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Cellules souches embryonnaires en culture (visibles au centre) - (NIH code: WA09) Ryddragyn/ English Wikipedia

Embryons et cellules souches : le travail de funambule du législateur

Parangon de démocratie participative, les États généraux de la bioéthique initiés en 2018 sous la supervision du Comité consultatif national d’éthique ont permis de rappeler que la bioéthique est l’affaire de tous. Cette consultation citoyenne d’ampleur a été réalisée sur des thématiques telles que l’accompagnement de la fin de vie, la recherche sur l’embryon humain et les cellules souches embryonnaires, l’assistance médicale à la procréation ou PMA.

De fait, c’est ce dernier sujet qui a monopolisé l’attention des médias, mais aussi et surtout la majeure partie du temps de parole des parlementaires durant les débats en première lecture à l’Assemblée nationale. Pourtant, le projet de loi actuellement porté par le gouvernement n’est pas seulement relatif à « la PMA pour toutes », mais correspond plus largement à un projet de révision des lois dites « bioéthiques ».

Une révision législative médiatisée

Depuis l’adoption des deux lois du 29 juillet 1994, des révisions régulières des lois « bioéthiques » sont opérées pour tenter d’adapter le cadre juridique à l’évolution fulgurante du progrès scientifique.

À l’issue des États généraux de la bioéthique, il a finalement été décidé d’exclure du projet de loi la question de la fin de vie, celle-ci ayant toujours jusqu’ici fait l’objet de textes spécifiques. Ainsi, outre l’ouverture de l’accès à l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes non mariées, la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires constitue l’un des sujets phares de cette nouvelle révision et mérite que l’on y porte davantage d’attention.

Des recherches facilitées

Le projet de loi adopté par l’Assemblée nationale le 15 octobre 2019 opère une importante distinction entre le régime applicable aux recherches menées sur l’embryon, et à celles portant sur les cellules souches embryonnaires. En effet, ces dernières ne seront plus soumises qu’à un régime déclaratif, alors qu’il était jusqu’ici nécessaire de procéder en amont à une demande d’autorisation pour mener ces pratiques.

Cette modification a été motivée par les nombreuses avancées médicales qui sont attendues de l’utilisation des cellules souches embryonnaires. Pour mieux comprendre, il convient de rappeler que ces cellules disposent d’un potentiel qui les rend particulièrement intéressantes : elles sont en effet capable de se différencier, c’est-à-dire, de se spécialiser, en n’importe quel autre type de cellules. Et devant la commission sénatoriale, le Pr. Jean‑François Delfraissy, spécialiste d’immunologie et président du Comité consultatif national d’éthique en 2016, a par exemple envisagé un recours généralisé à ces cellules souches pour réparer des cartilages de genou, de hanche, ou encore d’épaule.

Cartilage. Fanny Castets, CC BY-SA

Précisons-le. Il ne faut pas confondre les cellules souches embryonnaires, qui sont dérivées d’un embryon surnuméraire ensuite détruit, avec les cellules pluripotentes induites (dites cellules « IPS »). Découvertes par le médecin japonais Shinya Yamanaka et lui ayant valu le Prix Nobel de physiologie ou médecine avec le biologiste britannique John Gurdon, ces IPS sont obtenues à partir de cellules adultes, et elles ne disposent pas des mêmes qualités que leurs homologues embryonnaires. Certains scientifiques ont d’ailleurs souligné qu’en dépit leur intérêt scientifique, elles ne sauraient se substituer complètement aux cellules souches embryonnaires dans un cadre thérapeutique.

Une inquiétude demeure, concernant le potentiel de différenciation de ces deux types de cellules : pluripotentes, elles sont susceptibles de se différencier en gamètes. Craignant la loi de Gabor, selon laquelle « tout ce qui est techniquement faisable sera fait tôt ou tard », il semble que la seule ligne rouge permettant d’éviter la création d’embryons à partir de telles cellules provienne de la Convention d’Oviedo. Signée en 1997 dans la ville espagnole éponyme, elle interdit, par son article 18, la création d’embryons à des fins de recherche.

