Menu Close
Donald Trump dans une salle d’audience du tribunal de New York pendant la sélection du jury de son procès dans l’affaire Stormy Daniels. Jabin Botsford/Pool Photo via AP

Donald Trump pourra-t-il tourner son procès à son avantage ?

Le premier procès au pénal de Donald Trump, accusé par l’État de New York d’avoir versé des pots-de-vin à une actrice de films pour adultes, et d’avoir falsifié des documents comptables afin de dissimuler la transaction, est entré dans sa deuxième semaine. À ce stade, le jury a été sélectionné, et les deux parties ont présenté leurs arguments.

The Conversation U.S. a interrogé Tim Bakken, ancien procureur de New York et aujourd’hui juriste enseignant à West Point, et Karrin Vasby Anderson, experte en communication politique à l’Université d’État du Colorado, pour connaître les thèmes dominants de cette séquence judiciaire, à la fois dans la salle d’audience et à l’extérieur de celle-ci.

Le procès se déroule-t-il normalement ?

Bakken : Ce procès semble ordinaire, mais en réalité il est tout sauf ordinaire si l’on se penche sur certains détails. La première chose qui m’a frappé, c’est que le premier jour, lorsque le juge Juan Merchan a interrogé 96 jurés, cinquante d’entre eux ont déclaré qu’ils ne pouvaient pas être impartiaux envers Donald Trump. Et au troisième jour, 48 des 96 jurés ont dit la même chose.

Cela n’augure rien de bon pour un défendeur dans une juridiction où les Démocrates sont neuf fois plus nombreux que les Républicains.

En outre, le juge n’a pas pris de mesures pour atténuer la difficulté éventuelle que représente un tel antagonisme. Si 50 personnes sur 96 levaient la main pour dire qu’elles ne pouvaient pas être équitables en raison de la couleur de la peau de l’accusé, cela poserait un problème. Lors d’un procès, ce problème est résolu en permettant à la défense de poser davantage de questions aux jurés et d’obtenir davantage de récusations péremptoires, ce qui lui permet d’écarter un juré sans avoir à en expliquer les raisons.

10 jurés ont déjà été nommés, parce qu’il s’agit d’un procès pour délit mineur. Dans d’autres affaires à New York, par exemple dans le cas d’un meurtre, le nombre de jurés monte jusqu’à 20. Le juge a le pouvoir discrétionnaire d’augmenter ce nombre. Il aurait pu le faire dans cette affaire, mais il ne l’a pas fait.

Représentation artistique d’une scène de tribunal
Un croquis de la salle d’audience représente le juge Juan Merchan, Donald Trump, des jurés potentiels et d’autres membres du personnel judiciaire et de la cour. Christine Cornell via AP Pool

Le juge procède-t-il rapidement dans cette affaire ?

Bakken : Le juge Merchan a dit à Trump que celui-ci pourrait ne pas être en mesure d’assister à la remise du diplôme de fin d’études secondaires de son fils Barron, prévue pour le 17 mai. Cela indique que le juge avance à grands pas.

Mais à New York, il est fréquent que, certains jours – le vendredi, par exemple, lorsque l’accusé, l’avocat de la défense ou le procureur est musulman ou juif –, le juge ordonne le report de la totalité ou d’une partie d’une journée d’audience.

Je pense que le juge laissera Trump assister à la remise de diplômes de son fils, afin de ne pas donner l’impression qu’il le traite de façon différente d’un autre accusé

Aujourd’hui, quels sont les aspects les plus importants de ce procès que le grand public doit bien comprendre ?

Anderson : Pour l’observateur occasionnel, qui pourrait se demander si le fait d’être jugé pour un crime nuit à la campagne présidentielle de Trump, il est important de comprendre que l’accusé utilise stratégiquement le procès à son avantage.

Les électeurs qui suivent le procès dans les médias grand public entendent les experts expliquer que les procédures judiciaires se déroulent relativement normalement, alors même que les circonstances de cette affaire sont sans précédent.

Mais dans les médias conservateurs, Trump inscrit de façon assez efficace ce procès dans sa stratégie de campagne. Les experts et les animateurs de médias tels que Fox News, Newsmax ou OAN reprennent sa façon de présenter le procès en alimentant les craintes de sa base.

Trump a déclaré que l’obligation d’être présent chaque jour dans la salle d’audience nuisait à sa capacité à faire campagne. Le quotidien The Guardian a toutefois rapporté que pendant qu’il était au tribunal, sa page sur le réseau social Truth Social publiait de nouveaux messages pratiquement chaque minute.

Et si vous consultez ces messages, vous verrez qu’il s’agit d’une série de plaintes concernant l’affaire, entrecoupées de messages de campagne pro-Trump et de messages disant aux électeurs de redouter la « criminalité rampante » qui, d’après lui, se serait développée durant le mandat présidentiel de Joe Biden.

