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trois hommes derrière un drone qui décolle au-dessus d'une forêt
Lancement de drone au-dessus de la forêt congolaise en vue d’identifier les espèces d’arbres. C. Doumenge/CIRAD-CEA-Sunbirds-IFO-Université Marien Ngouabi, Author provided (no reuse)

Dans les forêts tropicales, des observatoires pour évaluer l’impact de l’exploitation du bois

Dès l’essor de la foresterie tropicale « moderne », à partir du milieu du XXe siècle, les forestiers des tropiques ont expérimenté des pratiques sylvicoles nouvelles. L’enjeu : suivre la dynamique forestière afin de comprendre les effets de leurs pratiques sur les peuplements forestiers tropicaux. Dès les années 1970, le Centre technique forestier tropical (CTFT) – désormais intégré dans différentes unités de recherche du Cirad – a établi d’ambitieux dispositifs de suivi : des parcelles d’inventaires couvrant plusieurs dizaines d’hectares où tous les arbres de plus de 10 cm de diamètre à hauteur de poitrine sont localisés, identifiés et mesurés régulièrement.

Certains de ces systèmes de suivi sont encore actifs aujourd’hui, par exemple : dans la forêt de la Téné en Côte d’Ivoire, mis en place en 1976, à M’baïki en République centrafricaine en 1982, à Paracou en Guyane en 1984, dans l’Est Kalimantan en Indonésie (projet STREK) en 1989, à Malinau en Indonésie en 1999 et enfin, en Amazonie au Brésil avec le projet Ecosilva en 2004.

Tous ont été implémentés en partenariat avec les instituts de recherche forestière des pays concernés, qui ont assuré le suivi des parcelles dans le temps. En plus de ces dispositifs, d’autres instituts, comme l’Embrapa au Brésil ou le FRIM en Malaisie, ont eu la même idée.

Depuis, le réseau Tropical managed Forest Observatory (TmFO) a été structuré pour fédérer tous les dispositifs de suivi de la dynamique forestière après exploitation installés en forêt tropicale. Il réunit aujourd’hui 30 sites expérimentaux en Amazonie, en Afrique centrale et de l’Ouest et en Asie du Sud-Est (Malaisie, Indonésie), un collectif d’une cinquantaine de chercheurs et techniciens appartenant à 25 institutions de recherche et d’université.

La particularité de ces dispositifs est d’être les seuls au monde à suivre des forêts aménagées pour l’exploitation du bois d’œuvre, dans l’objectif d’avoir une vision régionale et globale de l’impact à long terme des pratiques sylvicoles, y compris de l’exploitation du bois.

L’importance de suivre les forêts aménagées

homme sur une échelle appuyée sur un arbre dans une forêt
Mesure de la circonférence d’un arbre dans une parcelle du dispositif Ecosilva en Amazonie brésilienne. Plinio Sist, Fourni par l'auteur

Les forêts aménagées, exploitées pour le bois d’œuvre, occupent une place importante dans l’économie de nombreux pays tropicaux. Elles sont créatrices de revenus et d’emplois, ainsi que de recettes pour l’État à travers la taxation des produits forestiers et les contrats de concession. Les forêts tropicales naturelles sont de loin les principales sources de bois d’œuvre, les plantations pour la production de bois d’œuvre étant encore très peu répandues en région tropicale.

Depuis plus de cinquante ans, ces forêts assurent donc la demande du marché qui ne cesse de croître. Comprendre leur capacité à reconstituer le stock de bois prélevé tout en gardant leur fonctionnalité et leurs principales caractéristiques écologiques est essentiel et ne peut se faire sans suivi à long terme de la dynamique forestière.

À l’origine, ces dispositifs ont surtout été conçus pour élaborer des pratiques sylvicoles aptes à stimuler la productivité de bois d’œuvre, sans trop d’égard pour les autres fonctions des forêts naturelles. Au cours des dernières décennies néanmoins, la perception du rôle des forêts a évolué, glissant d’une vision focalisée sur la production à une vision plus globale de conservation de la biodiversité et de fourniture de services écosystémiques.

La nécessité de trouver un équilibre entre production, conservation de la biodiversité et fonctionnement de ces forêts s’est alors imposée.

