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Covid-19 : une uberisation des fake news

Les fake news sur de la Covid-19 se diffusent à grande vitesse. Pexels, CC BY-NC-SA

La pandémie actuelle s’accompagne d’une infodémie de fake news. De nouvelles fake news apparaissent tous les jours et inondent tous les modes de communication. Tout comme le virus, les théories du complot et les fausses informations au sujet de la Covid-19 se répandent de manière virale dans les médias, sur les réseaux sociaux et par le bouche-à-oreille. Elles sont tellement nombreuses, élaborées et persistantes qu’il est devenu extrêmement difficile de s’en protéger. Le seul moyen semble être, comme pour la maladie, de s’isoler totalement.

Un phénomène grandissant

Certes, le phénomène de la désinformation n’est pas nouveau, mais depuis quelques mois, il prend une ampleur inégalée et s’amplifie à la fois en volume et en impact, non seulement en raison du contexte extraordinaire, mais également parce que les technologies de l’information et de la communication n’ont jamais été aussi accessibles et puissantes. Les théories les plus folles circulent, sont reprises par des personnalités influentes et finissent par convaincre même les moins crédules.

« Covid-19 : une vague d’infodémie » (Désintox, ARTE).

Les théories complotistes institutionnelles et malveillantes sont reprises par ceux qui y croient, qui les interprètent, les font évoluer, les combinent, et les relaient sous des formes différentes. Il s’agit d’une uberisation des fake news ou chacun en devient à la fois consommateur, producteur et diffuseur. Dans un monde où tout le monde se prend pour un expert et est victime de biais cognitifs, chacun pense qu’il est de son devoir d’alerter les autres sur ce qu’il a découvert ou compris et que des forces occultes nous cacheraient.

Des conditions favorables à la désinformation

Une telle quantité d’information est produite et diffusée chaque jour concernant l’épidémie qu’il est difficile de tout analyser et de discerner le vrai du faux. C’est d’autant plus difficile que des idées totalement contradictoires sont promues par des experts ou pseudo-experts, qui s’appuient sur des éléments partiels ou partiellement vrais, mais paraissent maîtriser leur sujet. Il en ressort des théories et des recommandations différentes, incompatibles ou même opposées qui déconcertent la population et font perdre la confiance.

Les revirements des autorités, qui semblent toujours dépassées par les événements, ont créé un climat propice à la colère et à la contestation. Que ce soit sur l’efficacité du confinement, du port du masque, de certains médicaments, ou même des tests, le fait d’entendre tout et son contraire en provenance des mêmes sources institutionnelles à quelques semaines d’écart ne facilite pas les choses. C’est le cas pour les masques, jugés totalement inutiles et même contreproductifs en termes de protection pour finir par devenir obligatoires pratiquement partout et tout le temps.

coronavirus : d’abord jugé « inutile », comment le gouvernement a rendu le masque « obligatoire ».

Un autre facteur important est la mauvaise utilisation, volontaire ou involontaire, des chiffres, des graphiques et des statistiques par les politiques et les médias. Leurs messages s’en trouvent brouillés et ils ouvrent la porte à des manipulations et à des détournements. Comparer le nombre de nouveaux cas entre des périodes où il n’y avait pas de tests et d’autres où ils sont massifs est par exemple complètement absurde, tout comme comparer les courbes de pays où les situations sont radicalement différentes.

La pédagogie fait défaut à ceux qui devraient expliquer la situation et rassurer plutôt que paniquer par un discours anxiogène et la diffusion d’informations non fiables. La recherche du buzz, la spectacularisation, le sensationnalisme, l’instrumentalisation de la Covid-19 à des fins commerciales ou politiques produisent de la méfiance et décrédibilisent ceux qui prétendent détenir la vérité.

« Macron, arrête tes fake news »
Rassemblement contre le projet du gouvernement français de réformer la SNCF, le 24 avril 2018 à Paris. Alain Jocard/AFP

Dans ce contexte de confusion et de manipulation généralisées, la pandémie a un impact important et souvent tragique dans la vie de presque chaque être humain. En plus du drame qu’ont vécu les personnes qui ont perdu un ou plusieurs proches à cause de la maladie, beaucoup d’autres ont perdu leur emploi, fait faillite, été séparés de leur famille pendant des mois, vécu seul, ou été terrorisés à l’idée d’être contaminés. La tristesse, la colère, le deuil et le sentiment d’injustice renforcent la volonté de trouver des coupables et de leur attribuer une motivation, même si celle-ci peut paraître totalement improbable.

