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Une femme en fauteuil roulant circule dans une rampe pour personne à mobilité réduite
shutterstock. (Shutterstock)

Dans sa future stratégie pour l’emploi des personnes en situation de handicap, Québec doit prioriser l’inclusion

Avez-vous l’impression que les personnes en situation de handicap sont invisibles sur le marché de l’emploi ?

Alors que Québec élabore actuellement sa prochaine Stratégie pour l’intégration et le maintien en emploi des personnes handicapées, il y a matière à réflexion.

Certes, des progrès ont été accomplis au cours des dernières décennies. Ils s’inscrivent dans la lignée de l’adoption de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées (CDPH), qui prévoit que les États signataires doivent promouvoir et protéger les droits de ces personnes, y compris celui d’occuper un emploi sans être discriminées.

Cependant, deux populations se trouvent encore particulièrement exclues du marché du travail dans la province : les personnes autistes et celles ayant une déficience intellectuelle.

Les chiffres sont clairs : selon le recensement de 2017, il y a un écart de 20,6 points entre les taux d’emploi des personnes avec et sans handicap (54,7 % VS 75,3 %).

En tant qu’étudiante à la maîtrise en politique publique à l’Université Carleton et en tant que candidat au doctorat en travail social à l’Université McGill, nous nous sommes questionnés sur les racines de cet écart dans les taux d’emploi pour les personnes en situation de handicap au Québec, et particulièrement ceux des personnes autistes ou ayant une déficience intellectuelle. En analysant les politiques publiques en place et leur mise en œuvre sur le terrain, il apparait clair que le Québec a besoin d’un plan ambitieux pour sa prochaine Stratégie.

Un jeune homme ayant une trisomie remplit des sacs de victuailles, dans un restaurant
Des progrès ont été réalisés pour l’intégration au marché du travail des personnes en situation de handicap. Mais ces progrès ont été beaucoup moins grands pour les personnes autistes et les personnes ayant une déficience intellectuelle. (Shutterstock)

Des politiques publiques peu ambitieuses

Officiellement, le Québec dispose depuis 2019 d’une Stratégie nationale pour l’intégration et le maintien en emploi des personnes handicapées. Son application est confiée à plusieurs ministères et organismes mandatés par le gouvernement du Québec. Malheureusement, malgré ses objectifs, elle ne semble pas avoir réussi à augmenter substantiellement le taux d’emploi des personnes en situation de handicap.

L’impact limité de la Stratégie peut s’expliquer par son relatif manque d’ambition. En effet, les meilleures pratiques reconnues en matière d’emploi pour les personnes en situation de handicap mettent l’accent sur la création d’une approche individualisée, ainsi que sur la mise en place d’un soutien continu en entreprise et sur la promotion de l’embauche inclusive. On parle ici du fait d’être dans un milieu de travail avec des personnes non handicapées, mais en ayant accès aux mêmes avantages sociaux et aux accommodements raisonnables nécessaires. Or, la province a choisi une autre voie.

Plutôt que de prioriser l’embauche inclusive, le gouvernement du Québec continue de financer modestement des mesures financières visant à compenser les employeurs pour la « perte de productivité » reliée à l’emploi des travailleuses et travailleurs en situation de handicap. Il mène également des campagnes de promotion d’une journée pour montrer aux personnes ce à quoi ressemble un milieu de travail, sans pour autant leur donner la chance d’y demeurer (notamment par le biais du controversé programme DuoEmploi). Ces mesures semblent bien insuffisantes, compte tenu des résultats limités de l’actuelle Stratégie.

Un manque d’intérêt du gouvernement ?

La Stratégie ne contient que peu de mesures de soutien et d’accompagnement en entreprise. De plus, il n’y a pratiquement aucune mesure structurante liée à la transition entre l’école et la vie active pour les jeunes adultes en situation de handicap. L’état des lieux est tel que le Vérificateur général du Québec a tiré la sonnette d’alarme en 2020.

Par ailleurs, les programmes spécifiques de soutien à l’inclusion en milieu de travail pour les personnes autistes ou ayant une déficience intellectuelle sont assez limités dans la province. En effet, le Québec continue de financer massivement les programmes de plateaux de travail ou de stages au sein desquels ces personnes sont ségréguées et effectuent des tâches répétitives, souvent sans être payées. Cela a d’ailleurs fait l’objet de vifs débats lors de l’étude détaillée des crédits du ministère de la Santé et des Services sociaux, mais aussi de ceux du ministère de l’Emploi en avril.

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Cette pratique a d’ailleurs récemment valu au Canada d’être blâmé par Tomoya Obokata, le Rapporteur spécial des Nations unies sur les formes contemporaines d’esclavage. Même dans le milieu communautaire, peu de programmes menant à l’embauche en entreprise semblent exister.


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La situation est telle que même lorsque des éléments positifs de politique publique sont présents, leur mise en œuvre laisse trop souvent à désirer, par manque de financement ou de coordination interministérielle. Si le milieu politique a commencé à prendre la mesure du problème, il reste presque tout à faire.

Promouvoir un virage majeur

L’état de la situation suggère que des changements majeurs sont nécessaires pour aligner les politiques publiques avec les meilleures pratiques et pour assurer une véritable inclusion en milieu de travail pour les personnes en situation de handicap, et particulièrement les autistes ou celles ayant une déficience intellectuelle.

La mise à jour de la Stratégie pour l’intégration et le maintien en emploi des personnes handicapées constitue une occasion favorable pour le Québec, qui pourrait en profiter afin de se conformer aux principes énoncés à l’article 27 de la CDPH. Il prévoit notamment le droit de travailler dans des conditions d’égalité, avec les mesures de soutien nécessaires, sans vivre de discrimination. Ainsi, l’accès à un travail permettant un niveau de vie décent, favorisant l’inclusion sociale et la participation économique – dans la collectivité –, avec les formes de soutien nécessaires, devrait être au cœur de la future Stratégie.

Pour garantir que la future Stratégie atteigne ces objectifs, le gouvernement devrait collaborer avec les organisations de personnes en situation de handicap (et les personnes elles-mêmes), les employeurs potentiels et le milieu de la recherche. La Stratégie devrait être fondée sur des données probantes et être élaborée de façon transparente afin de faire l’objet d’un large consensus.

Malgré le contexte de restrictions budgétaires, la nouvelle Stratégie devrait être accompagnée d’un financement permettant son application sur le terrain. De nombreuses organisations, notamment communautaires, jouent un rôle important dans l’écosystème de l’emploi pour les personnes en situation de handicap, sans pour autant recevoir de financement public. N’est-il pas temps d’enfin reconnaître leur apport et de leur donner les moyens de leurs ambitions ?

Nous croyons que chaque individu, quel que soit son handicap, a la possibilité de réaliser son plein potentiel. Ce n’est qu’à ce moment-là que nous pourrons vraiment dire que nous sommes une société véritablement inclusive et équitable.

Offrir à chaque personne au Québec, quel que soit son handicap, les moyens de sa pleine réalisation ne devrait-il pas être la priorité d’une société qui se définit volontiers comme étant inclusive et équitable ?


Merci à Daniel Béland, professeur au Département de science politique et à Lucyna Lach, professeure associée à l’École de travail social de l’Université McGill pour leur contribution à cet article.

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