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Emmanuel Macron et les responsables de la reconstruction de Notre-Dame dans les combles de la cathédrale
Emmanuel Macron (deuxième à gauche) écoute l'architecte chargé de la restauration Philippe Villeneuve (deuxième à droite) lors d'une visite de la cathédrale Notre-Dame de Paris marquant les deux ans de l'incendie qui a fait s'effondrer la flèche et détruit une grande partie du toit, à Paris le 15 avril 2021. Ian Langsdon/AFP

D’où viennent les bois de Notre-Dame ? Les scientifiques mènent l’enquête

Catastrophe patrimoniale, l'incendie de Notre-Dame en 2019 permet aussi d’accroître nos connaissances : les débris de la célébrissime cathédrale sont autant de précieux témoins du passé ! Cette série suit le chantier scientifique de Notre-Dame, où bois carbonisés et pièces en métal révèlent leurs secrets. Après un premier épisode où l’on faisait parler la charpente, on se demande d’où viennent les bois de la charpente de la cathédrale.


Bien qu'en 2022, on peut trouver difficile de se procurer des matériaux de construction dont le prix ne cesse de grimper, nous sommes loin d'imaginer le contexte économique des bâtisseurs au temps des cathédrales.

Les projets d'envergure que sont les cathédrales gothiques mobilisaient des ressources humaines et économiques de tout un territoire, s'étalaient sur des siècles ; ils témoignent d'une organisation complexe pourtant peu connue de nos jours.

Un des exemples les plus emblématiques est la cathédrale de Notre-Dame de Paris. Alors qu'elle est devenue un symbole du pays, on ignore presque tout de la gestion et de l'alimentation en bois du chantier de l'époque. Une histoire qui a bien failli disparaître lors de l'incendie du 15 avril 2019, quand la charpente médiévale vieille de plus de 800 ans s'est effondrée.

Les poutres calcinées ne pouvant pas être réutilisées pour la reconstruction du monument, elles ont été mises à disposition de la communauté scientifique et sont devenues une source d'information exceptionnelle, une véritable archive matérielle et patrimoniale.


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Une équipe de près de 70 personnes s'est constituée pour en dévoiler les secrets.

Un chantier économique exceptionnel

Les poutres calcinées pourraient notamment éclairer le mystère de la provenance géographique des bois employés dans la construction de la charpente.

Il est presque certain qu'ils ont des sources multiples, mais jusqu'à présent, les historiens de notre groupe de travail n'ont pas pu apporter de réponse précise à cette question, de nombreuses archives ayant disparu au cours de temps.

Gravure montrant un train de flottage du bois
Gravure montrant un train de bois extrait de l’Encyclopédie Méthodique Arts et Métiers Mécaniques, 1784. Encyclopédie Méthodique Arts et Métiers Mécaniques / Burgondiart

Toutefois, des pistes existent. On peut s'inspirer de l'anecdote de l'abbé Suger à la recherche – apparemment déséspérée – de douze poutres pour le chevet de la cathédrale Saint-Denis, qu'il espérait trouver dans la forêt d'Yvelines, qui appartenait alors à l'abbaye. Ainsi, les bois de Notre-Dame auraient pu être coupés dans les forêts du diocèse et du chapitre cathédral, principalement situées en Île-de-France…

D'autres hypothèses sont envisageables. Paris, au milieu du bassin de la Seine, bénéficie en effet d'un réseau fluvial qui facilite le transport des marchandises et notamment du bois (combustible ou peut-être destiné à l'architecture).

L'hypothèse du flottage du bois

Les ports autour de l'Île de la Cité étaient alimentés par bateau ou par flottage du bois, de l'amont ou de l'aval de la métropole, par l'Oise, la Seine, voire l’Yonne.

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Le flottage semble bien implanté depuis le XIVe siècle, comme en attestent certains registres – par exemple, celui du Collège des Bernardins, qui fut fondé en 1348 à deux pas de la cathédrale de Notre-Dame et bâti avec du bois acheté auprès des marchands ; il y a également des traces écrites de flottage sur la Seine et sur l'Oise dès le XIIIe siècle… c'est-à-dire au moment de la construction de la charpente de Notre-Dame.

Malheureusement, les preuves écrites de marché ou de flottage du bois manquent concernant les bois de la charpente de Notre-Dame.

Trous de flottage dans un entrait du XIIIe siècle. Olivier Girardclos, Jean-Yves Hunot

Lors de l'inventaire des bois calcinés et de leur description archéologique, les archéologues et dendroarchéologues ont repéré sur un des «entraits» du XIIIe siècle un trou destiné à faire passer un cordage pour l'assemblage de trains de flottage : une preuve indiscutable que les troncs peuvent venir de tout le bassin de la Seine.