Des fake news nombreuses et puissantes

Certaines fake news concernant le coronavirus sont assez farfelues, mais pourtant très tenaces, comme celles qui prétendent qu’il se diffuse par les moustiques ou via la 5G, qu’il a été créé par Bill Gates pour éliminer les pauvres, qu’on peut s’en protéger en se lavant les mains avec de l’urine d’enfant, ou qu’on peut le soigner en mangeant des bananes, en allant au sauna, en fumant, en buvant de l’alcool concentré, ou en prenant de la cocaïne. Le fait que Donald Trump suggère comme solutions de s’exposer à une lumière très puissante ou de s’injecter du détergent amène à ce que même ces fausses informations peu crédibles se diffusent rapidement et durablement.

D’autres fake news paraissent beaucoup plus plausibles et suscitent l’adhésion d’une part importante de la population. Ainsi, 26 % des Français et 29 % des Américains penseraient que le coronavirus a été développé dans un laboratoire. Une volonté de la Chine de déstabiliser volontairement l’économie mondiale à son profit est également suspectée par beaucoup d’internautes qui mettent en avant le régime autoritaire du pays et l’animosité grandissante avec les États-Unis. La volonté d’une société secrète de réduire la population mondiale pour préserver les ressources limitées de la Terre est une autre théorie très populaire.

Le coronavirus est-il sorti d’un laboratoire ? La thèse de l’accident.

Plus d’un quart des vidéos les plus regardées sur YouTube contiendraient des informations trompeuses et sont partagées non pas de manière humoristique ou ironique, mais bien pour révéler aux autres ce qui est considéré comme la vérité.

La censure de certains sites à l’effet complètement inverse de celui qui est recherché en donnant de l’importance à des théories qui seraient restées confidentielles et en confirmant aux complotistes que des puissances dominatrices abusent de leur pouvoir et tentent de dissimuler la vérité à la population. Cette censure sélective ne fait donc que donner aux éléments supprimés des audiences inespérées sur d’autres supports, et rajoute à la suspicion généralisée au lieu de l’atténuer.

À chacun sa réalité alternative ?

Les complotistes qui l’étaient déjà avant le virus utilisent celui-ci pour confirmer des théories auxquelles ils croyaient déjà avant. Ils développent donc de nouvelles fausses théories liées au virus pour confirmer d’autres fausses théories sur les reptiliens, les vaccins, certaines nations menaçantes ou des forces politiques maléfiques. Peu à peu, les gens s’enferment dans des bulles cognitives où ils n’accèdent plus qu’à des informations qui viennent confirmer leurs opinions, et qui les isolent des approches alternatives. Ils combinent les fake news pour qu’elles se renforcent les unes les autres et créent ainsi un vaste écosystème cohérent en lui-même et donc plus difficile à démontrer comme faux. Des infox prouvent la véracité d’autres infox qui se valident les unes les autres dans un enchevêtrement inextricable.

Bulles cognitives : comment les algorithmes nous enferment.

Pour chaque information, il est nécessaire de procéder à un décryptage, à un fact-checking et à une évaluation des intentions et des intérêts associés, ce qui est impossible à faire systématiquement. Il devient donc très compliqué de discuter avec des complotistes pour leur expliquer qu’ils se trompent. Leur pouvoir de convaincre d’autres personnes s’en trouve renforcé. Par ailleurs, ils sont très attachés à leurs idées qui font parties de leur identité et s’attaquer à ce en quoi ils croient peut très vite être pris pour une attaque personnelle et à une posture arrogante ou méprisante.

Les personnes qui déclenchent des fake news ont des profils divers et des motivations variées. Ils peuvent être animés par l’humour, l’appât du gain, la manipulation des esprits, le buzz, ou la volonté de protéger ses proches. Tous instrumentalisent l’information dans un but détourné relativement bien dissimulé. Cependant, le discours complotiste ne se réduit pas à l’expression plus ou moins ridicule d’une pensée diabolisante, mais peut aussi être l’expression d’une vision critique et le révélateur de profonds dysfonctionnements.

Chacun se retrouve à vivre dans une réalité alternative fondée sur des opinions et des croyances individuelles en des faits non vérifiés et souvent non vérifiables. Cette réalité est donc constituée d’une combinaison d’informations considérées comme vraies qui est différente et varie selon les sujets pour chaque personne.

Pour ce qui est de la Covid-19, chacun aura sa propre vérité concernant l’existence du virus, son origine, ses remèdes, son nombre de victimes, ou les moyens de s’en protéger comme la quarantaine ou le masque. Rien que pour ce sujet, on se retrouve donc avec des centaines de combinaisons de fake news possibles et autant de mondes parallèles où chacun croit être dans la réalité alors qu’il n’est que dans celle qu’il s’est créée.

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