Maintien du cadre légal sur l’embryon implantable

Le projet de loi actuellement examiné par le Sénat a également apporté des éléments nouveaux à l’encadrement des recherches sur l’embryon humain. Cette activité, d’abord couverte d’une interdiction absolue, puis rendue possible par le biais de dérogations, a été légalisée en 2013. Il convient, pour cela, d’obtenir en amont une autorisation délivrée par l’Agence de la biomédecine. Plusieurs situations doivent cependant être distinguées, les recherches ne pouvant pas être menées sur n’importe quel type d’embryon.

Tout d’abord, seuls les embryons cultivés in vitro peuvent être utilisés. Ensuite, il doit s’agir d’embryons surnuméraires, ne faisant donc plus l’objet d’un projet parental. Qui plus est, ces embryons devront in fine être détruits. Dans ce cadre, et à des fins de recherche, certaines observations peuvent être menées. Et ce, dans le but d’améliorer la technique.

Le taux de réussite de l’assistance médicale à la procréation reste peu satisfaisant. Et pour le faire progresser, il est nécessaire de mieux connaître les premières étapes de l’embryogenèse. L’interdit principal porte donc sur les interventions ayant pour objet de modifier le génome de l’embryon destiné à être implanté. Mais cette prohibition, qui trouve notamment son origine dans l’article 16-4 du code civil, devrait être rappelée avec un article L.2141-3-1 inséré dans le Code de la santé publique.

Fécondation in vitro par injection intracytoplasmique de spermatozoïde dans un ovocyte. RWJMS IVF Laboratory

Plus largement, il s’agit en fait de se prémunir contre d’éventuelles atteintes à l’intégrité de l’espèce humaine. En introduisant des modifications dans le génome d’un embryon, le risque est grand qu’elles ne se répercutent sur sa descendance. Et in fine, elles pourraient ainsi induire un changement de grande ampleur dans le génome de l’espèce humaine, considéré comme le patrimoine commun de l’humanité.

Lors des débats parlementaires sur cette question, les récentes expérimentations menées par le scientifique chinois He Jiankui, qui a prétendu avoir créé les premiers bébés humains génétiquement modifiés, étaient dans tous les esprits. Mais grâce à la réaction quasi-consensuelle s’étant dessinée sur le plan international suite à cette annonce déconcertante, le maintien de cette prohibition dans le dispositif légal français n’a pas posé de difficultés.

Les rêves de démiurge du scientifique

Reste le problème des embryons ne faisant plus l’objet d’un projet parental. Pour eux, les possibilités expérimentales sont différentes. Ces embryons, qui seront détruits au plus tard après quatorze jours de culture, pourront subir des modifications du génome. Un vrai changement. Jusqu’alors, l’article L.2151-2 alinéa 2 du Code de la santé publique interdisait en effet de créer des embryons chimériques, ou transgéniques. Mais selon le Conseil d’État, le terme transgénique posait des difficultés. Car seule l’insertion de nouveaux gènes était prohibée, l’inactivation de certains gènes étant possible.

En supprimant cette interdiction, le projet de loi lève donc un interdit important. Pour autant, rappelons que cette possibilité demeure cantonnée aux recherches sur l’embryon ne faisant plus l’objet d’un projet parental, et voués à la destruction. Quant aux embryons chimériques, on peut là encore constater une évolution d’ampleur. Avec ce projet de loi, l’adjonction de cellules d’origine humaine dans un embryon animal est dorénavant possible. L’interdit portant sur les chimères est en effet levé pour moitié : seule demeure la prohibition portant sur l’insertion de cellules animales au sein d’un embryon humain.

Finalement, s’agissant des recherches sur l’embryon et les cellules souches, ce projet de loi peut être vu comme une révision offrant de nouvelles possibilités aux scientifiques, avec l’espoir d’avancées thérapeutiques majeures. Face aux craintes d’un glissement incontrôlé vers une véritable réification de l’embryon humain, il faut se satisfaire de la ratification française de la Convention d’Oviedo. Elle constitue l’ultime rempart à une telle instrumentalisation.

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