rang après plusieurs années de repli. Le Royaume-Uni semble ainsi avoir largement tourné la page du traumatisme irakien et confirme son retour vers un interventionnisme prudent. Il s’agit là d’une bonne nouvelle pour Paris et Washington.

L’Allemagne au Moyen-Orient et dans le Sahel

Le débat à Berlin est tout aussi intéressant. Alors que l’Allemagne ne souscrit pas à la rhétorique de la « guerre » contre le terrorisme, la chancelière Merkel et le Bundestag ont cependant fait le choix de renforcer l’engagement allemand en allant au-delà du programme de formation et d’équipement de forces kurdes. D’une part, et même si cet engagement était déjà plus ou moins programmé, la Bundeswehr a confirmé sa participation accrue aux opérations dans la bande sahélienne.

D’autre part, et de manière plus inattendue, Berlin a renforcé sa présence au Proche-Orient par l’envoi d’avions de combat qui se limiteront à des missions de reconnaissance au profit de la coalition, d’un avion ravitailleur et d’un navire d’escorte pour le porte-avions Charles-de-Gaulle. Il s’agit là d’une évolution significative, l’Allemagne ayant toujours été plus que réticente à s’engager militairement au Moyen-Orient. Sa première participation à une mission internationale dans la région remonte seulement à 2006 avec l’engagement dans la composante navale de la FINUL (force de l’ONU au Liban). Berlin continue ainsi la transformation progressive de sa politique de sécurité.

Un engagement européen à géométrie très variable

On notera, pour conclure, que les États engagés appartiennent presque tous au même groupe restreint de pays (France, Royaume-Uni, Belgique, Danemark, Italie) qui ont participé à la campagne aérienne de l’OTAN contre la Libye en 2011, à une ou deux exceptions près. La Suède et la Norvège ont, en effet, participé à la campagne de 2011 mais ne sont pas parties prenantes aux opérations au Levant, à la différence des Pays-Bas et de l’Allemagne, absents de la campagne aérienne en Libye. D’autres, enfin, comme l’Irlande, ont annoncé après les attentats de Paris un engagement dans la zone sahélienne explicitement destiné à soulager les forces françaises.

Cela souligne bien les différences marquées entre pays, une large majorité des Européens ne participant pas à la coalition, même symboliquement. Outre les différences de priorités, l’absence des pays d’Europe centrale et orientale pouvant s’expliquer par la préoccupation de plus en plus marquée à l’égard de la politique russe depuis la crise ukrainienne. L’écart de capacités entre Européens s’est également creusé après des années de réduction des budgets de défense. Selon la formule américaine, la liste des alliés européens « able and willing » (ceux qui peuvent et qui veulent) semble bien courte, surtout s’agissant d’engagements exigeants au Moyen-Orient.

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