Évaluer l’impact de l’exploitation du bois

Dans un contexte de changement climatique, où les forêts jouent un rôle essentiel de puits de carbone, il est apparu urgent, dès les années 2000, de pouvoir estimer le temps nécessaire à une forêt ayant subi une exploitation sélective pour récupérer sa capacité à stocker le carbone.

Si ce n’était pas leur but initial, ces dispositifs se sont avérés cruciaux pour étudier, par exemple, les stocks de carbone/biomasse. Des études rendues possibles par le suivi régulier de chaque arbre à partir d’un diamètre de 10 ou 20 cm, sur des surfaces allant jusqu’à des dizaines d’hectares et par la connaissance détaillée des pratiques d’exploitation ou sylvicoles, notamment l’intensité d’exploitation (exprimée en nombre d’arbres à l’hectare ou en volume de bois extrait) et son impact immédiat (dégâts d’exploitation).

Les données accumulées pendant plusieurs décennies ont ainsi permis d’évaluer de façon précise les capacités de reconstitution des forêts aménagées, la réponse des forêts à l’exploitation en matière de volume de bois d’œuvre, de stock de carbone/biomasse et, dans une moindre mesure, l’impact sur la richesse et la composition de la biodiversité.


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Pratiques sylvicoles et changement climatique

Ces données ont aussi aidé à développer des modèles de simulation et cela de façon d’autant plus valide que les données ont été récoltées sur le long terme. Ces modèles ont permis de constater que la plupart des règles d’aménagement préconisées par les législations forestières des pays tropicaux n’assurent pas une production durable de bois d’œuvre, et qu’il est urgent de revoir ces règles, notamment en allongeant la durée des cycles de rotation et en réduisant de façon significative les intensités d’exploitation.

Ces résultats révèlent également que les forêts naturelles ne pourront pas, à elles seules, répondre à la demande croissante de bois de la part des marchés. Il faut rapidement développer d’autres sources de production de bois d’œuvre à travers la promotion d’une sylviculture tropicale plus diversifiée. Celle-ci ne doit pas se limiter aux forêts naturelles, mais au contraire chercher à valoriser les forêts dites dégradées, les forêts secondaires, les plantations pluri-spécifiques (composées de plusieurs essences d’arbre) et enfin les agroforêts.

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Les dispositifs de suivi de la dynamique des forêts aménagées demeurent essentiels pour comprendre leur résilience aux pratiques sylvicoles dans un contexte de changement climatique, ce dernier créant des conditions environnementales variables et très différentes de celles existantes lors de l’installation de ces parcelles.

Il convient donc de pérenniser ces outils de suivi, ce qui exige le financement des campagnes de mesures ainsi que des investissements dans des instruments de mesure des conditions environnementales et climatiques. Par comparaison avec les dispositifs de suivi européens, ceux des régions tropicales sont encore très peu équipés.

Télédétection pour modéliser l’évolution des forêts

Pour modéliser dans l’espace à l’échelle régionale – voire continentale – ce qui est appris et mesuré au sein des sites expérimentaux, la télédétection devient indispensable. Elle permet d’avoir une représentation plus large des phénomènes analysés et de mieux évaluer les conséquences des changements environnementaux.

À cet égard, les sites comme ceux de TmFO permettent de mieux comprendre les signaux radiométriques des forêts exploitées et en cours de régénération, en donnant des points de calibrage et des zones de références indispensables pour relier le terrain aux images satellites ou de drones. Ils sont inclus dans un réseau de super-sites identifiés pour la calibration de nouveaux satellites dédiés au suivi de la biomasse et de la structure forestière.

Alors qu’un gros travail est entrepris actuellement pour caractériser les forêts dégradées à l’échelle de la planète, les informations obtenues sur le terrain sont indispensables pour relier physiquement ce qui se passe au sol avec ce qui est mesuré en altitude. Réunies, ces données permettent d’ajuster les modèles de croissance, de régénération et de stockage de carbone à des échelles beaucoup plus larges, au-delà des sites eux-mêmes.


Le 5 juin 1984 naissait le Cirad fondé par décret. Depuis 40 ans, les scientifiques du Cirad partagent et co-construisent avec les pays du Sud des connaissances et des solutions innovantes pour préserver la biodiversité, la santé végétale et animale, et rendre ainsi les systèmes agricoles et alimentaires plus durables et résilients face aux changements globaux.

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