Pris séparément, ces messages ne tranchent guère avec la tonalité des messages habituels de Trump. Mais lorsqu’il associe des messages sur la criminalité qui a cours dans le pays à d’autres où il dénonce le système judiciaire prétendument corrompu dont il serait la victime, il intensifie la peur que ressentent ses sympathisants. Il leur explique que des personnes puissantes s’en prennent à lui… et qu’elles s’en prendront ensuite aux gens ordinaires.

Trump affirme également que la façon dont son procès est conduit sape la démocratie. Il a posté une vidéo dans laquelle son proche conseiller Stephen Miller s’adresse à son auditoire en ces termes : « Lorsque vous entendez dire que la démocratie est en procès, sachez que c’est vrai. La démocratie est en procès. La liberté est en procès. L’État de droit est en procès. […] Si Donald Trump est condamné, alors tous ces principes sont condamnés et détruits avec lui. »

Ce discours engendre un cercle vicieux. Si Trump n’est pas condamné, il pourra dire qu’il a été disculpé et qu’il a été jugé sans raison. S’il est condamné, il pourra déclarer que son procès et sa condamnation portent atteinte à la justice et à la démocratie.

Si Trump se contentait de publier ces messages sur ses comptes sur les réseaux sociaux, l’impact serait relativement limité. Mais Fox News, OAN et Newsmax fonctionnent réellement comme des substituts de sa campagne. Or une partie considérable de la population prête attention à cet espace médiatique. Dès lors, cette communication est un élément très important de sa stratégie de campagne. Il est judicieux de sa part d’utiliser les procédures judiciaires actuelles de cette manière.

Donald Trump sort pendant une pause du procès. Mark Peterson/AP

Dans ce que dit Trump, y a-t-il des points valides ?

Bakken : Le procureur de New York a décidé de poursuivre Trump dans cette affaire. Il n’était pas obligé de le faire. Il semble incontestable que Trump a falsifié certains comptes. Il s’agit d’un délit mineur, et le délai de prescription du délit avait expiré au moment où le procureur a engagé les poursuites. Mais le procureur a choisi de considérer que ces actions étaient liées à un autre crime dans le cadre de sa campagne, ce qui en fait des délits qui peuvent toujours être jugés aujourd’hui.

Anderson : Ces accusations s’inscrivent dans un contexte spécifique. Peut-être qu’aucun autre homme d’affaires ne serait poursuivi pour de telles falsifications supposées de documents. Mais ce n’est que la moitié du problème. Car Trump ne serait pas en procès aujourd’hui si ces falsifications n’avaient pas eu pour objectif – selon l’accusation – d’influencer illégalement le résultat d’une élection.

Selon moi, c’est la raison pour laquelle Trump martèle que ce procès constitue une « ingérence électorale ». Il sait que les accusations portées contre lui concernent en réalité la violation des lois sur le financement des campagnes électorales et son comportement lors d’une élection, plutôt qu’un dossier de fraude comptable classique.

Bakken : La semaine dernière, on a appris que le juge Merchan avait, dans le passé, contribué financièrement aux campagnes de certains candidats démocrates, dont le président Biden. Il aurait versé au total une somme de seulement 35 dollars, ce qui semble tout à fait minime. Pour autant, Stephen Gillers, professeur à l’université de New York et sommité reconnue dans le domaine de l’éthique juridique, a déclaré que le fait que le procureur avait contribué à des campagnes de représentants du camp opposé à celui de Trump constituait un cas de violation de l’éthique judiciaire, même s’il a précisé que cela ne mériterait probablement qu’un avertissement et que retirer l’affaire à Merchan serait exagéré.

Quel impact ce procès peut-il avoir sur la présidentielle de 2024 ?

Anderson : Je pense que les médias doivent rapporter équitablement les arguments de toutes les parties au procès. Mais je pense que la couverture médiatique n’a pas un impact aussi notable qu’on pourrait le croire, car de nombreux électeurs indécis se sont complètement désintéressés de l’actualité politique.

Bakken : Le procès met en évidence le niveau extraordinaire de l’antagonisme politique qui existe aujourd’hui entre les parties, ainsi qu’une réticence extraordinaire, de la part des personnes qui refusent la polarisation, à suivre ces audiences en préférant se tenir à l’écart et se protéger.

Or ces personnes qui refusent de s’intéresser à ce procès ne sont peut-être pas de fervents défenseurs, politiquement, d’un camp ou de l’autre, mais des personnes qui seraient neutres si elles recueillaient toutes les informations. Elles pourraient dès lors être des modérateurs, les personnes de bonne foi, équilibrées, qui pourraient contribuer à combler le fossé entre les adversaires politiques.

This article was originally published in English

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 182,900 academics and researchers from 4,948 institutions.

Register now