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Recherches stratégiques

Le double pari de l’accord nucléaire avec Téhéran

Après douze années de tractations épineuses, un accord a été signé à Vienne, le 14 juillet 2015. Gugganij/Wikimedias, CC BY

Dans le déluge de mauvaises nouvelles qui marque l’actualité du Moyen-Orient, l’accord nucléaire signé le 14 juillet 2015 entre l’Iran et les puissances du « EU 3 + 3 » (Allemagne, France, Royaume-Uni + Chine, États-Unis, Russie) est apparu comme l’un des rares développements positifs pour la région. Car, sur le papier, il met fin à l’une des principales crises de prolifération après douze années de négociations difficiles. Si les signataires ne se sont pas in fine vu attribuer le Prix Nobel de la Paix, l’enthousiasme des commentateurs a été d’autant plus spectaculaire que l’administration Obama a dû fournir un effort substantiel pour empêcher un Congrès réticent de bloquer sa mise en œuvre.

Le débat sur les conséquences de l'accord au Moyen-Orient est vif. Pour certains, l’accord mettrait ainsi non seulement un terme aux ambitions nucléaires iraniennes et aux sanctions internationales, mais il ouvrirait la voie à un rapprochement entre Téhéran et Washington, voire à un retournement d’alliance et à une vague d’investissements sans précédent dans un marché iranien présenté comme un nouvel eldorado. La poussière étant retombée, et à quelques semaines de l’entrée en vigueur vraisemblable de l’accord, il est possible d’examiner l’état du dossier afin de dresser un bilan beaucoup plus nuancé de l’accord et de ses suites espérées (ou redoutées).

Un compromis vulnérable

S’il est sans doute optimiste d’affirmer que l’accord de Vienne, connu sous le nom de Joint Comprehensive Plan of Action, a « réglé » définitivement le dossier, on peut en revanche considérer que le texte, par son ambition réelle et sa précision inespérée, permet un gel ou un plafonnement vérifié de l’essentiel des activités nucléaires sensibles de la République islamique. Il rend extrêmement difficile l’accès de l’Iran à la bombe nucléaire pendant la durée de l’accord (dix à quinze ans, suivant les dispositions).

Ce compromis n’en est pas moins vulnérable. À plusieurs étapes du processus, et sans doute très rapidement, la bonne foi des parties sera testée. Le démantèlement effectif, selon un calendrier contraint, de certaines installations sensibles n’est pas sans aléas, techniques ou politiques, qui seront autant d’occasions de vérifier dans la durée l’engagement iranien.

Par ailleurs, la levée des sanctions économiques occidentales sera compliquée et pourrait prendre du retard, alors même que les opérateurs économiques estiment qu’un risque juridique important demeure compte tenu de la complexité du régime de sanctions américain en particulier. Cet état de fait provoque déjà des frustrations à Téhéran compte tenu des perceptions iraniennes. De multiples crises d’importance imprévisible se profilent donc dans la mise en œuvre de l’accord qui, même en misant sur la bonne volonté des uns et des autres, sera sans nul doute un exercice difficile.

La centrale d’Arak : l’une des pièces maîtresses du programme nucléaire iranien. Nanking 2012/Wikimedia, CC BY-SA

Enfin, sur le plan politique, il est manifeste qu’une partie du régime à Téhéran n’a accepté l’accord qu’avec une grande réticence, comme en témoigne la poursuite active et affichée du programme de missiles balistiques en contradiction avec les résolutions des Nations unies. À Washington, le vote très partisan du Congrès et l’opposition résolue des Républicains, suggère que la souplesse dont a su faire preuve l’administration Obama n’est pas garantie pour l’avenir, même si l’idée d’une mise en cause immédiate par le prochain président américain semble désormais moins probable.

L’accord est donc, pour toutes les parties, un pari sur l’avenir, pari peut-être raisonnable en l’absence d’alternative claire à ce compromis, mais qui suppose dans la durée un engagement sans faille et une vigilance permanente. Dans un scénario optimiste, il marque la fin effective des ambitions nucléaires militaires iraniennes pour un avenir prévisible. Dans un scénario pessimiste, l’accord se terminera sur une crise majeure qui rejoindra la liste des expériences de « déprolifération » – imposées ou négociées – de l’Irak ou de la Corée du Nord, ramenant la communauté internationale au choix impossible entre la guerre et la bombe.

La transformation du Moyen-Orient attendra

À ceux qui rêvaient d’un nouveau Moyen-Orient et d’un réchauffement des relations irano-américaines à la faveur de l’accord nucléaire, le Guide suprême, l’Ayatollah Khamenei a immédiatement rappelé que l’accord ne valait que pour le dossier nucléaire. L’alliance de circonstances qui a semblé s’esquisser pour lutter contre l’expansion de Daech en Irak n’a pas eu de suites tant les positions de l’Iran et des Occidentaux paraissent éloignées sur le dossier syrien. La participation de l’Iran, pour la première fois, aux pourparlers de Vienne sur la Syrie ne semble pas, pour le moment, avoir donné lieu à une évolution sensible des positions des uns et des autres, tant Téhéran apparaît, peut-être plus encore que la Russie, comme un soutien du régime Assad.

L’accord nucléaire a renforcé l’inquiétude stratégique des alliés des États-Unis dans la région. Washington se trouve contraint de rassurer des partenaires anxieux de voir Téhéran récupérer à terme une force de frappe militaire et financière permettant au régime de soutenir ses différents clients (régime de Bachar al-Assad, Hezbollah, milices chiites irakiennes) dans le contexte régional de conflits sectaires. De fait, l’engagement iranien en Syrie et en Irak nourrit la propagande de Daech.

Sans une évolution radicale du régime à Téhéran, il semble ainsi peu probable de voir cette transformation prendre forme. La nature révolutionnaire de la République islamique n’est fondamentalement pas compatible avec un tel rapprochement.

Il paraît donc, en définitive, important d’évaluer l’accord nucléaire sur ses mérites propres, non négligeables, et de veiller à sa bonne mise en œuvre plutôt que d’en faire un outil illusoire de transformation du Moyen-Orient. La confiance ne se décrète pas, elle se construit jour après jour. De ce point de vue, l’accord de Vienne est un double pari : sur le succès des mesures de contrôle de la prolifération et sur la transformation à terme du régime iranien. Quand ces deux conditions seront réunies, il sera temps de parler de la transformation du Moyen-Orient.

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