Comparer les croissances des arbres

Il existe plusieurs pistes pour remonter à l'origine géographique des bois de la charpente de Notre-Dame. Notre équipe est ainsi en train de constituer un «référentiel de dendroprovenance», inédit et collectif : nous prélevons bois et sols dans des forêts de chênes couvrant le bassin de la Seine afin de comparer le référentiel aux données qui seront acquises sur les bois de Notre-Dame.

La première piste pour mieux délimiter les provenances géographiques des bois, les analyses de «dendroprovenance» s'appuient sur l'anatomie du bois.

En effet, les arbres enregistrent l'environnement dans lequel ils se développent. Par exemple, les cernes, anneaux concentriques formés chaque année en milieu tempéré, représentent un indicateur des conditions de croissance de l'arbre ou encore du climat. Leur largeur varie d'une année sur l'autre en fonction de l'arbre, mais aussi des conditions environnementales locales et régionales. Ainsi, des arbres poussant dans une même région présentent des croissances qui se ressemblent.

Cette approche de dendroprovenance, fondée sur des corrélations statistiques, dépend donc fortement de la disponibilité de «référentiels dendrochronologiques», qui permettent de relier les observations à des localisations dans le temps et l'espace.

L’impact de la carbonisation sur les bois

Afin de compléter cette approche, on s'intéresse aux éléments chimiques présents dans le bois, et notamment aux isotopes du strontium, couramment utilisés en archéologie pour étudier l’histoire des populations humaines.

Récemment appliquée à des bois archéologiques issus d'épaves, cette approche a permis de discriminer des bois ayant poussé sur des substrats calcaires de ceux ayant poussés sur des sols silicatés.

Toutefois, les bois de Notre-Dame sont carbonisés, pour certains en périphérie, pour d'autres jusqu'au centre. Or, la carbonisation entraîne des modifications anatomiques, chimiques et isotopiques qui dépendent notamment de la durée d'exposition, des températures atteintes, de la présence d'oxygène. Des tests de carbonisation ont été menés afin de déterminer si les rapports isotopiques du strontium dans le bois avant et après carbonisation étaient conservés.

Ces expériences de laboratoire ont montré que les rapports isotopiques ne sont pas modifiés, ce qui va nous permettre d'appliquer cette approche aux bois de Notre-Dame.

Une approche scientifique inédite

Le bassin de la Seine étant majoritairement représenté par des roches calcaires, nous avons ajouté un indicateur supplémentaire aux approches de largeurs de cerne et de compositions isotopiques du strontium : la composition chimique des bois de Notre-Dame.

Cette approche est totalement inédite sur des bois archéologiques, mais les éléments majeurs comme le calcium, le potassium, ou le fer sont déjà utilisés, par exemple pour appréhender l’évolution de la fertilité des sols : des minéraux dissous dans le sol sont absorbés par le système racinaire (en fonction de l'acidité du sol), transportés par les vaisseaux conducteurs de la sève vers le tronc, les branches et les feuilles et stockés dans les cellules. La végétation qui a poussé sur un sol calcaire est plus riche en calcium que celle qui a poussé sur des sables ; et la proportion entre deux éléments, par exemple celle du calcium par rapport au manganèse, permet de discriminer si l'arbre a poussé sur un sol acide ou basique.

Là encore, nos expériences permettent de vérifier que la composition élémentaire du bois est un indicateur fiable sur des bois carbonisés. Bonne nouvelle, non seulement les signatures sont conservées mais elles sont même amplifiées par la carbonisation!

Les terres rares, particulièrement l'yttrium et les lanthanides, peuvent également constituer une empreinte digitale du sol et donc être utilisés comme traceurs géographiques complémentaires.

Constituer un référentiel de dendroprovenance

C'est en combinant ces différentes approches que l'on peut créer notre «référentiel de dendroprovenance» et le comparer aux données des bois de Notre-Dame.

Référentiel de dendroprovenance multi-indicateurs. (a) forêts de chênes sélectionnées poussant sur des roches et sols constrastés (b) prélèvements de sols (c) caractérisation des peuplements forestiers (relevé floristique, mesures des diamètres et hauteurs des arbres (d) prélèvements de carottes de bois pour mesurer les cernes et analyser la composition chimique et isotopique.

En parallèle, l'équipe des historiens continue à dépouiller les archives des XIIe et XIIIe siècles et recensent les mentions de l'économie de bois, de la gestion des forêts, ainsi que les nombreux événements climatiques enregistrés par les chroniques médiévales d'Île-de-France.

Nous espérons qu'à la croisée des chemins des données historiques, bioarchéologiques et environnementales, le secret de l'origine des bois de Notre-Dame sera percé et qu'ils contribueront à améliorer les connaissances sur l'organisation du chantier de Notre-Dame de Paris.

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